Primaire populaire : un projet passable mais un résultat insuffisant

Le processus d’investiture pour la présidentielle remporté par Christiane Taubira est rejeté par les partis de gauche.

Patrick Piro  • 1 février 2022 abonné·es
Primaire populaire : un projet passable mais un résultat insuffisant
Christiane Taubira signe la charte d’engagement de la Primaire populaire, à l’issue des résultats, le 30 janvier.
© Corinne Simon/Hans Lucas/AFP

Drôle de soirée « électorale », dimanche soir. La Primaire populaire a livré son résultat vers 19 h 15, avec quarante minutes de retard, dans une ambiance de pièce de théâtre scolaire et dénuée de l’émotion propre à l’incertitude des scrutins. Car, sans surprise, « la personne arrivée en tête est Mme Christiane Taubira », annonce Clara Gérard-Rodriguez, présidente de la haute autorité de contrôle du vote. L’ex-ministre de la Justice de François Hollande est donc intronisée par la Primaire populaire, qui soutiendra sa candidature à l’élection présidentielle et participera activement, « dès demain », à sa campagne. Parmi les sept personnalités en lice, elle a obtenu la meilleure mention (« bien plus ») à l’issue du « jugement majoritaire » exercé en ligne par 392 738 votant·es (84,1 % des 466 895 inscrit·es) (voir encadré). Suivent Yannick Jadot (« assez bien plus »), Jean-Luc Mélenchon (« assez bien moins »), Pierre Larrouturou (« passable plus »), Anne Hidalgo (« passable plus »), Charlotte Marchandise (« passable moins ») et Anna Agueb-Porterie (« insuffisant »).

L’idée de cette Primaire populaire est née il y a un an avec la création de l’association 2022 ou jamais. Réunissant des entrepreneurs « sociaux » et des militants, elle veut pousser à l’émergence d’une candidature commune de la gauche et de l’écologie, redoutant que la multiplication annoncée des postulant·es ne condamne le camp progressiste à jouer à nouveau les utilités lors du scrutin d’avril prochain. La Primaire populaire constitue un socle programmatique synthétisant des propositions issues de plusieurs plateformes de la société civile, et instaure un mécanisme de « désignation sans candidature » : moyennant le « parrainage citoyen » d’au moins 500 personnes, des noms sont proposés. Les dix personnalités les plus plébiscitées par les visiteurs du site sont retenues. Trois se retirent (Clémentine Autain, François Ruffin, Gaël Giraud), non désireux de s’engager dans la course présidentielle.

Le nerf de la guerre

La Primaire populaire annonce avoir reçu plus de 1 million d’euros de dons issus de particuliers, qui ont servi principalement à rémunérer les salaires de 18 équivalents temps-plein. Alors que la moitié des montants sont inférieurs à 20 euros, « plus de 25 000 personnes ont contribué à l’effort financier, se félicite Mathilde Imer. Nous n’en attendions vraiment pas autant, c’est une mesure, avec le nombre de votants, de la volonté de changement des citoyens ». La Primaire populaire a également reçu 175 000 euros sous forme de prêts, « que nous n’aurons aucun mal à rembourser », affirme sa porte-parole. La Primaire populaire, qui publie ces chiffres ainsi que la liste des personnes ayant donné plus de 200 euros, a été interpellée sur la légalité de son activité au regard des règles de financement en vigueur. Son avocat invoque le code électoral : les dépenses d’organisation d’une primaire ne sont pas affectées aux comptes de campagne des personnes en lice. Seules les dépenses pour la personne investie entreront dans ses comptes de campagne, à partir du moment où l’organisation contribue financièrement à son soutien.

Mais avant même l’ouverture du scrutin, tenu entre le 27 et le 31 janvier, l’échec de l’ambition du rassemblement est très largement consommé. Le projet est fragilisé dès l’origine par la volonté sans faille de Jean-Luc Mélenchon de maintenir sa candidature, déclarée dès novembre 2020. Il ne prospérera pas plus après l’échec de Yannick Jadot de se poser en rassembleur, au printemps 2021, avant que le Pôle écologiste (regroupement de cinq partis, dont le principal, EELV) ne décide d’organiser sa propre primaire, qui désignera Jadot en septembre. Tout à leur logique, les deux principaux candidats de la gauche et de l’écologie récusent le processus de la Primaire populaire. Intronisée par le Parti socialiste, Anne Hidalgo fera finalement de même, en dépit de la vaine et courte valse-hésitation d’un appel à ses concurrents, en décembre, pour qu’ils s’y rallient avec elle.

Parmi les ténors en lice, trois se retrouvent donc soumis au vote à leur corps défendant. La quatrième, c’est Christiane Taubira, qui caracolait en tête depuis des semaines au palmarès des soutiens affichés sur le site. Elle soumet la formalisation de sa candidature à son intronisation par le « jugement majoritaire ». CQFD : très tardivement déclarée « partante » à la course présidentielle et créditée de moins de 5 % des intentions de vote en population générale, elle détient désormais l’onction d’une Primaire populaire pour se prévaloir d’une légitimité de rassembleuse de la gauche et de l’écologie. Christiane Taubira a souhaité revêtir cette tunique quelques minutes après la proclamation du résultat, dimanche soir, dans un long discours qui cherchait le souffle des envolées historiques, convoquant les grandes figures tutélaires de la gauche, de l’antiracisme, de l’écologie et du féminisme.

« Avec près de 400 000 votants, nous avons mobilisé le plus important contingent citoyen de la séquence politique. »

Celle qui déclarait en septembre ne pas vouloir « ajouter une candidature » qui contribuerait à « l’éparpillement à gauche » se retrouve dans l’obligation de se consacrer avant toute chose à appeler « Anne, Yannick, Jean-Luc » et même « Fabien » (Roussel, candidat communiste qui n’était pas en lice de la Primaire populaire) : alors que la « primaire populaire » s’est reconvertie en une « investiture par défaut », c’est à Christiane Taubira d’œuvrer à l’improbable rassemblement. Elle dispose d’un mandat « pour initier ces rencontres et les faire aboutir », écrit Gérard Filoche, porte-parole de la Gauche démocratique et sociale, un temps dans les rangs des personnalités nominées par le processus. « Y compris en proposant de se retirer pour y parvenir. »

Cette dernière hypothèse n’est pas la moins probable. Car les fins de non-recevoir se sont confirmées dès dimanche soir. « À 70 jours du scrutin présidentiel, cette histoire n’est pas très sérieuse », critique Adrien Quatennens, coordinateur de La France insoumise. Ce que Yannick Jadot entend dire à Christiane Taubira ? « Rien. » Consciente du blocage persistant des appareils, elle en a appelé à leurs dirigeants locaux, élus et militants pour les contourner et trouver des sources de ralliement, notamment pour décrocher les 500 parrainages nécessaires à sa participation éventuelle au scrutin présidentiel. Demande équilibriste : à l’automne dernier, les animateurs de la Primaire populaire exprimaient leur intention d’entraver cette quête pour les candidat·es que présentent les partis.

Aussi ne lui restera-t-il peut-être très vite, comme ultime espoir, qu’un bond dans les sondages pour convaincre la concurrence que sa mission trouve un écho favorable auprès de l’opinion. « Il faut nous donner quinze jours », plaide Charlotte Marchandise, qui annonce qu’elle votera blanc si l’union ne se fait pas.

En attendant, cette investiture génère davantage de marasme que de débouchés, pour le pôle de gauche et de l’écologie, dont l’atomisation s’accentue à ce stade. La nouvelle venue ponctionne des voix à Yannick Jadot et surtout à Anne Hidalgo, tombée en dessous de 5 % des intentions depuis plus de deux mois. Le Parti socialiste, déjà en grande difficulté, n’a pas évité à sa candidate la claque symbolique d’une cinquième place (sur sept) à la Primaire populaire, en dépit d’appels aux militant·es socialistes à y participer massivement. Et si Jean-Luc Mélenchon ne concourt actuellement que pour la place de premier de la catégorie, il pourrait être le moins affecté par l’aventure de Christiane Taubira, que ses dernières interventions classent dans une gauche très modérée. Ses déclarations concernant les droits de succession, dans lesquelles la candidate fixe à 4,2 millions d’euros le seuil à partir duquel « on peut fiscaliser de façon sérieuse », ont crispé l’ensemble des forces de gauche.

Mathilde Imer, porte-parole de la Primaire populaire, se refuse à tirer des enseignements sur les obstacles de l’entreprise, donnant rendez-vous en avril pour juger de sa réussite. « La déprime envers les partis politiques n’a pas attendu notre initiative pour s’exprimer. Avec près de 400 000 votants, nous avons mobilisé le plus important contingent de départage citoyen de la séquence politique, et ils ont fait le choix de rebattre les cartes à gauche dans la bataille de la justice sociale et de l’écologie. Par ailleurs, une moitié des électeurs n’a pas encore fait son choix pour la présidentielle », souligne-t-elle.

D’abord concentrés sur le scrutin d’avril, les initiateurs de la Primaire populaire ne font cependant pas mystère de penser à la suite. Samuel Grzybowski, porte-parole, imagine reproduire le processus pour les élections intermédiaires. Et d’abord les législatives, où le mouvement pourrait labelliser des candidatures, s’installant dans un rôle d’acteur politique à part entière. Des inquiétudes s’expriment sur le devenir des données collectées par la plateforme numérique. Soulignant l’inspiration centriste de certaines interventions des animatrices et animateurs de la Primaire populaire, une tribune publiée, lundi 31 janvier, par Le Monde, signée, entre autres, par l’économiste Pierre Khalfa, redoute déjà de les voir « utiliser l’aspiration à l’unité des gauches et de l’écologie pour promouvoir un social-libéralisme repeint en vert ».

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