Rassemblements de soutien à la Palestine : Darmanin désavoué

Selon le Conseil d’État, les préfets ne peuvent pas s’appuyer sur le télégramme de Gérald Darmanin pour interdire les manifestations pro palestiniennes. L’institution estime aussi que le soutien à la Palestine n’est pas un motif d’interdiction suffisant.

Pauline Migevant  • 19 octobre 2023
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Rassemblements de soutien à la Palestine : Darmanin désavoué
Manifestation de soutien aux Palestiniens, place de la République à Paris, le 22 octobre 2023.
© Maxime Sirvins

« Les manifestations pro palestiniennes, parce qu’elles sont susceptibles de générer des troubles à l’ordre public, doivent être interdites » écrivait le ministre Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, dans son télégramme aux préfets du 12 octobre. L’association Comité Action Palestine avait formé un référé pour suspendre en urgence ce télégramme qui portait, selon elle, atteinte à la liberté fondamentale de manifester. Ce référé a été rejeté par le Conseil d’État, considérant que les libertés fondamentales n’étaient pas mises en danger. Il rappelle que seuls les préfets sont compétents pour estimer si les manifestations peuvent porter atteinte à l’ordre public. « Aucune interdiction ne peut être fondée uniquement sur ce télégramme ou sur le seul fait que la manifestation vise à soutenir la population palestinienne. », écrit-il de façon limpide dans un communiqué. Ces questions avaient été débattues le 17 octobre lors d’une audience d’une heure et demie.

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« Comment définit-on une manifestation pro palestinienne ? » « Est-ce que, concrètement, le préfet est opérationnellement capable de distinguer une manifestation de soutien à la population de Gaza qui vit une situation humanitaire dramatique d’une manifestation pro Hamas, ou anti-Israël ? » « Les manifestations pro Israël ne peuvent-elles pas elles aussi dégénérer ? » « Y a-t-il une doctrine d’emploi du télégramme ? », demandait le juge lors de l’audience du 17 octobre. Autant de questions permettant de lever les ambiguïtés entourant de ce télégramme, dont le Conseil d’État a déploré « la rédaction approximative »

Il est fondamental en démocratie aujourd’hui qu’il puisse y avoir une émotion collective sur ce qui se passe actuellement à Gaza.

Vincent Brenghart, avocat

« C’est un pas qui n’avait jamais été franchi » avait déclaré durant l’audience, l’avocat de l’association, Vincent Brenghart. Il s’inquiétait d’un « régime d’interdiction » des manifestations « absolu et général ». Et soutenait que ce télégramme, qui sonnait comme une instruction et qui avait été comprise ainsi par la presse, était de nature à remettre en cause la liberté fondamentale de manifester. « Il est fondamental en démocratie aujourd’hui qu’il puisse y avoir une émotion collective sur ce qui se passe actuellement à Gaza », a-t-il ajouté. Il a aussi noté la singularité de la France concernant l’interdiction des manifestations de soutien à la Palestine. « L’Allemagne aussi a interdit des manifestations après des slogans antisémites. », a répondu Pascale Léglise, directrice libertés publiques du ministère de l’Intérieur. « C’est sans doute à cause de notre histoire que la France et l’Allemagne ont voulu faire plus que d’autres pays pour la communauté juive. »

Amalgames

« C’est juste une phrase, pour demander aux préfets d’être vigilants dans les jours qui viennent », avait argué Pascale Léglise. « Le télégramme ne fait pas le travail des préfets », dont les arrêtés d’interdiction ne se fondent pas sur l’écrit du ministre mais sur des circonstances claires et précises prévues par le Code de sécurité intérieure. La jurisprudence Dieudonné a aussi été mentionnée : elle énonce notamment qu’une manifestation peut être interdite s’il y a un risque que soit commise une infraction pénale. En l’occurrence, la référente libertés publiques du ministère de l’Intérieur a mentionné « l’apologie du terrorisme » avec un soutien explicite au Hamas ou « à la résistance palestinienne quels qu’en soit les moyens. »

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De façon concrète, « on regarde l’organisation et son ADN, le mot d’ordre et son expression publique, et si localement il y a des actes antisémites », a-t-elle expliqué en donnant des chiffres illustrant les actes de cette nature comptés par le ministère de l’Intérieur. « 2 500 signalements d’actes antisémites depuis le 7 octobre dont 232 ont conduit à des judiciarisations ». Alors que Vincent Brenghart a souligné que des amalgames étaient faits « entre pro palestiniens et pro-Hamas, et antisionisme et antisémitisme », le ministère de l’Intérieur a affirmé n’avoir été confronté « qu’à des manifestations de cette teneur », c’est-à-dire « soutenant le Hamas ou la résistance palestinienne quels qu’en soient les moyens. »

Pour évoquer les manifestations interdites jusqu’ici, le ministère de l’Intérieur a décrit ce qu’elles n’étaient pas (et en creux, ce qu’elles devraient être pour être autorisées), à savoir « des rassemblements pacifiques pour la paix en Israël Palestine qui engloberait les deux parties dans la manifestation ». Surtout , selon la référente, ce n’étaient pas des manifestations avec des « bougies » et des « prières ». Sous-entendu : elles n’étaient pas assez silencieuses. « C’est une image », a-t-elle précisé lorsque l’avocat des associations l’a interpellée sur sa vision spécifique des manifestations. « Une image que vous avez employée à plusieurs reprises », a souligné Vincent Brenghart.

Quoi qu’il en soit, la décision du Conseil d’État « est un désaveu pour le ministère de l’Intérieur » selon ce dernier. Pas certain pour autant que les manifestations de soutien à la Palestine soient davantage autorisées. Deux manifestations prévues à Paris le 19 octobre au lendemain de l’ordonnance ont d’ores et déjà été interdites par la préfecture. L’une était organisée pour « demander la levée du blocus de Gaza et l’arrêt de la déportation des Palestiniens ». L’autre « en solidarité avec le peuple palestinien ».

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