La bataille toponymique de Robert Ménard, héraut des thèses d’extrême droite

En rebaptisant une rue de sa commune du nom d’un partisan de l’Algérie française, le maire de Béziers réécrit l’histoire et, avec d’autres édiles, diffuse insidieusement un roman nationaliste et réactionnaire.

Richard Vassakos  • 24 novembre 2021
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La bataille toponymique de Robert Ménard, héraut des thèses d’extrême droite
Photo : Des tracts lors d’une manifestation le 19 mars 2001 à Marseille contre la tenue d’une cérémonie commémorant la fin de la guerre d’Algérie, le 19 mars 1962.
© GERARD JULIEN/AFP

Les outrances historiques sont devenues notre quotidien, la bataille culturelle par le biais de l’histoire bat son plein. L’extrême droite (parce qu’il faut appeler un chat un chat) mène l’offensive depuis longtemps déjà en mettant le récit identitaire à l’ordre du jour et au centre du débat. Débat : le mot est d’ailleurs mal choisi. En réalité, nous avons affaire à l’avènement d’un catéchisme réactionnaire qui réalise un syncrétisme entre la vieille matrice maurrassienne et les thématiques plus contemporaines telles que le grand remplacement ou le choc des civilisations.

Tout cela n’est pas le fruit du hasard. Les acteurs de cette bataille se sont réparti les rôles et, dans cet écosystème, un homme a revêtu un costume original. Maire d’une commune déclassée et appauvrie, ancien journaliste adepte des « coups », Robert Ménard se trouve à la conjonction des médias et de la politique. Omniprésent sur les ondes, il endosse la posture de l’élu « très à droite » (dédiabolisons-nous par euphémisme), proche du terrain. Dans une dialectique habile entre prise de parole nationale et implantation locale, il utilise sa position pour enraciner ses doctrines. Par le haut, il exalte son œuvre, preuve de la réussite de l’extrême droite au pouvoir ; par le bas, par ses discours, par la toponymie urbaine, la statuaire et l’invitation aux frais de la ville du gotha réactionnaire, il instrumentalise et réécrit l’histoire au service de son idéologie.

Révolution de divan

C’est peu dire que la période n’est pas à l’apologie de la psychanalyse. Concurrencée d’un côté par l’attrait pour des thérapies rapides et peu coûteuses, défendue d’un autre par une flopée de réactionnaires, gardiens de la tradition, hostiles à tous les combats révolutionnaires, antiracistes ou féministes, la psychanalyse peine à faire valoir ses héritages révolutionnaires et ses liens intrinsèques avec tous les combats politiques pour l’émancipation. L’auteur compense cet oubli en rappelant les engagements révolutionnaires de quelques figures de la psychanalyse, de Freud à Jean Oury en passant par Wilhelm Reich. Un clin d’œil subliminal au présent : et si la survie de la psychanalyse repassait par la case révolution ? 

M. L. et L. D. C.

Histoire populaire de la psychanalyse, Florent Gabarron-Garcia, La Fabrique, 224 pages, 14 euros.

Robert Ménard a clairement énoncé qu’il voulait faire de « sa ville » un modèle et un laboratoire. Alors que les élus frontistes de la vague de 2014 étaient restés initialement prudents sur le plan symbolique, Robert Ménard a fait sauter ces pudeurs de gazelle en débaptisant la rue du 19-Mars, date qui marque l’entrée en vigueur des accords d’Évian et du cessez-le-feu en Algérie. Or, pour remplacer le souvenir de cet événement, le maire de Béziers (Hérault) a choisi de lui donner le nom d’Hélie Denoix de Saint Marc. Choix subtil qui met ses détracteurs en difficulté, car ce commandant d’un régiment de parachutistes, avant d’être un acteur du putsch de 1961, avait été un résistant déporté à Buchenwald. Le maire RN de Beaucaire (Gard) lui a emboîté le pas, suivi par Marie-Claude Bompard à Bollène, dans le Vaucluse (son mari, Jacques Bompard, avait déjà rebaptisé ainsi une avenue d’Orange en décembre 2013). Le maire ex-FN de Cogolin (Var) vient de faire de même après avoir essayé de baptiser une autre de ses voies publiques en faveur de l’écrivain engagé en politique Maurice Barrès, chantre du nationalisme et de l’antisémitisme à l’aube du XXe siècle. Les maires LR Hervé Mariton à Crest (Drôme), Gérard Dubrac à Condom (Gers), de 2014 à 2020, puis Didier Gonzales à Villeneuve-le-Roi (Val-de-Marne) ont aussi fait disparaître le 19-Mars. Dans le dernier cas, la date du cessez-le-feu a été remplacée par le nom d’Arnaud Beltrame, gendarme assassiné lors d’une prise d’otages terroriste à Trèbes (Aude). Le choix est loin d’être anodin, car la succession des dénominations construit insidieusement un continuum entre guerre d’Algérie et terrorisme islamiste, concept martelé par le maire de Béziers dans ses propres discours.

Cet exemple montre que la pratique initiée par Robert Ménard permet d’atteindre les objectifs politiques et idéologiques de l’extrême droite. Sur le plan tactique, outre une dimension électoraliste consistant à essayer de récupérer les suffrages des nostalgiques de l’Algérie française, ces initiatives permettent de jeter des ponts vers les franges les plus radicales de la droite avec l’intention d’en faire l’union. Sur le plan des idées, il s’agit d’enraciner un roman historique nationaliste et réactionnaire, avec notamment l’idée d’exalter un rôle positif de la colonisation et de faire de la guerre d’Algérie un élément du choc des civilisations qui se perpétue jusqu’à nos jours pour désigner l’ennemi en l’essentialisant.

On pourrait toujours se dire que tout cela n’est qu’un élément secondaire. Après tout, quelques noms de rue, des conférences, des discours, des statues… En réalité, c’est bien à une bataille culturelle et à une violence symbolique que nous sommes confrontés. Les réécritures de l’histoire par des polémistes et autres historiens de garde, et la mise en place de récits à l’échelle locale depuis plusieurs années sont parfaitement cohérentes et procèdent de la même logique : une acculturation méthodique et insidieuse des thèses d’extrême droite comme un poison faisant chemin dans le corps social.

Par Richard Vassakos Professeur d’histoire-géographie et chercheur associé au laboratoire Crises, université Paul-Valéry-Montpellier-III. Auteur de La Croisade de Robert Ménard, Libertalia, 2021.

Compenser l’hégémonie pesante d’une histoire « roman national » dans l’espace public, y compris médiatique ? On s’y emploie ici.

Temps de lecture : 4 minutes
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