Exclu Politis / Violences policières : toujours plus de mis en cause et toujours moins de poursuites

Politis a obtenu les chiffres inédits du traitement judiciaire des violences policières de 2016 à 2021. Ils montrent l’explosion du nombre de mis en cause (+ 57 %) et mettent en avant un traitement judiciaire favorisé par rapport à la population générale. Analyse.

Nadia Sweeny  • 22 décembre 2022
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Exclu Politis / Violences policières : toujours plus de mis en cause et toujours moins de poursuites
Des policiers français à Nantes, en octobre 2022.
© LOIC VENANCE / AFP.

Comment la justice traite les dossiers de violences policières ? Jusque-là, il était difficile d’avoir une analyse quantifiée : les chiffres étaient inaccessibles (lire la note de mise à jour à la fin de cet article). Suite à nos demandes, le bureau des statistiques du ministère de la Justice nous a finalement communiqué les premiers chiffres concernant le « traitement des auteurs dans les affaires de violences volontaires par personnes dépositaires de l’Autorité Publique » (PDAP), c’est à dire les policiers, les gendarmes, les policiers municipaux, etc.

Plus 57 % de mis en cause

Premier élément qui saute aux yeux : la forte hausse du nombre de PDAP mises en cause pour violences volontaires en cinq ans. Elles étaient 534 en 2016, elles sont 836 en 2021, soit une augmentation de 57 %. L’accroissement annuelle la plus nette intervient entre 2019 et 2020 : on passe de 596 mis en cause à 752 – soit une hausse de 26 % en une année seulement. 

En revanche, la part des auteurs poursuivis baisse. Ainsi quand en 2016, 22 % des personnes mises en cause ont été poursuivies, elles ne sont plus que 16 % en 2019. 17,5 % en 2021.

Traitement judiciaire des PDAP

Pour comparaison, en 2019 dans la population générale, 32 % des mis en cause pour violences volontaires (hors cadre familial) ont été poursuivis. Soit un rapport du simple au double. En 2019, les PDAP sont deux fois moins poursuivies que la population générale pour violences volontaires.

En 2019, les PDAP sont deux fois moins poursuivies que la population générale pour violences volontaires.

Inégalités

Quels sont les leviers judiciaires qui aboutissent à ces résultats ? Le premier réside d’abord dans la mise de côté des affaires considérées « non poursuivables » (terme utilisé par le ministère). Une catégorie composée d’affaires classées pour « absence d’infraction » mais surtout pour « infraction mal caractérisée », due en majorité à des problèmes de preuves.

La part des classements pour « infractions mal caractérisés » est d’ailleurs en forte hausse depuis cinq ans dans les dossiers de violences volontaires par PDAP. En 2016, l’infraction mal caractérisée concernait 55% des auteurs déclarés « non poursuivables ». En 2021, cette justification en implique 70 %, démontrant une sérieuse propension à la problématique de la preuve dans ces affaires. Une réalité qui met en cause la manière dont sont menées les enquêtes.

Sur le même sujet : Violences policières : un œil et dix ans de perdus

Par conséquent, en 2016, 67 % des PDAP mises en cause sont classés « non poursuivables » contre 70 % en 2019 et 74 % en 2021.  Par comparaison, en 2019 dans la population générale, seuls 33 % des auteurs mis en cause pour violences volontaires ont été classés « non poursuivables ». Un taux similaire (33 %) à l’année 2021, toutes infractions confondues. Les PDAP sont 2,5 fois plus « non poursuivables » que la population générale.

Restent donc les affaires dites « poursuivables ». Là encore, d’autres tris s’appliquent via notamment le classement sans suite pour « inopportunité des poursuites ». Il s’agit d’un classement décidé par le procureur lorsque les recherches sont déclarées infructueuses, qu’il y a carence du plaignant ou quand il estime que la responsabilité de la victime est engagée.

En 2016, 15 % des PDAP « poursuivables » en ont bénéficié, 23 % en 2018 et 2019, et 12 % en 2021. Par comparaison, en 2019 dans la population générale, 14 % des auteurs de violences volontaires ont vu leur dossier classé pour les mêmes raisons.

Ensuite, les auteurs peuvent bénéficier de mesures alternatives aux poursuites. Chez les PDAP, 18 % des auteurs de violences volontaires « poursuivables » en bénéficient en 2016, 25 % en 2018 et 2019, et 22% en 2021. Dans la population générale, en 2019, 36% des auteurs de violences volontaires ont pu accéder à ces alternatives. Le seul taux qui traduit un traitement privilégié de la population générale par rapport aux PDAP.

Toute cette mécanique favorise un nombre restreint de poursuites effectives.

Toute cette mécanique favorise cependant un nombre restreint de poursuites effectives et par conséquent, de personnes dépositaires de l’autorité publique finalement condamnées.

Sur le même sujet : Violences policières : la justice face à son tabou

En 2016, 10 % des PDAP mises en cause pour violences volontaires ont été condamnées. Même chose en 2019. En 2020 on tombe à 6 % pour remonter à 10 % en 2021.  Les nombre de condamnés fluctue beaucoup entre 2020 et 2021. Une évolution que l’on peut attribuer aux effets de la crise sanitaire – baisse et reprise de l’activité judiciaire. Pour mieux se rendre compte de la tendance, nous avons calculé ce taux sur les deux années. Ainsi en 2020/2021, 8 % des mis en cause ont finalement été condamnés.

Nous n’avons pour le moment pas eu accès au nombre de personnes condamnées pour violences volontaires afin de pouvoir effectuer une comparaison avec la population générale précisément sur cette qualification juridique.

Cependant, pour toutes infractions confondues, 23 % des personnes mises en cause ont été condamnées en 2021 (462 147 condamnés pour 1 970 776 auteurs mis en cause).

Mais pour avoir une idée plus précise de l’action de jugement, il faut regarder la part des condamnés sur le nombre de personnes poursuivies. En 2016, 46% des PDAP poursuivis ont été condamnées. En 2019, 63 %. Un taux qui retombe à 30 % en 2020 puis remonte à 60 % en 2021 (45 % pour les années 2020/2021).

Politis mettra à jour la comparaison avec le traitement judiciaires des violences volontaires en population générale dès transmission des éléments chiffrés manquants.

Pour comparaison dans la population générale, toutes peines confondues, 70 % des personnes poursuivies ont été condamnées en 2021 (462 147 condamnés sur 659 467 poursuivis). Les PDAP autrices de violences volontaires sont donc proportionnellement moins poursuivies et moins condamnées que la population générale, alors même que leur qualité induit une aggravation de la qualification juridique.

Mais quels sont les types de peines auxquelles ils sont condamnés ? Politis a aussi obtenu les chiffres détaillés des condamnations violences volontaires depuis dix ans, un article à lire ici.


Ces données étant d’utilité publique, Politis publie ci-dessous les documents transmis par le ministère de la Justice.

Source : ministère de la Justice.
Source : ministère de la Justice.

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Mise à jour • 22 décembre 2022

Cet article (initialement publié le 14 décembre) et certaines informations ont été modifiés le 22 décembre suite à des variations de données et d’interprétations opérés par le ministère de la Justice. Dans le même temps, le ministère nous a transmis de nouveaux éléments, accompagnés de cette note : « Les données des condamnations 2019 définitives, 2020 semi-définitives et 2021 provisoires ont été mises à disposition. Ainsi, les données 2019 et 2020 ont été mises à jour, et les données 2021 ajoutées, par rapport à l’envoi précédent. » Les modifications qui en découlent sont donc indépendantes de notre volonté. Aussi, à la demande de nombreux lecteurs, nous avons établi une comparaison – quand cela était possible – avec le traitement pénal dans la population générale.

Police / Justice
Publié dans le dossier
Violences policières, tabou judiciaire
Temps de lecture : 6 minutes
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