De « connerie » en vilenie

Malgré sa promesse d’arrêter le journalisme, Jean-François Kahn écrit toujours des articles et des livres. Dans le dernier, il met sur le même plan gauche antifasciste et extrême droite néofasciste. L’éditocratie réactionnaire applaudit.

Sébastien Fontenelle  • 24 mai 2023
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De « connerie » en vilenie
Jean-François Kahn, en 2012.
© BERTRAND GUAY / AFP.

En 2011, le journaliste Jean-François Kahn (also known as JFK), fondateur notamment de l’hebdomadaire L’Événement du jeudi et du magazine Marianne, avait tranquillement déclaré que l’agression de Nafissatou Diallo par Dominique Strauss-Kahn (also known as DSK) était, certes, tout à fait regrettable, mais qu’il était quant à lui « certain, pratiquement certain qu’il n’y a(vait) pas eu une tentative violente de viol » (1). Puis d’insister : « J’en suis certain, je connais le personnage. » (Je le connais, je sais qu’il n’est pas comme ça, il me l’aurait dit.)

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À ne pas confondre avec la tentative non violente de viol.

JFK avait ensuite ajouté que, plutôt que d’un viol, donc, il convenait de parler d’« une imprudence » ou d’« un troussage de domestique », avant de conclure : « Ce n’est pas bien. » (Faut pas faire ça, mon personnage.)

Forcément, cette édifiante saillie avait soulevé dans l’opinion une assez vive émotion. Résultat : JFK, vexé, s’était mis en colère et avait annoncé urbi et orbi – après avoir tout de même reconnu qu’il avait proféré, sur l’affaire DSK, « une connerie » – que, puisque c’était comme ça (et puisqu’on ne pouvait décidément plus rien dire), il arrêtait le journalisme.

Douze ans plus tard, JFK écrit toujours des articles – et des livres. Et dans le dernier, qui vient de paraître, il lance ce cri d’alarme : « La tentation des extrêmes risque de conduire à la guerre civile. » 

Quand JFK met sur un même plan l’extrême gauche antifasciste et l’extrême droite ‘néofasciste’, il minimise la dangerosité de la seconde. 

Évidemment, la presse de droite acclame cette extravagance. (L’hebdomadaire Le Point, par exemple, s’extasie : « Jean-François Kahn se paie les extrémistes. ») Car bien sûr, quand JFK met sur un même plan l’extrême gauche antifasciste qui a été de toutes les luttes contre tous les totalitarismes – et qu’il présente comme un « néobolchevisme » – et l’extrême droite « néofasciste », il minimise, de fait, par cette mise à égalité, et pour la plus grande satisfaction de l’éditocratie réactionnaire, la dangerosité de la seconde. 

Et cela peut le mener loin. Voire trop loin. Voire beaucoup trop loin. Le 17 mai dernier, il a ainsi – et très tranquillement – déclaré à la télévision : « J’ai couvert très longtemps toutes les crises en Amérique latine, et l’arrivée au pouvoir des dictateurs, des dictatures. La façon dont, en Argentine, au Brésil, au Chili, une certaine gauche radicale, par ses excès, a favorisé l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite et de militaires, je peux vous dire, je ne l’oublierai jamais. C’est une expérience que je n’oublierai jamais. »

JFK suggère donc, pour ne prendre que cet exemple, que c’est parce que Salvador Allende – candidat de la gauche unie démocratiquement élu en 1970 pour ouvrir une « voie chilienne » non-violente « vers le socialisme » en proposant à la population de ce pays un meilleur partage des richesses – était trop radical qu’il a été renversé en 1973 par le coup d’État militaire du fasciste Pinochet : on ne sait plus trop si c’est encore « une connerie » ou une vilenie.

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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