Enfin un front uni contre la loi immigration ?

Le 14 janvier, une première journée de manifestations était organisée à Paris et dans toute la France contre la loi controversée de Gérald Darmanin. Alors que le Conseil constitutionnel s’apprête à rendre son avis sur le texte, de nouveaux appels à descendre dans la rue sont lancés, entre union des organisations et querelles internes.

Giovanni Simone  et  Lilian Godard  • 19 janvier 2024
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Enfin un front uni contre la loi immigration ?
Pour Denis Godard, militant de la Marche des solidarités, « cette manifestation n’est qu’un début, il faudra bien plus pour imposer le retrait de la loi »
© Giovanni Simone

Après le vote laborieux de la loi immigration, le 19 décembre dernier, certains espèrent une recomposition des forces à gauche capable de générer une mobilisation d’ampleur contre ce texte. Le recours déposé par les partis de la Nupes au Conseil constitutionnel a donné du temps aux forces sociales et politiques pour s’organiser. Deux dates ont été annoncées et organisées séparément – le 14 et le 21 janvier – avant le rendu de la décision du Conseil, le 25 janvier.

Malgré des températures négatives, ce dimanche 14 janvier, des dizaines de milliers de manifestant.e.s ont battu le pavé contre la loi immigration partout en France. À Paris, les groupes organisateurs ont annoncé 25 000 personnes. Portée par les collectifs de sans-papiers, la manifestation était émaillée de cortèges dynamiques et déterminés à obtenir le retrait de la loi et plus encore, la régularisation de tous les sans-papiers.

Je ne comprends pas les logiques racistes du pouvoir, ça ne correspond pas à ce qu’on vit au quotidien.

Étienne

« On ne doit pas attendre le Conseil constitutionnel, mais exiger dès maintenant le retrait total et définitif de la loi », lance Mody, militant au collectif des sans-papiers (CSP) de Montreuil. Cette revendication apparaît naturelle dans la bouche de beaucoup de manifestant.e.s, en colère contre « des conditions d’accueil de plus en plus terribles et une hypocrisie du pouvoir qui exploite les sans-papiers au travail », selon Étienne. Habitant Bagnolet, il témoigne : « On y vit en paix, en acceptant les différences. Je ne comprends pas les logiques racistes du pouvoir, ça ne correspond pas à ce qu’on vit au quotidien. »

Sur le même sujet : Un collectif dévoile les terrifiantes conséquences de la loi immigration

Révolté contre « une loi inhumaine », un jeune danseur et membre du collectif d’artistes La Crécelle, fulminait le 14 janvier : « On nage en plein délire, dans un climat raciste et xénophobe à peine voilé ». Internationaliste, il défend l’ouverture des frontières et, en ce sens, hésite à manifester aussi le 21 : « Les mots d’ordre sont un peu étranges. Ce n’est pas les principes de la République qu’il faut défendre, mais simplement les personnes exilées ». Toutefois, la nécessité d’une mobilisation intense semble l’emporter. Pour Sarah, 28 ans, « c’était naturel de venir aujourd’hui. Je serai donc aussi présente le 21. »

Comment faire front uni avec deux manifestations ?

C’est une autre composition politique qui a appelé à une « marche citoyenne » pour « défendre les principes de la République » le dimanche 21 janvier, via une tribune signée par 201 « personnalités » et publiée sur Mediapart et dans L’Humanité. Une autre tribune, signée cette fois par 321 maires et publiée dans Libération, invite aussi à se mobiliser le 21. Cette deuxième date en a agacé plusieurs parmi le collectif des CSP. « Il y a eu une réunion dès le 22 décembre pour organiser la mobilisation, rappelait Aboubacar Dembélé, du CTSPV 94 (Collectif des travailleurs sans-papiers de Vitry-sur-Seine), lors d’une conférence de presse, en amont du 14 janvier. On a proposé le 14 et dans la foulée certains ont appelé au 21 janvier. Mais si ça peut aider, pourquoi pas… »

Rassemblement à Paris, le 14 janvier 2024. (Photos : Giovanni Simone.)

« Peu d’organisations ont signé les deux appels, regrette Aurélie Trouvé, députée La France insoumise (LFI). Le 14 a été une mobilisation importante, qui a montré que les CSP peuvent mobiliser des forces considérables ». Dans les grands absents du 14 janvier, on trouve le PCF et les syndicats, sauf Solidaires. Gérard Ré, membre du bureau confédéral de la CGT en charge des questions de migration, revendique le choix d’appeler au 21 : « L’idée de cette marche est de fédérer, y compris ceux qui d’habitude ne descendent pas dans la rue. On y retrouve un spectre très large d’organisations, c’est nécessaire pour que la mobilisation passe un cap. »

Une autre raison de ne pas appeler à manifester le 14 était l’appel à la marche pour la paix en Palestine, le 13 janvier. Pour la députée communiste Elsa Faucillon, « il n’y a pas lieu de mégoter quand on a cette montée fasciste si puissante, en France et partout en Europe. » La députée regrette « une signature [celle de son parti, N.D.L.R.] qui manque, comme elle a manqué dans des nombreux domaines en cette période », mais se réjouit de la présence, « partout où il y a des luttes et de la solidarité avec les étrangers », de membres du PCF.

Une suite à écrire

Manifester un dimanche après-midi ne peut suffire pour faire reculer cette loi « Darmanin – Le Pen ». Pour Denis Godard, militant de la Marche des solidarités : « On vit un moment d’extrême danger, mais il existe des possibilités de lutte. » Il poursuit en rappelant les grèves des sans-papiers pour la régularisation à Chronopost, et des compagnons Emmaüs dans le Nord, et celle récente du personnel scolaire du lycée de la Cerisaie à Charenton contre la loi. « Cette manifestation n’est qu’un début, rappelle-t-il. Il faudra bien plus pour imposer le retrait de la loi. »

Même si le Conseil retoque une partie de la loi, ça ne réglera pas le problème.

A. Trouvé

Un appel à la grève a été lancé par SUD éducation et la CGT éducation à Paris, le 25 janvier. « Tout le monde est concerné par cette loi, rappelle une porte-parole de SUD éducation. On franchit un pas de plus vers le racisme d’État et la fascisation. On a besoin de toutes les initiatives pour mettre à mal cette loi. » Les grèves qui se construisent autour de la journée du 25 janvier, y compris dans le secteur de la santé, ne sont pas pour l’instant suivies d’un appel national. « Toute action mise en place par les travailleurs est essentielle, notamment dans les secteurs les plus touchés », glose Gérard Ré.

Sur le même sujet : Unie face à la loi immigration, la gauche rêve de recoller les morceaux

Le 25 janvier constitue un point de bascule également dans la bataille législative, même si peu croient que la décision du Conseil Constitutionnel va changer quelque chose. « Même si le Conseil retoque une partie de la loi, ça ne réglera pas le problème, tranche Aurélie Trouvé. Cela reste une loi raciste et xénophobe, et, politiquement, l’alliance de facto entre les droites et l’extrême droite est extrêmement grave. » Pour Elsa Faucillon, la décision du Conseil laisse une lueur d’espoir. « Si le conseil censure une large partie du texte, ce serait un bon point d’appui pour un retrait total de la loi. »

Tous s’accordent sur la nécessité de continuer la mobilisation. Mais comment ? Le rejet de la loi peut-il cristalliser un retour de l’union des gauches ? Les députées restent prudentes. « On a été unis lors des débats, et ça a donné de la force à notre récit alternatif », se réjouit Elsa Faucillon. Mais « à l’approche des élections européennes, il y a un risque que la recherche de la distinction l’emporte. » Pour Aurélie Trouvé, « cette loi doit pousser tout le monde à s’unir dès les européennes. Du côté de LFI, on a ouvert toutes les portes et les fenêtres. » Une recomposition politique attendue, mais qui n’est pas le seul élément d’une mobilisation qui pourrait gagner de l’ampleur. « La suite se jouera dans la multiplication des actions de tout type », tranche Denis Godard.

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