Logan N., le Régent

Il est le chef. Le cerveau de ce projet fou : régénérer l’OAS pour s’attaquer aux « Arabes ». Déclencher la « remigration par la terreur ». Portrait d’un néonazi prêt à passer à l’acte, condamné à 9 ans de prison ferme.

Nadia Sweeny  • 12 octobre 2021
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Logan N., le Régent
© : Léo Pierre / Hans Lucas via AFP

Derrière le box vitré réservé aux détenus, Logan N., 25 ans, a l’air inoffensif. Sa mèche de cheveux est plaquée sur le côté : il a gardé la même coupe que sur les photos où il rayonne aux côtés de Marion Maréchal le Pen. Mais son visage est désormais bouffi : on y lit les épreuves de l’incarcération. Déjà plus de quatre ans qu’il est en détention provisoire. Quelques mois après son arrivée à la maison d’arrêt d’Osny, en juillet 2017, il est ciblé par des détenus qui ont eu vent des raisons de sa détention. Tabassé, il est transféré aux Beaumettes et placé à l’isolement. Dur d’être un faf en taule.

Harcèlement scolaire

Au tribunal, derrière ses fines lunettes, Logan N. plisse frénétiquement les yeux. Ses tics, apparus suite au harcèlement scolaire dont il a été victime enfant, sont toujours bien présents. « La plupart de mes harceleurs étaient maghrébins. Ça laisse des traces ! » explique-t-il. Aîné d’une fratrie de trois, solitaire, maladroit et taciturne, selon sa mère, Logan baigne dans une famille de la classe populaire – son père est restaurateur et sa mère auxiliaire de vie – acquise aux idées d’extrême droite. Il navigue dans la violence familiale de parents divorcés et semble tomber dans le nazisme comme Obélix dans la potion magique. Dès 13 ans, c’est un copain du collège qui, dit-il, lui fait découvrir « ce groupe-là qui se faisait respecter. » Il refuse de reconnaître un lien idéologique et prétend s’en être détourné grâce au film « Nuit et brouillard ».

Pourtant, la multitude de références au IIIe Reich trouvée dans ses affaires ne laisse aucune place au doute. En 2013, le jeune néonazi part une semaine en camp « survivaliste » avec les Jeunesses Nationalistes et rentre « remonter comme un coucou, la tête pleine de choses », se souvient sa mère. C’est auprès d’eux que Logan prend le surnom d’Edouard, en référence au roi d’Angleterre. Il l’utilisera notamment sur les réseaux sociaux comme pseudonyme. Il adhère à l’Œuvre française – dissoute après le meurtre de Clément Méric – puis co-crée en mars 2014, le MPNA – Mouvement Populaire Nouvelle Aurore – sur le modèle des néo-nazis grecs.

Fiché S depuis 2014

« Ma vie était partagé entre les études et le militantisme », se souvient-il. Mais Logan ne trouve pas sa voie professionnelle : après être passé d’une filière à l’autre pour éviter le harcèlement, il obtient un bac pro en chaudronnerie industrielle puis tente de reprendre des études universitaires. Il veut faire du droit. Mais les lacunes accumulées sont trop importantes. Logan lâche en 2016. Le militantisme prend alors toute la place : il n’a aucun loisir. Dès octobre 2015, il flirte avec le Parti de la France mais a du mal à s’entendre avec l’équipe. En 2016, il adhère au Front national et à l’Action française. La multiplication de ses engagements dans des groupes radicalement différents questionne. Déçu par les uns et les autres, il semble les utiliser comme vivier de recrutement pour son projet à lui : la refonte de l’OAS. Le 16 novembre 2015, Logan envoie à Louis M. un SMS évocateur : « Le projet de refondation de l’OAS est de plus en plus évoqué par beaucoup de monde. »

Logan voue aussi un culte absolu à Anders Breivik – figure héroïque à l’extrême droite. Il se nomme d’ailleurs Régent de son organisation, comme le terroriste norvégien s’était lui-même désigné après sa tuerie de masse qui a fait 77 morts. Le français anime même une page Facebook en soutien à son idole et sur laquelle il déverse sa haine. Ses propos déclenchent l’ouverture de l’enquête pour apologie du terrorisme qui va le mener en prison. Quelques mois plus tôt, il avait obtenu l’autorisation de détenir une arme de catégorie C, malgré qu’il soit fiché S depuis 2014. Ce n’est que lors de son interpellation, le 28 juin 2017 que les policiers découvrent le fameux projet OAS.

Structure paramilitaire

À la barre, Logan effleure avec pudeur le dessein fou qui a germé dans sa tête. Prendre les armes. Chasser les Arabes par la terreur. Le cloisonnement, la clandestinité, la spécialisation des groupes, les manuels d’organisation, l’entraînement, le financement via des projets d’extorsion d’entreprises, les techniques de recrutement, la cérémonie d’allégeance, le baptême du feu… il avait pensé à tout, « grâce à mon expérience militante » prétend-il. Sa structure paramilitaire reprend des fondamentaux de l’OAS historique avec l’aval de certains anciens. Logan était adhérent de l’ADIMAD – Association pour la défense des intérêts moraux et matériels des anciens détenus de l’Algérie française. On le voit, ci-dessous, lors d’une assemblée générale de l’association au cimetière de Marignane le 9 avril 2017, soit un peu plus de deux mois avant son arrestation.

© Politis

Au premier semestre 2017, Logan rencontre à deux reprises, Philippe de Massey, ancien parachutiste, condamné à 15 ans de prison puis amnistié, pour la tentative de putsch contre de Gaulle. L’ancien de l’OAS accepte de fournir à ce petit-fils d’une rapatriée de Tunisie et à son groupe, un terrain d’entraînement. Mais la mort le rattrape en mai 2017.

Le groupuscule OAS s’inspire aussi des recommandations laissées par Breivik dans son « manuel » : 2083, diffusée après son attentat et dans lequel il donne des clefs d’organisation pour les groupuscules terroristes qui veulent suivre son exemple. « Chaque cellule est indépendante et autonome et n’est pas autorisée à avoir de contact direct avec le fondateur membres ou autres commandants/agents de cellule », y lit-on. En réalité, tout y est : la structure opérationnelle, le cloisonnement, la justification de l’extorsion, le financement direct ou indirect par des groupes « amis ». « Soyez très clair sur vos moyens non-violents tout en envoyant les signaux nécessaires. » C’est dans cette veine qu’est créé Occitan Squad. Association domiciliée chez Louis M., dont l’objet officiel est de « promouvoir, développer, informer et initier à la pratique de l’Airsoft de manière légale, responsable et sécuritaire. » Son but réel est « principalement logistique : recevoir et gérer des fonds et fournir un entraînement paramilitaire aux membres de l’OAS », notent les enquêteurs.

Au procès, Logan esquive avec habileté de nommer l’horreur crue de ses projets. France Village – projet ethnique pour « sauver la race blanche » n’a rien d’eugénique, promet le prévenu, trésorier de l’association. C’est juste que « les gens de droite préfèrent être avec des gens de droite ». L’OAS, c’était pour faire peur, rien de plus, dit-il en substance. « On savait qu’on allait faire des choses illégales mais dans mon esprit ce n’était pas une organisation terroriste. »

Une attitude qui fait écho à l’analyse des psychologues quelques mois après son incarcération. Logan « reconnait les faits d’une manière banalisante », sans « aucun affect, ni émotion », disent les experts dans l’ordonnance de renvoi que Politis s’est procuré. Les premiers mois, depuis la prison, il continue de donner des instructions à ses subalternes. « Ils ont que dalle, tu nies tout. Fais le ménage chez toi, dit-t-il à Thomas A. sur une ligne placée sur écoute. Et cet ordre :

Faites ce qui doit être fait, que je ne sois pas en taule pour rien.

« J’étais encore très radicalisé », se défend-il. Comme en détention, Logan est calme, respectueux. Un premier de la classe aux projets effrayant : « Faire exploser des mosquées », avoue-t-il en garde-à-vue. Devant le juge, il dément et accuse les gendarmes de l’avoir poussé aux aveux. Mais les éléments s’accumulent : l’association Occitan Squad Le baptême du feu. Le contact en Bosnie pour acheter des armes. La liste des entreprises à extorquer. Le vol d’une voiture. D’un passeport. Les recettes d’explosifs. Les achats d’acide. Les tentatives d’en fabriquer… Parfois, sa cuirasse cède : « Nous étions des monstres », admet-il la voix tremblante. Puis, quelques heures plus tard, il se reprend : « Ce n’était qu’un fantasme. »

Lire le portrait suivant > Thomas A., le bras droit

Police / Justice
Temps de lecture : 7 minutes
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