Une réforme antisociale et antiécologique

On laisse de côté les personnes au chômage et on perpétue le productivisme.

Jean-Marie Harribey  • 8 janvier 2020 abonné·es
Une réforme antisociale et antiécologique
© FRANCOIS GUILLOT / AFP

Un système de retraite par points organise une contributivité stricte, c’est-à-dire une liaison étroite entre cotisations et pensions. Les périodes de chômage et de précarité donnent lieu à très peu de cotisations, dont découleront des pensions faibles. La valeur du point servi sera la variable d’ajustement à la baisse, et la masse des pensions rapportée à la richesse produite, qui sera stable, sera à partager entre un nombre plus important de retraité·es. Enfin, 1 euro de cotisation ne peut pas donner le même droit à tous à cause des inégalités d’espérance de vie, dues surtout à la pénibilité de certains travaux.

L’argument selon lequel la réforme avantagerait les « carrières plates » est fallacieux : les « carrières ascendantes » auront une pension plus faible que celle qu’aurait permise la prise en compte des vingt-cinq meilleures années, mais cela n’aura aucun effet sur les pensions correspondant aux carrières plates. L’entourloupe consiste à appeler progrès le recul des uns, pendant que les autres font au mieux du surplace.

La promesse du minimum de pension à 85 % du Smic, présentée comme une nouveauté, est déjà inscrite dans la loi de 2003 et n’a jamais été honorée. Et elle ne concernera que celles et ceux qui auront une carrière complète au Smic. Tant pis pour 22 % des agriculteurs et agricultrices qui sont loin du Smic et vivent en dessous du seuil de pauvreté. Tant pis pour les femmes, grandes perdantes d’un système par points. Et nul n’envisage sérieusement que, tout d’un coup, le gouvernement trouve 10 milliards d’euros par an pour augmenter les enseignant·es et tous les fonctionnaires qui ont peu de primes. En cadeau de Noël pour les classes dominantes : au-delà de 10 000 euros par mois, ne subsistera qu’un taux de cotisation de 2,81 %, dit de solidarité, ouvrant en grand la porte à la capitalisation via l’épargne retraite promue par la loi Pacte.

En créant un âge pivot à 64 ans, appelé à augmenter inexorablement, le gouvernement et le patronat entendent faire travailler tout le monde plus longtemps, au motif qu’il n’y aurait pas d’autre solution. Ils refusent donc toute hausse des cotisations. Et ils excluent par principe de modifier le partage entre travail et capital.

Mais on ne souligne pas assez que, en allongeant la durée du travail, on laisse de côté 6 millions de personnes au chômage et on perpétue une économie capitaliste productiviste qui ne conçoit le progrès qu’en termes de surconsommation. Or, avec une croissance économique de plus en plus faible, l’arbitrage entre satisfaction des besoins sociaux et investissements de transition impliquera une modification radicale du partage de la valeur ajoutée aux dépens des profits distribués. Parce que bourgeoisie et gouvernement bloquent ce partage, la réforme des retraites nie la solidarité intergénérationnelle tant sur le plan social que sur le plan écologique. C’est au contraire la réduction du temps de travail qui pourrait dessiner un autre avenir sur ces deux plans.

Jean-Marie Harribey Membre du conseil scientifique d’Attac.

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