COP15 : un accord ambitieux… sur le papier

Après deux semaines de négociation, les 196 pays réunis à Montréal pour la 15e Conférence des Parties sur la biodiversité (COP15), sont parvenus à un accord. Annoncé comme « historique », il demande à être concrètement mis en œuvre par les États.

Rose-Amélie Bécel  • 20 décembre 2022
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COP15 : un accord ambitieux… sur le papier
Le président de la COP15 et ministre chinois Runqiu Huang au Palais des Congrès de Montréal, le 19 décembre 2022.
© David Himbert / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP.

On connaît davantage les COP sur le climat, dont la 27ème a eu lieu en Égypte en novembre, mais il existe aussi des COP sur la biodiversité. Depuis l’adoption de la Convention sur la diversité biologique lors du sommet de la Terre de Rio en 1992, les États signataires se réunissent tous les deux ans pour engager une mobilisation mondiale sur la conservation de la biodiversité.

Organisée entre le 6 et le 19 décembre, cette 15e Conférence des Parties sur la biodiversité (COP15) était présidée par la Chine, mais s’est tenue à Montréal en raison de la pandémie de covid-19. L’accord, baptisé Kunming-Montréal (du nom des deux villes où il a été conclu), a été signé au petit matin ce lundi 20 décembre. Son objectif est ambitieux : établir un plan capable d’enrayer l’effondrement de la biodiversité pour la décennie à venir.

Car il y a urgence à agir. Selon le dernier rapport de l’IPBES (la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) sur la biodiversité, 75 % de la planète est « altérée de manière significative » par les activités humaines. Environ un million d’espèces animales ou végétales – sur les huit millions d’espèces existantes – sont menacées d’extinction.

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Des objectifs (enfin) chiffrés

Le plan précédent, adopté en 2010 lors de la COP10 de Nagoya au Japon, avait pour principal défaut de ne pas fixer d’objectifs chiffrés pour remédier à la destruction du vivant. À cet égard, l’accord conclu lors de la COP15 fixe des objectifs plus concrets. D’ici à 2030, un tiers des surfaces terrestres et maritimes devra être classé parmi les aires protégées, contre 17 % des terres et 8 % des mers aujourd’hui. L’accord appelle également à restaurer 30 % des terres dégradées par l’activité humaine.

Durant ces deux semaines de négociations, la question des aides financières allouées à la protection de la biodiversité a aussi été vivement débattue. Les pays du sud défendaient la création d’un fonds dédié à la biodiversité et réclamaient le versement d’une aide de 100 milliards de dollars par an. Les pays du nord, l’Union européenne en tête, ont refusé la création de ce fonds spécifique, préférant conserver l’actuel Fonds mondial pour l’environnement.

À ce sujet, l’accord final est le fruit d’un compromis, proposé par la Colombie. Un fonds dédié à la biodiversité sera créé au sein même du Fonds mondial pour l’environnement, avec l’objectif de distribuer 20 milliards de dollars d’aides par an à partir de 2025 et 30 milliards à partir de 2030.

ZOOM : La biodiversité en chute libre

– Selon un rapport de l’IPBES, 75 % des milieux terrestres et 40 % des systèmes marins sont fortement dégradés.

– Selon le rapport Planète vivante 2022 du WWF, entre 1970 et 2018, les effectifs des populations de vertébrés sauvages (mammifères, oiseaux, amphibiens, reptiles et poissons) ont chuté des deux tiers.

– Selon la Liste rouge des espèces menacées en France, 14% des mammifères, 24% des reptiles, 23% des amphibiens et 32% des oiseaux nicheurs sont menacés de disparition sur le territoire métropolitain.

Considérer les peuples autochtones

En plus des 196 États réunis à la COP15, des représentants des peuples indigènes étaient présents lors des négociations. Ces communautés, environ 5 % de la population mondiale, sont essentielles à la protection du vivant car elles vivent sur des territoires qui abritent 80 % de la biodiversité.

Nadia Belaidi, chercheuse au CNRS spécialisée en droit international de l’environnement, était à Montréal pour observer la participation des peuples autochtones à cette COP15. « Dans le cadre des COP, ce sont les États qui votent. Les populations autochtones n’ont pas participé à la conclusion de l’accord, mais elles ont été consultées. En étant incluses dans les discussions, leur responsabilité dans la conservation de la biodiversité a été reconnue », explique-t-elle.

La responsabilité des autochtones dans la conservation de la biodiversité a été reconnue.

Ainsi, en mentionnant les populations autochtones, l’accord final de la COP15 doit permettre d’éviter que la protection de la biodiversité ne se fasse à leurs dépens. « L’objectif de protection de 30 % des espaces terrestres et maritimes faisait planer un risque d’exclusion des peuples autochtones de ces espaces. Car, généralement, une aire protégée implique qu’elle ne soit pas peuplée. En reconnaissant leur rôle positif dans la conservation de la biodiversité, l’accord atténue cette crainte », résume Nadia Belaidi.

Un « accord d’enfumage » ?

Julien Rochette, chercheur à l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales), était également présent à Montréal lors des négociations. Pour lui, l’une des avancées significatives de cet accord réside dans l’adoption d’un « mécanisme de redevabilité », grâce auquel « les États signataires ont l’obligation d’élaborer une stratégie de mise en œuvre des objectifs définis dans l’accord et d’en rendre compte au niveau mondial ». Toutefois, si ces stratégies nationales sont finalement jugées insuffisantes, les États n’auront aucune obligation de rehausser leurs ambitions.

Du côté des associations de défense de l’environnement, l’accord peine à convaincre. Dans un communiqué, le président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) Allain Bougrain Dubourg considère que l’accord « préserve l’essentiel, mais ne règle rien ».

L’accord préserve l’essentiel, mais ne règle rien.

Dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, Nele Marien, coordinatrice pour les forêts et la biodiversité de l’association Les Amis de la Terre, dénonce elle un texte qui « n’est pas dans les conditions pour pouvoir changer les problématiques profondes qui affectent la biodiversité », car il ne propose par exemple « aucune régulation sur les grandes entreprises » dont l’activité participe pourtant à la destruction du vivant.

Swann Bommier, chargé du plaidoyer au sein de l’ONG de protection des océans BLOOM, accuse de son côté les États d’avoir adopté un accord « d’enfumage », notamment au sujet de l’objectif d’atteindre 30 % d’aires protégées d’ici à 2030.

« L’objectif de communication est rempli auprès du grand public, car 30 % cela semble beaucoup. Mais dans les faits, la notion d’aires protégées mentionnée dans l’accord ne répond à aucun critère scientifique ». Ainsi, les États peuvent s’engager à protéger 30 % des aires marines sans y interdire l’exploitation des fonds marins et la pêche industrielle.

La notion d’aires protégées ne répond à aucun critère scientifique.

Sans apporter de définition claire à la notion de protection, cet accord ambitieux sur le papier laisse aux États la possibilité de proclamer comme « protégés » des espaces où la destruction du vivant continue. En attendant que les gouvernements passent aux actes, l’extinction des espèces se poursuit.

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Écologie
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