L’appel de Politis : « Ce n’est pas ça, la France ! »

Face au regain des discours xénophobes, à l’exploitation politique indigente et délétère des peurs, Politis publie l’appel d’intellectuels et d’artistes en faveur du retrait du projet de loi immigration, et de la création d’un véritable service public d’accueil des exilés. 

Collectif  • 22 novembre 2023
Partager :
L’appel de Politis : « Ce n’est pas ça, la France ! »
Extrait de la une de Politis n°1785, "Immigration : la fabrique de la peur".
© Vanessa Martineau, d'après une idée de Mirkó Ilíc

Nous, signataires du présent appel, exprimons notre consternation devant la teneur du débat qui se mène au Sénat sur la loi immigration. Son indigence réside dans la nature même du texte du ministre de l’Intérieur, aggravé aujourd’hui des concessions auxquelles celui-ci se prête avec complaisance. La question de l’accueil des exilés, qui, plus que toute autre, dessine le visage de la France, mérite mieux que l’opération de basse politique à laquelle se livrent MM. Macron et Darmanin, dont le seul but est de recomposer la droite à leur profit et d’intégrer le Rassemblement national dans une majorité de gouvernement.

Alors que l’immigration est loin d’être la préoccupation principale des Françaises et des Français, qui s’inquiètent de l’inflation, des effets des désastres climatiques, de la dégradation du service public d’éducation, des déserts médicaux, des discriminations, le gouvernement est prêt à toutes les compromissions pour séduire une droite extrême et une extrême droite qui veulent dicter leur logique identitaire. Pour cela, MM. Macron et Darmanin n’hésitent pas à instrumentaliser la peur de l’autre et à jouer de tous les amalgames entre immigration et délinquance, entre immigration et terrorisme – laissant entendre que le danger viendrait nécessairement de l’extérieur.

Sur le même sujet : Loi Darmanin : la « menace à l’ordre public », l’épouvantail de l’Intérieur

Ce n’est pas en dressant des murs de xénophobie et de haine que la France fera face à des mouvements de population désormais irréversibles, qui, d’ailleurs, concernent moins notre pays que ses voisins. La France, ce pays dans lequel une multitude d’individus, d’origines, de croyances et d’opinions vit ensemble, ce n’est pas ça ! Ce n’est pas cet esprit de forteresse assiégée. Ce n’est pas la remise en cause du droit du sol, l’un des grands acquis de notre histoire. Ce n’est pas sacrifier des droits d’asile inaliénables et indivisibles. Ce n’est pas le recours à la notion floue de « menace à l’ordre public ».

Au prétexte de sécurité et de préférence nationale, le gouvernement attaque le socle de notre État de droit.

La France que nous voulons, ce n’est pas livrer les exilés à une justice expéditive devant un juge unique. Ce n’est pas la multiplication des obligations de quitter le territoire, avec la seule obsession du chiffre. La France que nous voulons, ce n’est pas, au mépris de toute humanité, interdire aux médecins de prendre en charge les exilés malades avant qu’ils éprouvent une « douleur aiguë » ou souffrent d’un mal incurable. Où est la logique quand on privilégie la médecine d’urgence à la prévention ?

Sur le même sujet : Droit d’asile : juge unique, jugements iniques ?

Au prétexte de sécurité et de préférence nationale, le gouvernement attaque le socle de notre État de droit. S’il y a un problème d’intégration des exilés, c’est d’abord un problème social. Nous rejetons toute logique identitaire. Nous nous prononçons pour un véritable service public d’accueil des exilés, les initiant à notre langue et les orientant vers l’emploi dans le respect du droit du travail. Les grands mouvements qui agitent la planète appellent une réponse faite de lucidité, d’ambition, de dignité et de générosité. Avec MM. Macron et Darmanin, nous en sommes loin. C’est pourquoi nous demandons le retrait d’un projet de loi menaçant pour les exilés et dangereux pour toute notre société.


Signataires

Étienne Balibar, philosophe • Patrick Baudouin, président de la LDH • Hourya Bentouhami, philosophe • Amal Bentounsi, militante associative • Alain Bertho, anthropologue • William Bourdon, avocat • Youcef Brakni, militant associatif • Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières • Vincent Brengarth, avocat • Dominique Cabrera, cinéaste • Fanélie Carrey-Contes, secrétaire générale de La Cimade • Samuel Churin, comédien • Alexis Cukier, philosophe • Valérie Damidot, animatrice de télévision • Eva Darlan, comédienne • Laurence De Cock, historienne • Rokhaya Diallo, journaliste, autrice et réalisatrice • Samia Djitli, retraitée de la culture • Elsa Dorlin, philosophe • Annie Ernaux, écrivaine • Mireille Fanon-Mendès-France, présidente de la Fondation Frantz-Fanon • Éric Fassin, sociologue • Corentin Fila, comédien • Bernard Friot, sociologue, économiste • François Gemenne, politologue • Roland Gori, psychanalyste • Robert Guédiguian, cinéaste • Nacira Guénif, sociologue, anthropologue • Kaoutar Harchi, sociologue, écrivaine • Jean-Marie Harribey, économiste • Cédric Herrou, agriculteur et responsable de la communauté Emmaüs de la Roya • Chantal Jaquet, philosophe • Gaël Kamilindi, comédien • Bernard Lahire, sociologue • Mathilde Larrère, historienne • Frédéric Lordon, économiste • Sandra Lucbert, autrice • Noël Mamère, écologiste • Corinne Masiero, comédienne • Henry Masson, président de La Cimade • Christelle Mazza, avocat • Médine, rappeur • Philippe Meirieu, universitaire • Gérard Mordillat, cinéaste • Gérard Noiriel, historien • Émilie Notéris, écrivaine • Thomas Piketty, économiste • Jean-Michel Ribes, scénariste, réalisateur • Michèle Riot-Sarcey, historienne • Gisèle Sapiro, sociologue • Catherine Sinet, journaliste • Maboula Soumahoro, universitaire • Christiane Taubira, ancienne ministre de la Justice • Assa Traoré, militante associative • Enzo Traverso, historien • Usul, vidéaste • Marie-Christine Vergiat, vice-présidente de la LDH • Éric Vuillard, écrivain • Sophie Wahnich, historienne • Jacques Weber, comédien • Catherine Wihtol de Wenden, politiste, spécialiste des migrations internationales.



Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

« Plan social déguisé » : 20 salariés d’un sous-traitant d’Amazon contestent leur licenciement
Luttes sociales 15 octobre 2025 abonné·es

« Plan social déguisé » : 20 salariés d’un sous-traitant d’Amazon contestent leur licenciement

Licenciés pour faute il y a un an, ils ont décidé d’attaquer cette décision auprès des prud’hommes de Marseille, ce mercredi. En cause : le refus d’être mutés à plus de 130 kilomètres de leur lieu travail suite à la perte d’un contrat avec Amazon.
Par Pierre Jequier-Zalc
À Paris, la Confédération paysanne en première ligne contre le Mercosur
Reportage 15 octobre 2025 abonné·es

À Paris, la Confédération paysanne en première ligne contre le Mercosur

Plusieurs centaines de personnes ont manifesté le 14 octobre contre le traité de libre-échange UE-Mercosur, à Paris, à l’appel du syndicat. Un texte qui exercerait une concurrence déloyale pour les agriculteurs français et menacerait la santé et le climat.
Par Vanina Delmas
Dans les CRA, une justice en visio rendue loin des regards
Reportage 15 octobre 2025 abonné·es

Dans les CRA, une justice en visio rendue loin des regards

Depuis le covid et la loi asile et immigration promulguée en janvier 2024, la justice en visioconférence se développe dans des annexes de tribunaux au sein des centres de rétention. Ces audiences cruciales pour la liberté des personnes menacées d’expulsion ont lieu sans public et au mépris des droits de la défense.
Par Pauline Migevant
En Essonne, des vies suspendues au rendez-vous de la préfecture
Reportage 15 octobre 2025

En Essonne, des vies suspendues au rendez-vous de la préfecture

En Essonne, depuis 2022, la préfecture ne donne plus de premier rendez-vous pour les demandes d’admission exceptionnelle au séjour. Pour les étrangers concernés, saisir le le tribunal ne semble d’aucun recours.
Par Pauline Migevant