Barbara Stiegler : Philosophie de combat

Dans Du cap aux grèves, la philosophe Barbara Stiegler fait le récit de ce qui l’a menée à l’action militante.

Christophe Kantcheff  • 9 septembre 2020 abonné·es
Barbara Stiegler : Philosophie de combat
Lors de l’acte 5 des gilets jaunes, le 15 décembre 2018 à Marseille.
© Theo Giacometti/Hans Lucas via AFP

Elle n’est pas passée inaperçue aux oreilles de certains. En pleine mobilisation contre la réforme des retraites, l’hiver dernier, Barbara Stiegler, intervenant sur une chaîne de radio, témoignait de la mobilisation de son université à Bordeaux, à laquelle elle participait, et annonçait un printemps très chaud. Son ton, quasi prophétique, n’était pas forcément celui que l’on attend d’une professeure de philosophie, directrice du master « Soin, éthique et santé ».

C’est précisément ce basculement de la réflexion à l’action que raconte Barbara Stiegler dans le livre allègre qu’elle fait paraître aujourd’hui, Du cap aux grèves, portant ce sous-titre : « Récit d’une mobilisation 17 novembre 2018 – 17 mars 2020 ». Rien ne serait arrivé sans la conjonction de deux faits : l’irruption du mouvement des gilets jaunes, fin 2018, et la parution, quelques semaines plus tard, de son essai Il faut s’adapter ! (1) une déconstruction savante de cet « impératif politique » propre au néolibéralisme. Autant dire qu’il tombait à pic.

Contrairement à nombre de ses semblables des milieux intellectuels, Barbara Stiegler accueille le mouvement des gilets jaunes avec enthousiasme. Elle-même enfile le fameux gilet, mais d’abord avec discrétion – problème de légitimité oblige.

Quand paraît son livre, face aux interviews qui s’accumulent, commence pour elle un exercice inédit : formuler des réponses liant le contenu de son étude et l’actualité. Elle s’appuie alors sur des textes qu’elle écrit à chaud pour le quotidien d’idées en ligne AOC. Notamment celui où elle montre que le soulèvement populaire a révélé la nature autoritaire des régimes qui usent des expressions « maintenir le cap » et « faire de la pédagogie », c’est-à-dire tous les gouvernements depuis des décennies.

Vient quelques mois plus tard la bataille contre la réforme des retraites, prolongée par un engagement plus spécifique, celui de la défense de l’enseignement supérieur dans son université. On n’est sans doute pas habitué à la franchise – c’est-à-dire à la liberté – avec laquelle Barbara Stiegler mène son récit. Elle n’omet pas ici un mauvais souvenir (une invitation à la matinale sur France Culture se transformant en traquenard), là une vive critique de la démocratie horizontale et inefficace des AG. Elle est surtout attentive à ce qui en elle se transforme et la pousse désormais à l’action, n’hésitant pas, par exemple, à remettre en question l’un de ses auteurs favoris, John Dewey. Aussi la dernière partie de son livre tente-t-elle de « diagnostiquer nos propres faiblesses, celles des plus mobilisés d’entre nous, celles qui bloquent notre imaginaire et nous empêchent de réinventer nos grèves, nous conduisant à l’impuissance ».

Du cap aux grèves s’arrête le jour du confinement. Barbara Stiegler, qui était enfin sortie de son bureau, doit y retourner, contrainte et forcée. Mais la partie est-elle achevée pour autant ?

(1) Gallimard, 2019.

Du cap aux grèves. Récit d’une mobilisation 17 novembre 2018 – 17 mars 2020 Barbara Stiegler, Verdier, 135 pages, 7 euros.

Idées
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