Les jeunesses vent debout

De Mitterrand à Macron, de la Marche des libertés à sa commémoration, la France a manqué ses rendez-vous avec une jeunesse d’ascendance migrante qui prend désormais en main, par la solidarité ou la désobéissance, ses luttes et son destin.

Nacira Guénif  • 18 décembre 2023
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Les jeunesses vent debout
Manifestation étudiante à Paris, le 9 mars 2023.
© Maxime Sirvins

À peine tournée la page des quarante ans de la Marche pour l’égalité et contre le racisme, si peu rappelée mais bien ancrée dans les mémoires en éveil, il reste le goût amer d’un rendez-vous manqué avec la jeunesse d’ascendance migrante et coloniale d’hier, dont les espoirs et les idéaux ont été trahis par la Mitterrandie. Tout comme aujourd’hui est piétinée la dignité de ses descendant·es, que la Macronie veut domestiquer en les surveillant sans répit, faisant planer sur elleux le spectre d’une mort lente ou violente, et s’en prenant à leurs parents, forcément indignes.

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Surtout aux yeux d’un gouvernement qui ne cache plus son mépris des quartiers populaires, des migrant·es, des pauvres, des récalcitrant·es de tous poils, surtout quand iels se soulèvent, et les érige en ennemi·es de l’intérieur. Incapable de comprendre cette société en pleine mutation, dont la jeunesse ne répond plus aux sommations, symboliques ou policières, pour ne s’en remettre qu’à sa capacité à trouver par elle-même les instruments de compréhension et de transformation de son monde qui vacille.

Ce sens aigu de la désobéissance gagne toutes les couches d’une jeunesse française émancipée des obsessions identitaires d’aînés repliés sur leur passé. À force de fomenter l’amnistie et l’amnésie tant de la collaboration que des guerres anticoloniales, à commencer par celle qui hante encore les dirigeants français, la guerre d’Algérie, ces Français·es d’hier ont raté la marche vers le présent et peinent à discerner les contours d’un avenir viable. Leur tournant le dos, la jeunesse mobilisée noue les solidarités qu’exige la gravité des enjeux : antiracistes, antisexistes, environnementaux, anticapitalistes, antimilitaristes et anti-impérialistes, rien que ça !

Ce sens aigu de la désobéissance gagne une jeunesse française émancipée des obsessions identitaires d’aînés repliés sur leur passé.

Toutes les combinaisons se donnent à voir et à entendre. La sagacité le dispute à l’ironie et se retourne contre l’ordre qu’a appelé de ses vœux, trois fois, un chef d’État parlant en juillet depuis sa colonie, à Nouméa. Cette jeunesse lucide n’oublie pas les lycéen·nes agenouillé·es par la police à Mantes-la-Jolie, voici déjà cinq ans. Elle n’oublie pas les tué·es par la police pour, prétend-on, n’avoir pas obtempéré. Elle n’oublie pas les mort·es, les éborgné·es et les mutilé·es des luttes sociales et environnementales, de la loi travail à la loi retraite en passant par les gilets jaunes et les soulevé·es de Sainte-Soline.

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Elle n’abandonne personne à son sort, ni les exilé·es, ni les féminicidées, ni les à-la-rue. Elle patiente, encore un peu, pendant qu’elle respire les gaz lacrymogènes, pour demain en finir avec l’État illibéral qui en a fait son arme de dissuasion contre toute expression démocratique. Elle sait qu’elle n’a rien à attendre d’un gouvernement aux ordres du capitalisme racial, dans sa version financiarisée et néolibérale. Elle ne se rend pas à la marche qu’il convoque contre l’antisémitisme parce qu’elle entend lutter et contre l’antisémitisme et contre l’islamophobie. 

Alors elle s’enroule dans un keffieh ou un drapeau palestinien parce qu’on ne la lui fera plus sur qui a le droit de vivre et qui peut bien mourir sans qu’on sourcille.

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