Procès OAS : cette violence raciste que personne n’assume

À l’ouverture du procès de l’OAS, on effleure les détails d’un mouvement ultra organisé créé pour « faire la chasse aux arabes ». Les accusés tentent d’esquiver la nature violemment raciste du groupuscule auquel ils ont participé.

Nadia Sweeny  • 21 septembre 2021
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Procès OAS : cette violence raciste que personne n’assume
© Photo : Geoffrey H. à son arrivée au tribunal. La police a retrouvé chez lui un autocollant sur lequel était inscrit "ARAB, all racaille are bastards" (Thomas COEX / AFP)

Six jeunes hommes comparaissent pour « association de malfaiteurs terroriste » ce mardi 21 septembre au tribunal judiciaire de Paris. Ils risquent jusque’à dix ans de réclusion criminelle. Tous ont défilé à la barre pour dire à quel point ils regrettaient leur engagement dans le groupuscule nommé OAS, pour « organisation des armées sociales ».

Thomas A., Romain P., Geoffrey H., Louis M. et Anthony B, militants d’extreme droite – sauf le dernier – minimisent leur participation à ce groupuscule extrêmement organisé qui prévoyait des attaques violentes contre des musulmans, des kebabs et des hommes politiques – Christophe Castaner et Jean-Luc Mélenchon.

Certains font valoir une circonstance atténuante et les incohérences de leur parcours. Thomas A., aujourd’hui 23 ans, dit avoir été embarqué par « quête de reconnaissance » : « j’ai eu des propos homophobes alors que je suis homosexuels ! » Geoffrey H, 29 ans, prétend qu’on lui a présenté l’organisation « comme une solution face à la montée de l’islamisation en France » mais qu’il était incapable d’agir. « J’ai des idées de droite, mais je ne suis pas un terroriste », dit il. Pour sa part Louis M. dit qu’il n’a jamais adhéré réellement à l’OAS. Pourtant, dès ses 14 ans il anime un blog néonazi :

C’était une escroquerie, se défend-il. Je faisais croire qu’il y aurait un coup d’état et je faisais payer les gens pour financer un nouvel État. J’ai choisi l’extreme droite parce que je m’y sentais plus à l’aise au regard de mes influences familiales.

Ce jeune homme qui se tient comme un soldat, jambes écartées et mains derrière le dos, affirme tout de même « aimer l’ordre et la discipline ».

Xénophobes

Tous, sauf un : Logan N. Derrière le boxe vitré d’où le jeune homme s’exprime, entouré de policiers cagoulés, l’instigateur, le penseur et l’architecte de cette organisation assume. Du moins, en partie. Attiré par le néo-nazisme dès l’âge de 13 ans, « parce que je me faisais harceler à l’école par des jeunes d’origine maghrébine et qu’on m’a présenté ça en me disant regarde eux comment ils ont fait », explique-t-il.

À 17 ans, ce jeune homme qui s’exprime particulièrement bien, intègre, par le biais de rencontres sur les réseaux sociaux, le mouvement Jeunesses nationalistes. Quelque temps plus tard, il est arrêté pour des dégradations sur un radar.

– J’ai suivi les ordres que m’avait donné mon chef de l’époque, s’explique-t-il

Qui était votre chef ? demande le président.

Je ne souhaite pas répondre à cette question, clame Logan N. avec un calme olympien.

À la dissolution des Jeunesses nationalistes, Logan N. crée avec Olivier Bianciotto, le MPNA. Un groupuscule ethno-différentialiste et national-socialiste sur le modèle de l’Aube dorée grec.

Lire > L’ultradroite : cette menace qui couve

Logan en est même le vice-président et le trésorier. C’est en janvier 2016 qu’il adhère à l’Action française alors que d’autres se tournent vers le Parti de la France (PdF).

À chaque fois que le président tente de lui faire préciser si ces engagements ou ces organisations ont un caractère raciste, Logan N. élude la question. Les autres ont aussi beaucoup de mal à accepter l’existence d’un corpus idéologique commun.

Même lorsque M. N. évoque son engagement dans le projet « France village » que l’instigateur vente sur internet comme une façon de participer « à sauver la race blanche », Logan N. explique qu’il s’agit simplement de se retrouver entre gens qui pensent la même chose : « C’est comme les personnes de gauche qui préfèrent se retrouver entre personnes de gauche… »

Ce n’est qu’à force de pousser les questions sur des détails que les choses finissent petit à petit par être ouvertement dites. Comme cet autocollant retrouvé chez Geoffrey H. où il est inscrit : ARAB pour all racailles all bastards.

Qu’est ce que ça veut dire, demande la procureur.

Que toutes les racailles sont des batards, répond Logan N.

Mais encore… il y a bien écrit ARAB ! s’agace-t-elle.

Oui… on comprend le message. C’est xénophobe. Tout le monde a tenu des propos xénophobe. J’en ai tenu. Tous les accusés en ont tenu. Mais à l’extrême droite tout le monde tient des propos xénophobes qui incitent à la haine envers les africains, les musulmans ou les maghrébins. Mais tout le monde le sait ! fini-t-il par lâcher avant de s’en expliquer : Je me faisais harceler par des jeunes d’origine maghrébine. Quand je rentrais chez moi, ça sentait l’urine dans mon hall d’immeuble. Toutes les personnes me regardaient de travers. J’appelais le 17 mais personne ne venait. J’ai subi du harcèlement scolaire de mes 8 ans à mes 14 ans. La plupart des enfants étaient maghrébins : ça laisse des traces madame ! »

Une organisation bien pensée

Mais la complexité et l’aboutissement du projet pensé par ce jeune homme qui, habillé d’une chemise claire, le visage orné de lunettes fines, resemble plus à un jeune geek qu’à un soldat Néonazi, fait tout de même froid dans le dos.

L’Organisation armée sociale (OAS) ne devait être qu’une partie d’une organisation bien plus vaste appelée Esperanta, au sein de laquelle devait aussi émerger un pôle communication nommée « National media center », nom qui ressemble étrangement au Media center de l’État islamique bien que Logan N. réfute une quelconque inspiration.

L’organigramme de l’OAS se divise en deux grands étages. Celui du commandement de l’action locale et celui du chargé de mission. Logan N. a même écrit deux manuels pour chacun.

Deux personnes devaient prendre la tête du commandement de l’action locale divisée en deux pôles : l’action discrète et le pôle « autonome ».

La première est composée de sous groupes appelés « sections », toutes dirigées par des chargés de mission. Leur supérieur, le commandant d’action locale, est la pierre angulaire de l’organisation : il dirige et coordonne toutes les sections, leur confie des missions et reçoit sa ligne directement du Régent, le chef ultime de l’organisation.

Les sections sont composées de 5 à 10 membres maximum. Elles ne doivent pas entrer en contact les unes avec les autres et le commandant ne doit pas entrer en contact avec les simples militants. Le rôle du commandant est de donner une dynamique aux sections. « Plus qu’un grade : c’est une lourde responsabilité », précise même le manuel.

Le groupe « autonome » est composé de militants qui ont suffisamment prouvé leur valeur pour ne plus dépendre d’aucune section et ont pour interdiction de parler de leurs activités à quiconque.

Le chargé de mission est le grade en dessous du commandant. Il gère donc une section locale et peut développer une spécialité. Il doit gérer un groupe de militants, animer son équipe, la former et l’entraîner physiquement mais aussi psychologiquement pour la préparer à la commission d’actes illégaux et violents. Tous les militants doivent prêter allégeance avant d’enter et un protocole de recrutement strict a été mis en place pour éviter les infiltrations…

Une organisation qui ressemble à s’y méprendre à l’OAS historique. Logan N. prétend pourtant ne pas s’en être inspiré. Et ce, même s’il assume la filiation idéologique avec ce groupe paramilitaire qui a combattu le FLN algérien qualifié par Logan N. de « djihadiste ». D’après lui, « le FLN s’était revendiqué de l’islam politique pour expulser les Français d’Algérie. Eux même se disaient moudjahidin ».

Pour autant le jeune homme de 25 ans dément avoir été aidé par des anciens de ce groupe qu’il a pourtant rencontré.

Vous maîtrisez le cloisonnement, le clandestinité, la spécialisation des groupes en somme : la sécurité opérationnelle, s’étonne le président.

On savait qu’on allait faire des choses illégales. Toutes les organisations clandestines fonctionnent sur un modèle similaire, répond Logan N.

Mais qui est le Roi ?

Une question reste en suspend à la fin de cette audience : Qui devait réellement prendre la tête de cette organisation ? Logan N. dans une réflexion particulièrement élaborée explique qu’il ne pouvait pas l’être parce qu’il n’avait pas la carrure. Il dit avoir choisi le terme de Régent parce qu’il « fallait un nom pas très répandu. C’est un titre de propagande comme dans 1984 de Georges Orwell : Bigbrother, personne ne l’a jamais vu mais tout le monde le connaît. »

– Un régent c’est une personne qui gouverne jusqu’à l’arriver du roi, lui fait remarquer le président. Pendant votre audition vous avez dit ou fait croire qu’il y avait des gens au dessus de vous…

– Ce qu’on ne connaît pas, on le mythifie, explique très froidement Logan N. Je n’aurai pas été crédible à un poste comme celui-là : je me suis dit qu’il valait mieux créer un poste où personne ne sait qui est le chef…

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