Éric Dupond-Moretti, ou le délit à l’insu de son plein gré
Le garde des Sceaux a été relaxé des faits de prise illégale d’intérêts ce mercredi 29 novembre. La Cour de justice de la République a reconnu l’élément matériel de l’infraction mais considéré que l’ex-avocat n’avait pas l’intention de commettre le délit. Un verdict en contradiction avec la jurisprudence.
La décision était attendue. Elle est enfin tombée ce mercredi 29 novembre : Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice en exercice, a été relaxé des faits de prise illégale d’intérêts. Il lui était reproché d’avoir lancé deux enquêtes administratives à l’encontre de magistrats avec lesquels il avait eu maille à partir lorsqu’il était avocat. La Cour de justice de la République (CJR), composée de trois juges professionnels et de douze parlementaires – six sénateurs et six députés – ont jugé que, si la décision de lancer ces enquêtes constituait effectivement l’élément matériel indéniable de l’infraction de prise illégale d’intérêts, l’intention, elle, n’était pas démontrée.
Dans la décision écrite de la Cour de justice de la République, que Politis a pu consulter, on peut ainsi lire que « le délit de prise illégale d’intérêts suppose un élément matériel et un élément intentionnel » et que l’élément matériel est « établi à l’égard du prévenu ». Mais, d’après la CJR, « l’expérience de pénaliste de M. Dupond-Moretti, le fait qu’il ait, de sa propre initiative, retiré sa plainte déposée le 30 juin 2020 [contre les magistrats du Parquet national financier dans l’affaire dites des ‘fadettes’, N.D.L.R.] et la connaissance de l’existence de situations objectives de conflits d’intérêts par les différentes autorités appelées à le conseiller (…) n’établissent pas la conscience suffisante qu’il pouvait avoir de s’exposer à la commission d’une prise illégale d’intérêts en ordonnant les enquêtes administratives litigieuses ».
En d’autres termes : bien que – du cabinet du ministre à celui de l’Élysée –, tout le monde savait qu’il y avait conflit d’intérêts, le ministre aurait commis une prise illégale d’intérêts… à l’insu de son plein gré.
Une intentionnalité induite
Une démonstration qui suscite bien des interrogations chez les juristes car, en matière de prise illégale d’intérêts, l’élément intentionnel est induit par la matérialité des faits. C’est une spécificité de ce délit dit « objectif » : dès lors qu’il est matériellement constaté, il est considéré comme, de fait, intentionnel. C’est une jurisprudence constante de la Cour de cassation. Dans une décision rendue en novembre 2021, elle rappelle ainsi qu’en matière de prise illégale d’intérêts, « l’intention coupable est caractérisée par le seul fait que l’auteur a accompli sciemment l’acte constituant l’élément matériel du délit reproché ».
Or dans sa décision, la Cour de justice de la République différencie la matérialité de l’intentionnalité jugeant que cette dernière n’est pas assez étayée. Le parquet général a cinq jours pour former un pourvoi en cassation. D’après une source proche du dossier, celui-ci « étudie le détail de la décision pour apprécier si un pourvoi sera formé ».
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