Pour une autre liberté de la presse

Les mesures qui permettraient d’affranchir les médias des puissances d’argent ne manquent pas. À la gauche de s’en ressaisir pour que la liberté de la presse ne se réduise pas à celle de ses propriétaires.

Dominique Pinsolle  • 20 janvier 2023
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Pour une autre liberté de la presse
© Mr Cup / Fabien Barral / Unsplash.

L’embarras dans lequel l’affaire Boyard/Hanouna a plongé la gauche révèle à quel point la transformation des médias s’est effacée de l’horizon progressiste.

À bas la presse bourgeoise ! Deux siècles de critique anticapitaliste des médias, de 1836 à nos jours, Agone, « Contre-feux », 2022.

Pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi. Dès l’apparition d’une presse populaire bon marché largement financée par la publicité, en 1836, des critiques se sont élevées contre la marchandisation des journaux. Socialistes et républicains s’insurgent régulièrement, dans les décennies suivantes, contre l’influence de l’argent et la mainmise de la bourgeoisie sur l’information.

Mais la loi de 1881, qui consacre la liberté de la presse en France, entérine le fait que les journaux sont des entreprises comme les autres, soumises au même impératif de rentabilité et susceptibles d’être vendues au plus offrant. Cette législation émancipe ainsi l’information de la tutelle étatique tout en la laissant à la merci des milieux d’affaires.

Nombreux sont alors les socialistes et les syndicalistes à renoncer à tout espoir d’amender à la marge un système médiatique fondamentalement vicié. Car comme le résume Jean Jaurès en 1897 en répondant à une enquête sur la « moralisation » de la presse » : « Les journaux ne sont […] plus, dans l’ensemble, que des outils aux mains du capital et il me paraît tout à fait vain, je l’avoue, de chercher par quelle combinaison subtile on fera entrer le capitalisme dans la catégorie de la « moralité ». Il est d’un autre ordre ».

L’accent est alors mis sur la contre-propagande, en dotant la classe ouvrière de ses propres organes d’information (comme L’Humanité, lancé en 1904). Mais la lutte est inégale, et ce sont les structures économiques du journalisme qui sont progressivement remises en cause. « Vous voulez une presse libre ? Nationalisez-la ! », s’enflamme Léon Blum dans Le Populaire, en 1928. Son projet de service public de l’information ne voit jamais le jour, mais les Résistants reprennent l’idée d’une intervention de l’État pour rebâtir une presse intègre et vertueuse à la Libération.

Malgré les mesures anti-concentration prises en 1944, le capitalisme médiatique reprend rapidement ses droits, tandis que la radio et la télévision restent cadenassées par l’État. Un double front de résistance s’ouvre alors. Dans les journaux, les sociétés de rédacteurs tentent, dans les années 1960, de préserver leurs entreprises des appétits financiers.

Fiasco de la loi socialiste anti-concentration

À l’ORTF, on ferraille surtout contre le pouvoir gaulliste, mais les syndicats défendent aussi l’idée d’un service public de l’audiovisuel, indépendant du gouvernement comme des capitaux privés. Une télévision de qualité à l’écoute de son personnel et de son public, également ouverte au Parlement, aux grandes centrales syndicales et aux partis politiques ? Des radios libres qui ne seraient pas vouées à devenir des stations marchandes ? Une presse enfin débarrassée de ses magnats ? Voilà quelques-uns des espoirs qui accompagnent l’accession de la gauche au pouvoir, en 1981.

Avec le fiasco de la loi anti-concentration de 1984 et la privatisation partielle de l’audiovisuel, les socialistes rompent avec tous les projets portés par les forces progressistes depuis au moins l’entre-deux-guerres en matière d’information. L’heure est au triomphalisme de Robert Hersant, aux jingles d’NRJ et aux paillettes de Silvio Berlusconi sur La Cinq.

Il faut attendre les grèves de novembre-décembre 1995 et l’émergence du mouvement altermondialiste pour voir se structurer le courant de la critique radicale des médias, qui renoue avec un combat interrompu dans la décennie précédente. Acrimed, ou encore les journaux Pour Lire Pas Lu (PLPL) puis Le Plan B, réactualisent l’exigence d’une transformation profonde des médias.

Statut particulier limitant la lucrativité des entreprises de presse et assurant leur contrôle par ceux qui les animent, nouvelles mesures anti-concentration, mise en commun de l’infrastructure matérielle de fabrication, d’administration et de diffusion des journaux… Les mesures qui permettraient d’affranchir les médias des puissances d’argent ne manquent pas. À la gauche de s’en ressaisir pour que la liberté de la presse ne se réduise pas à celle de ses propriétaires.

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