Un collectif dévoile les terrifiantes conséquences de la loi immigration

La « préférence nationale » induite dans la loi Darmanin cible les plus précaires et les enfants, qu’elle va dangereusement appauvrir, démontre le collectif Nos services publics dans une note publiée ce jeudi. Une analyse remarquable et bienvenue.

Michel Soudais  • 19 janvier 2024
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Un collectif dévoile les terrifiantes conséquences de la loi immigration
Manifestants contre la nouvelle loi controversée sur l'immigration le 14 janvier à Bordeaux. Adoptée le 19 décembre elle n'a pas encore été approuvée par le Conseil constitutionnel.
© Philippe Lopez / AFP

La préférence nationale introduite dans la loi immigration touchera au moins 110 000 personnes dont 30 000 enfants. Telle est l’alerte que lance aujourd’hui le collectif Nos services publics en publiant une note très fouillée. Issue du travail d’agents publics, d’économistes et de statisticiens spécialistes du système de protection sociale, elle chiffre et illustre les conséquences qu’aurait l’article 19 (ex-article 1N) de cette loi dans la vie des habitantes et habitants de notre pays s’il est validé par le Conseil constitutionnel.

C’est en effet cet article qui conditionne la quasi-totalité des prestations familiales et des allocations logement, pour les personnes étrangères uniquement (1), à une durée de présence sur le territoire d’au moins cinq années ou d’une durée d’activité professionnelle minimale de trente mois.

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Ne sont toutefois pas concernées les personnes ayant obtenu la protection subsidiaire, le statut de réfugié, les personnes apatrides, ou les personnes disposant d’un titre de résident de 10 ans.

Seraient ainsi conditionnées :

  • Les prestations familiales relevant de l’accueil et de l’éducation des enfants : prime de naissance ou d’adoption, allocation de base versée jusqu’aux 3 ans de l’enfant, le complément d’activité qui vise à compenser la perte de salaire liée à l’accueil de l’enfant, et le complément au libre choix du mode de garde jusqu’à 6 ans ;
  • Les allocations familiales dont bénéficient toutes les familles de plus de deux enfants de moins de 20 ans ayant moins de 6 200 euros de revenus mensuels ;
  • Le complément familial pour les familles comptant trois enfants ou plus à charge ;
  • L’allocation de soutien familial, pour les parents isolés élevant leurs enfants seuls ;
  • L’allocation journalière de présence parentale, qui sert à accompagner les enfants malades ;
  • L’allocation personnalisée d’autonomie, versée par les départements aux personnes âgées de 65 ans et plus en perte d’autonomie ;
  • Le droit au logement décent : droit au logement opposable (DALO) pour les ménages prioritaires avec les recours associés ;
  • Les aides personnalisées au logement (APL) sont, elles, conditionnées à cinq ans de présence ou un visa étudiant, ou trois mois d’activité professionnelle.

Des cas-types illustrent les conséquences dramatiques de cette loi

Alors que ces mesures de « préférence nationale » ont été votées à la va-vite, le 19 décembre, sans aucune étude d’impact sur les évolutions qu’elles impliqueraient dans la vie des travailleurs et travailleuses concernées, la note du collectif Nos services publics a le mérite d’illustrer sur plusieurs cas-types les conséquences dramatiques des modifications prévues.

Dans le cas de deux employés de restauration de 21 ans à temps partiel (70 %) rémunérés au smic horaire, soit 912 €/mois, Amar (égyptien), Matthieu (français), le premier arrivé en France en 2023 n’a pas droit aujourd’hui à la prime d’activité de 393 €/mois que perçoit le second, et il perdrait demain son APL de 112 €/mois que conserverait évidemment le premier. L’un et l’autre acquittent les mêmes cotisations, sont redevables des mêmes impôts (en l’occurrence la TVA), mais Matthieu disposera au final d’un revenu mensuel de 1 412 € quand Amar, qui était déjà sous le seuil de pauvreté, basculera avec 912 € seulement en deçà du seuil de la grande pauvreté.

Autre cas-type pointé dans la note : celui de deux aides-soignantes en EHPAD, mères célibataires avec un enfant de moins de trois ans. L’écart de revenu après la mise en place de la préférence nationale serait encore plus criant avec des conséquences dramatiques faciles à imaginer.

Cas-type dans la note de Nos services publics sur la "préférence nationale"

Tous les étrangers extra-européens seraient discriminés. Avec trois enfants de moins de dix ans et les deux parents rémunérés 1630 €/mois, une famille canadienne arrivée en France il y a un an et demi, perdrait mensuellement 319 € d’allocations familiales, 182 € de complément familial et 98 € d’allocation de rentrée scolaire.

Dans le cas de deux enfants d’un an, nés en France, dans une famille ayant déjà un enfant de moins de trois ans, les droits sociaux ne seraient pas les mêmes le foyer du petit Ismaël (français par le droit du sol) dont les parents libanais sont arrivés en France en 2022.

Cas-type dans la note de Nos services publics sur la "préférence nationale"

Plus de pauvreté, moins d’intégration

Pour les auteurs de cette note : le conditionnement de ces prestations aura deux conséquences : « L’aggravation de la pauvreté des enfants et la détérioration des conditions de vie des ménages déjà précaires. » « Au moins 110 000 personnes devraient voir leur niveau de vie diminuer du fait de cette loi », notent-ils en se fondant sur une contribution adressée au Conseil constitutionnel par des économistes.

On voit mal comment l’intégration serait améliorée par la suppression de droits sociaux et l’appauvrissement qui en découle.

Parmi ces ménages « au moins 30 000 enfants devraient ainsi subir une diminution des ressources disponibles pour leur logement, leur alimentation, leur santé et leur éducation ». 3 000 d’entre eux au moins basculeraient en situation de pauvreté portant à plus de 25 000 le nombre d’enfants dans cette situation pour les familles concernées. Plus de 8 000 porteraient à plus de 16 000 le nombre d’enfants en situation de très grande pauvreté ; au sein de cette population « 12 500 enfants vivront dans des familles disposant d’un revenu mensuel inférieur à 600 € par unité de consommation » (2).

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L’INSEE retient une unité de consommation pour le premier adulte et 0,3 unité de consommation pour un enfant de moins de 14 ans.

Ces chiffres effarants ne sont toutefois pour le collectif Nos services publics qu’« une hypothèse basse » qui ne retient que les ménages dont les deux conjoints sont étrangers. Prudente, elle n’inclut ni les familles monoparentales, ni les familles dont l’un des conjoints est français.e. En incluant ces deux types de ménages, jusqu’à 700 000 personnes et 210 000 enfants pourraient être touchés par une baisse de niveau de vie.

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Alors même que cette loi dans son intitulé complet se fixe pour objectifs de « contrôler l’immigration » et « améliorer l’intégration ». Si les moyens mis au service du « contrôle » n’ont jamais été aussi étendus, on voit mal comment l’intégration serait améliorée par la suppression des droits sociaux cités plus haut et l’appauvrissement qui en découle.

Une rupture avec nos principes républicains

Une validation par le Conseil constitutionnel constituerait un « précédent dangereux  pour tous les bénéficiaires de prestations sociales et des services publics ».

En imposant des différences de traitement fondées sur l’origine, la loi immigration heurte des principes constitutionnels que rappellent les auteurs en citant ce que le Conseil constitutionnel écrit sur sa « jurisprudence constante » s’agissant du principe d’égalité, central dans notre devise républicaine :

« Le principe d’égalité devant la loi ne s’oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit. Il reste que certaines différenciations sont constitutionnellement proscrites. Tel est le cas, par exemple, de celles qui ont pour objet l’origine, la race, la religion, les croyances et le sexe (art. 1er, al. 1er, de la Constitution de 1958 et 3 ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946). »

Sur le même sujet : La « préférence nationale », anticonstitutionnelle… et antichrétienne

Si d’aventure les Sages – qui rendront leur décision sur la loi immigration le 25 janvier –, venaient rompre avec cette jurisprudence en validant l’introduction d’une condition de travail ou de résidence pour l’accès à des droits sociaux, cela constituerait un « précédent dangereux », estiment les auteurs. Dangereux pour les étrangers auxquels la préférence nationale pourrait être opposée pour « de nombreuses catégories de droits sociaux ou du travail ». Dangereux également « pour tous les bénéficiaires de prestations sociales et des services publics » puisque le caractère universel de ces droits n’étant plus reconnus, ils pourraient être conditionnés.

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