Assa Traoré : « Les autorités ont peur que l’on s’organise politiquement »

Assa Traoré juge éminemment politiques les décisions préfectorales d’interdire la marche annuelle samedi 8 juillet en hommage à son frère Adama – tué par les gendarmes en 2016 –, ainsi que le rassemblement place de la République à Paris.

Hugo Boursier  • 7 juillet 2023
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Assa Traoré : « Les autorités ont peur que l’on s’organise politiquement »
Assa Traoré, à Paris, le 7 mai 2023.
© ANNA KURTH / AFP

Article mis à jour le 8 juillet à 11 h 50.

C’est une décision qui risque d’accroître le fossé entre les attentes d’une grande partie des jeunes des quartiers populaires et les autorités. Le 6 juillet, la préfecture du Val-d’Oise a annoncé qu’elle envisageait d’interdire la marche annuelle organisée par le Comité Adama à Persan, depuis la mort d’Adama Traoré le 19 juillet 2016. Mais derrière un prétexte d’ordre sécuritaire, cette décision est résolument politique pour Assa Traoré. L’autre rassemblement, place de la République à Paris ce samedi à 15 heures, annoncé suite à la première interdiction (confirmée par la justice), a, à son tour, été proscrit par la préfecture de police. Le Comité Adama maintient néanmoins son appel à s’y rassembler.

La préfecture du Val-d’Oise a annoncé qu’elle envisageait l’interdiction de la marche annuelle en hommage à votre frère, Adama Traoré, prévue demain à Persan. Avez-vous décidé de la maintenir ?

Quand on explique qu’il faut organiser cette colère, en marchant, en débattant, on nous l’interdit.

Assa Traoré : Oui. Ce n’est pas la préfecture qui décide si le Comité Adama continue son combat ou pas. Ce n’est pas elle qui décide quand on marche ou pas. Ça fait sept ans qu’on organise cet événement et ça s’est toujours très bien passé. Il n’y a jamais eu aucun débordement. Les habitants de Beaumont attendent cette marche chaque année. Des artistes viennent, il y a des jeux gonflables pour les enfants. Les autorités veulent interdire un événement familial alors que de leur côté, la police tue, la police blesse. C’est inacceptable.

Quel signal envoient-elles ?

Le gouvernement n’a de cesse d’appeler au calme. Il veut qu’il n’y ait plus de révoltes. Que les jeunes s’apaisent. Et quand nous, on explique qu’il faut organiser cette colère, en marchant, en débattant, on nous l’interdit. C’est contradictoire avec le message que le pouvoir envoie à la jeunesse. En réalité, la vérité et la justice, ce gouvernement n’en veut pas.

Le gouvernement refuse que cette colère s’organise politiquement ?

C’est exactement cela. Mais il pense que cette politisation se fait uniquement par la marche de demain. Que l’interdire empêche les jeunes de s’organiser. C’est faux. Ce que renvoie le Comité Adama dépasse largement la seule marche de demain.

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Le communiqué préfectoral indique que la possible présence de la mère de Nahel à la marche « peut fédérer, à elle seule, autour de l’événement des éléments perturbateurs ». Est-ce une forme de culpabilisation ?

C’est une honte. On tue son enfant et c’est elle la pestiférée ? C’est elle qu’on ne veut pas voir ? C’est elle la coupable ? Cette phrase est une honte. C’est gravissime. Cette femme n’est coupable de rien. Le gouvernement veut déshumaniser les victimes et leurs familles. De mon côté, je tiens à leur dire fermement : je fais partie d’une famille de victime mais je ne serai jamais leur victime. Jamais.

Les forces de l’ordre risquent d’être nombreuses demain. Craignez-vous des tensions ?

On n’a rien fait de mal. Quand on autorise l’extrême droite à marcher dans la rue, il faut balayer devant sa porte. Le gouvernement a choisi son camp. Celui de l’extrême droite. On n’aurait pas le droit de marcher pour nos morts, quand elle sort avec des drapeaux nazis ?

De quoi le gouvernement a-t-il peur ?

Ils ont compris le pouvoir du Comité Adama. Que l’on pouvait changer les choses. Que l’on pouvait s’organiser, au-delà de la marche. C’est eux qui ont peur. Ils ont peur de l’organisation collective que l’on peut créer avec cette jeunesse déterminée qu’ils répriment au quotidien.

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