Altair Alcântara : Jérusalem par le haut

Altair Alcântara offre sur la Ville sainte un essai photographique d’une ouverture et d’une justesse de regard remarquables.

Patrick Piro  • 22 septembre 2021 abonné·es
Altair Alcântara : Jérusalem par le haut
Photo intitulée «u2009Entre ombre et lumièreu2009».
© Altair Alcântara

Comment se prononcer sur Jérusalem sans se faire instantanément « flinguer » par l’une des parties prenantes ? Cette ville, la plus conflictuelle au monde, est nouée par des décennies d’affrontements religieux, politiques et sociaux. Alors quand c’est un photographe qui s’y colle, prétendant à un « essai »… Altair Alcântara avait été conseillé par une consœur échaudée : ne visez pas une hypothétique impartialité, c’est perdu d’avance, assumez votre parti pris.

Si l’on trouve dans ce livre un discours engagé, ce n’est pas au sens attendu du terme. C’est une scène faussement anecdotique qui a motivé sa réalisation. Au pied de la fameuse coupole dorée du Dôme du Rocher, trois jeunes Palestiniennes ont obtenu des autorités israéliennes une autorisation de visite pour la journée. Elles font des clichés avec leur mobile en insérant au premier plan une feuille où sont écrites des bénédictions à l’attention de proches à qui l’accès à la ville trois fois sainte est interdit, un « salam » plutôt qu’un selfie. Interpellé, Alcântara entreprend alors sa propre rihla, tradition islamique entre le carnet de voyage et la pérégrination initiatique.

Dans la première partie, l’auteur traite du fait religieux, socle de la « jérusalémité », sans jamais tomber dans le terre-à-terre des multiples conflits qui le polluent. Une échappée vers le haut, pas une esquive. Le photographe parvient à capter l’expression de la spiritualité dans sa profondeur humaine, au point qu’elle semble parfois dissoudre la diversité des appartenances confessionnelles.

La deuxième partie, consacrée à des scènes profanes de la vie quotidienne, reflète de belles quêtes de convivialité, jamais banales dans cette ville. On capte sans peine l’attention que l’auteur porte à la cause du peuple palestinien, mais elle ne vient jamais saturer l’image. Sur un bateau de promenade, au large de Jaffa, des Palestiniennes se mettent à chanter, déclenchant la danse de deux jeunes religieux israéliens qui les salueront d’un « Allahu Akbar ». L’historien Vincent Lemire, directeur du Centre de recherche français à Jérusalem et spécialiste réputé de cette ville, rappelle volontiers que sa longue histoire est largement dominée par la paix et la concorde.

La qualité des images est au-dessus du lot, tant par la finesse de leur propos que par l’éclairage, le cadrage et l’unité chromatique, impeccables. Et ce qui pourrait n’être qu’un très beau livre prend toute sa dimension d’essai avec de longues légendes rédigées dans l’esprit de la rihla : des textes factuels et précis, en résonance avec la fibre et l’expérience de l’auteur, toujours dans la délicatesse et le respect de leur sujet (la bibliographie compte une quarantaine d’ouvrages). « C’est assez magistral », salue un Vincent Lemire bluffé.

Jérusalem, un essai photographique Altair Alcântara, Hémisphères éditions, 160 pages, 28 euros

Idées
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

Sophie Béroud : « 1995 est le dernier mouvement social avec manifestations massives et grèves reconductibles »
Entretien 5 novembre 2025 abonné·es

Sophie Béroud : « 1995 est le dernier mouvement social avec manifestations massives et grèves reconductibles »

Des millions de personnes dans les rues, un pays bloqué pendant plusieurs semaines, par des grèves massives et reconductibles : 1995 a été historique par plusieurs aspects. Trente ans après, la politiste et spécialiste du syndicalisme retrace ce qui a permis cette mobilisation et ses conséquences.
Par Pierre Jequier-Zalc
1995 : le renouveau intellectuel d’une gauche critique
Analyse 5 novembre 2025 abonné·es

1995 : le renouveau intellectuel d’une gauche critique

Le mouvement de 1995 annonce un retour de l’engagement contre la violence néolibérale, renouant avec le mouvement populaire et élaborant de nouvelles problématiques, de l’écologie à la précarité, du travail aux nouvelles formes de solidarité.
Par Olivier Doubre
Qui a peur du grand méchant woke ?
Idées 29 octobre 2025 abonné·es

Qui a peur du grand méchant woke ?

Si la droite et l’extrême droite ont toujours été proches, le phénomène nouveau des dernières années est moins la normalisation de l’extrême droite que la diabolisation de la gauche, qui se nourrit d’une crise des institutions.
Par Benjamin Tainturier
Roger Martelli : « La gauche doit renouer avec la hardiesse de l’espérance »
Entretien 29 octobre 2025 libéré

Roger Martelli : « La gauche doit renouer avec la hardiesse de l’espérance »

Spécialiste du mouvement ouvrier français et du communisme, l’historien est un fin connaisseur des divisions qui lacèrent les gauches françaises. Il s’émeut du rejet ostracisant qui les frappe aujourd’hui, notamment leur aile la plus radicale, et propose des voies alternatives pour reprendre l’initiative et retrouver l’espoir. Et contrer l’extrême droite.
Par Olivier Doubre