Poutine interdit Memorial (et réécrit l’histoire)

L’association créée en 1989 sous l’égide du prix Nobel de la paix Andreï Sakharov est accusée de créer « une image mensongère de l’URSS comme État terroriste ».

Politis  • 5 janvier 2022
Partager :
Poutine interdit Memorial (et réécrit l’histoire)
© Maksim Blinov / Sputnik / Sputnik via AFP

En mai 2019, l’historienne d’origine russe Galia Ackerman publia Le Régiment immortel. La guerre sacrée de Poutine (éd. Premier Parallèle, cf. son entretien in Politis n° 1577). Ce remarquable ouvrage exposait la stratégie propagandiste de l’actuel pouvoir autoritaire du Kremlin louant la « grandeur » du passé soviétique du pays. La dissolution de l’ONG Memorial International, principale gardienne de la mémoire des victimes des répressions staliniennes, mais aussi défenseure des droits humains jusqu’à nos jours, s’inscrit délibérément dans cette ligne. Les accusations du pouvoir à l’encontre de l’ONG, parfois farfelues (comme celle de « pédopornographie » à l’encontre de l’historien Iouri Dmitriev, l’un de ses responsables, condamné à quinze ans de détention dans une colonie pénitentiaire à régime sévère), ont pour d’autres le mérite de la franchise.

Dans son réquisitoire précédant sa décision du 27 décembre, le procureur de la Cour suprême de Russie n’a pas masqué son parti pris : « Il est évident que Memorial, en spéculant sur le thème de répressions au XXe siècle, crée une image mensongère de l’URSS comme État terroriste. » Emplie de l’élan de la glasnost gorbatchévienne, l’association Memorial fut créée par des dissidents de l’ère soviétique en 1989 sous l’égide du physicien et prix Nobel de la paix Andreï Sakharov. Pionnière, référence de par son travail mémoriel de découvertes de charniers et d’anciens camps de ce que Soljenitsyne dénomma « l’archipel du goulag », l’ONG se savait toutefois en sursis, surtout depuis l’adoption de la loi de 2012 visant « les organisations faisant office d’agent de l’étranger ». Mais outre ses archives, foisonnantes, documentant les répressions de masse, Memorial n’a cessé de militer pour la défense des droits humains en Russie. Ce qui lui valut une accusation d’« apologie du terrorisme » du fait de son soutien à de nombreux prisonniers politiques du Caucase. 

À l’annonce de sa dissolution, Galia Ackerman a déclaré, sur France Inter, « espérer vivement que Memorial ait pu transférer ses précieuses archives à l’étranger, pour sauver plus de trente ans d’un travail extrêmement précieux ».

Monde
Temps de lecture : 2 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Des deux côtés de l’Atlantique, la social-démocratie n’est jamais finie (mais c’est pas jojo)
Analyse 6 juin 2025

Des deux côtés de l’Atlantique, la social-démocratie n’est jamais finie (mais c’est pas jojo)

Les gauches sont bien à la peine à l’échelle mondiale. Trop radicales, elles perdent. Les moins radicales sont diabolisées. Toutes sont emportées dans un même mouvement. Pourtant, dans un monde où les vents de l’extrême droite soufflent fort, la social-démocratie n’a pas encore perdu la partie.
Par Loïc Le Clerc
Avoir moins de 20 ans dans la bande de Gaza
Récit 4 juin 2025 abonné·es

Avoir moins de 20 ans dans la bande de Gaza

Plus de 50 000 personnes au sein du territoire enclavé ont été tuées ou blessées par l’armée israélienne depuis le 7-Octobre. Mais le sort des survivants doit aussi alerter. Privée d’éducation, piégée dans un siège total au cœur d’une terre dévastée, toute la jeunesse grandit sans protection, sans espoir.
Par Céline Martelet
À Gaza, « les enfants sont en train d’être exterminés »
Entretien 4 juin 2025 abonné·es

À Gaza, « les enfants sont en train d’être exterminés »

Khaled Benboutrif est médecin, il est parti volontairement à Gaza avec l’ONG PalMed. La dernière fois qu’il a voulu s’y rendre, en avril 2025, Israël lui a interdit d’entrer.
Par Pauline Migevant
En France, la nouvelle vie des enfants de Gaza
Témoignages 4 juin 2025 abonné·es

En France, la nouvelle vie des enfants de Gaza

Depuis le début de la guerre dans l’enclave palestinienne, les autorités françaises ont accueilli près de cinq cents Gazaouis. Une centaine d’autres ont réussi à obtenir des visas depuis l’Égypte. Parmi ces réfugiés, une majorité d’enfants grandit dans la région d’Angers, loin des bombardements aveugles de l’armée israélienne.
Par Céline Martelet