À Niort, un procès des antibassines fourre-tout et sous haute tension

Vendredi 8 septembre neuf militants sont jugés en correctionnel, accusés d’avoir organisés ou commis des exactions lors de diverses mobilisations contre les méga-bassines dans les Deux-Sèvres, ces deux dernières années. La préfecture a interdit le rassemblement de soutien devant le tribunal judiciaire et impose un filtrage des entrées.

Nadia Sweeny  • 8 septembre 2023
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À Niort, un procès des antibassines fourre-tout et sous haute tension
Julien le Guet, le porte-parole du collectif « Bassines non Merci », ici lors d’une convocation à la gendarmerie de Niort, le 28 juin 2023, est l’un des neuf prévenus à ce procès.
© Philippe Lopez / AFP

Neuf prévenus, six avocats et cinq témoins sont attendus vendredi 8 septembre à 13h30 au tribunal correctionnel de Niort pour… une demi-journée de débats. L’audience risque de durer tant les profils sont nombreux, les faits reprochés et les actions visées différentes et multiples, même si elles concernent toutes des mobilisations contre les méga-bassines depuis 2022.

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Ainsi, le 26 mars 2022, à l’occasion du « Printemps maraîchin », plusieurs milliers de personnes se sont retrouvées pour manifester contre un des projets de bassine. Une cinquantaine d’entre elles a déterré, puis découpé deux tuyaux de canalisation d’irrigation utilisés pour une future méga bassine, avant d’en emporter un. Une action filmée et revendiquée par plusieurs organisations. Pour autant, seuls Sébastien Wyon de la Confédération paysanne, Joan Monga et Nicolas Bauvillain de « Bassines non merci » sont aujourd’hui poursuivis pour vol aggravé car commis en réunion. Ils ont par ailleurs, refusé de se soumettre aux opérations de relevé d’empreintes ou de prélèvement biologique, et sont aussi poursuivis pour ces délits.

Dégradations

Concernant la « grillades party » du 2 octobre 2022, une cinquantaine de personnes a voulu pique-niquer sur un terrain qui doit accueillir une future méga-bassine avant d’en être empêchés par les forces de l’ordre. Julien le Guet, porte-parole du mouvement « Bassines non merci », est aujourd’hui poursuivi pour l’organisation de cette manifestation non déclarée, participation à un groupement en vue de la préparation de violences ou dégradations de biens, vol et dégradations. Les gendarmes ont mené l’enquête : « Constatons qu’une grille est couchée au sol au même endroit où Julien Le Guet avait été observé en train de poser une banderole. Le démontage de cette grille s’est réalisé rapidement, un seul boulon étant nécessaire pour fixer cette grille à sa jambe de force », peut-on lire dans le compte rendu de l’enquête. Le tout, accompagné de photos des grillages désolidarisés de leur base en guise d’exemples de dégradations.    

Grand banditisme

Ce jour là, le groupe s’était aussi rendu à la coopérative agricole Océalia, qui participe au projet de bassine. Là, les militants « s’autorisent à jouer à une « bataille de grains de maïs » », peut-on lire dans le rapport de gendarmerie qui constate là encore, une action « de dégradations (piétinements d’une matière première agricole) » ainsi que celui d’un panneau de la société Océalia tagué d’un « Complice signataire du protocole ». Julien le Guet est aussi accusé du vol d’une pelle à grain qui sera pourtant retrouvée par un agriculteur à quelques mètres du site.

Des moyens d’enquêtes d’habitude utilisés contre le terrorisme ou le grand banditisme.

Pierre Huriet, avocat de la défense

L’ensemble de ces enquêtes, basées essentiellement sur des éléments publiés sur internet par les organisations elles-mêmes, sont menées par la section de recherche de Poitiers, pourtant habituellement saisie sur de la criminalité de haut-niveau. « Le parquet de Niort fait appel à des enquêteurs d’élite pour des infractions en bas de l’échelle pénale. Il y a une augmentation de la répression et par cette dramatisation, une hausse des moyens d’enquêtes d’habitude utilisés contre le terrorisme ou le grand banditisme, dénonce maître Pierre Huriet, avocat de la défense. C’est un énorme gâchis de moyens humains, qui tend vers la considération que finalement, tout se vaut. »

Action collective

Pour la manifestation du 29-30 octobre 2022, cinq des neuf prévenus sont poursuivis pour organisation d’une manifestation interdite sur la voie publique. Julien Le Guet et Joan Monga de Bassines non merci, Nicolas Guarrigues, porte-parole des Soulèvements de la terre mais aussi Hervé Augun, co-délégué départemental Solidaires 79, David Bodin secrétaire de l’union départementale de la CGT.  Les syndicalistes sont visés pour avoir déposé au nom de leur organisation respective, une déclaration de manifestation par la suite interdite par la préfecture. Le parquet en a donc déduit qu’ils étaient organisateurs de la manifestation interdite. « Pourquoi le parquet attaque un individu et non une personne morale alors que le syndicat est clairement engagé ? Cette procédure vise à faire peur. À diviser et dissuader. Le message est « n’importe qui peut être visé » », clame maître Alice Becker, avocate de M. Bodin.

Cette procédure vise à faire peur. À diviser et dissuader.

Alice Becker, avocate

 « Organiser une manifestation est un comportement positif comme faire des réservations, louer du matériel, etc. Ce n’est pas envoyer des messages pour dire « il y a une manifestation, allons-y ! », ajoute maître Huriet qui défend Hervé Augun et Nicolas Garrigues. Cela pose la question fondamentale de la liberté d’expression : est-ce que relayer un message c’est participer à l’organisation ? Si oui, c’est extrêmement liberticide. » 150 organisations et mouvements ont soutenu cette mobilisation. « Le choix d’organiser et de maintenir la manifestation malgré l’interdiction préfectorale appartient seulement aux mouvements eux-mêmes, puisqu’il s’agit d’une décision collective prise par ces derniers, plaide maître Marie Dosé, avocate de Julien le Guet et Joan Monga dans ses conclusions. Son rôle se limitant à la transmission d’un message, le porte-parole n’est donc pas par définition un organisateur. »

Trauma sonore

Pour cette manif du 29 octobre, Julien le Guet est, là encore, accusé de participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences ou dégradations. Les affrontements avec la police ont été violents. « Toute initiative de contestation est interdite, c’est ce qui fait que ça dégénère », lance maître Alice Becker. Plusieurs gendarmes ont été blessés dont un a eu la mâchoire fracturée. Sur les vingt gendarmes qui ont porté plainte, dix-huit évoquent en des termes quasiment similaires, un « trauma sonore » faisant « suite aux tirs de mortiers » de manifestants. Pour autant, la gendarmerie déclare elle-même avoir tiré « 1 968 grenades type lacrymogène, 23 grenades de désencerclement, 11 grenades assourdissantes et 27 tir de LBD ».

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Il y avait « 10 % d’individus équipés et prêts à en découdre violemment avec les forces de l’ordre », selon les enquêteurs qui en sont persuadés : « Derrière son discours officiel qui encourage l’action jusqu’au-boutiste mais sans recours à la violence contre les personnes, ses agissements sur le campement nous démontre qu’au contraire Julien Le Guet la cautionne. Mais plus encore, en sa qualité d’organisateur de la manifestation interdite de Sainte Soline du 29-30 octobre 2022, il l’organise en s’appuyant sur une frange violente de participants (black blocs) afin d’arriver à ses fins, à savoir l’installation d’une ZAD sur le chantier de la SEV 15. »

Globalement, des faits similaires sont reprochés de nouveau à Julien Le Guet, Joan Monga et Nicolas Guarrigues, pour la manifestation du 25 mars 2023. Mais cette fois-ci les accusations visent aussi Nicolas Girod, ancien porte-parole de la Confédération paysanne et Benoit Jaunet, porte-parole de la Confédération paysanne 79.  Les deux agriculteurs sont mis en cause pour avoir participé au convoi de tracteurs venus sur le site ce week-end-là.

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Les neufs prévenus seront jugés en même temps, faisant de cette audience d’une demi-journée, une sorte de méga-procès des anti mégabassines. Les militants encourent des peines allant de 6 mois à 7 ans de prison (vol aggravé).

ZOOM : La manifestation devant le tribunal, interdite

Y aura-t-il une nouvelle une vague répressive devant le tribunal judiciaire de Niort ce vendredi 8 septembre ?

Alors que toutes les organisations concernées ont appelées à un rassemblement festif en soutien à leurs militants mis en cause, que de nombreuses personnalités sont attendues comme Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, Marine Tondelier, secrétaire nationale d’EELV, Mathilde Panot, présidente du groupe La France insoumise à l’Assemblée nationale, Benoît Biteau (EELV, député européen) ou encore Lisa Belluco (EELV, députée de la Vienne), la préfecture des Deux-Sèvres a de nouveau interdit, par arrêté préfectoral, tout rassemblement sur un périmètre englobant le tribunal judiciaire de Niort.

Ces mesures comprennent aussi un contrôle d’accès au périmètre et par conséquent, à la salle d’audience. Saisi en référé liberté par les avocats de la défense, le tribunal administratif de Poitiers a validé les mesures d’interdiction. « Les prévenus et leurs soutiens pourront bénéficier de 40 places, mais aussi une régulation des entrées et des sorties et la possibilité d’une rotation dans le public, les organisateurs s’étant engagés à fournir une liste des deux ou trois proches », peut-on lire dans la décision du tribunal administratif.

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