« La semaine de 4 jours est possible et pleine d’avantages pour tous »

Député européen (Nouvelle Donne), Pierre Larrouturou est engagé depuis plus de trente ans en faveur des 32 heures payées 35. Il explique ici les raisons de cette conviction et répond aux critiques récurrentes contre une telle mesure.

Olivier Doubre  • 20 mars 2024 abonné·es
« La semaine de 4 jours est possible et pleine d’avantages pour tous »
© Laure Boyer / Hans Lucas / AFP

Économiste et agronome, Pierre Larrouturou milite depuis les années 1990 en faveur de la réduction du temps de travail. Passé par le Parti socialiste et fondateur du petit parti Nouvelle Donne, allié au PS et à Place publique, la formation de Raphaël Glucksmann, il travaille à la mise en œuvre de la semaine de quatre jours. En montrant ses multiples avantages pour la vie personnelle et la santé des salariés, mais aussi ses atouts économiques, avec une réduction du chômage et de l’absentéisme et une augmentation de la productivité et des cotisations sociales dues aux embauches qu’elle induit.

Pourquoi vous êtes-vous engagé en faveur de la semaine de quatre jours (32 heures payées 35) ? Quels en seraient les avantages ?

Cela fait trente ans que je me suis engagé dans ce combat. Je travaillais dans un cabinet de conseil en stratégie et je voyais bien les gains de productivité qu’une telle mesure peut permettre dans les entreprises. Et puis j’étais militant en même temps à ATD-Quart Monde, association de lutte contre la pauvreté, allant tous les week-ends dans des quartiers où le chômage et la précarité ­faisaient des catastrophes. En outre, à titre personnel, j’avais envie de vivre et d’être heureux tout en ayant un travail intéressant. Je souhaitais avoir du temps pour mes proches et moi, et mieux agir dans la société.

Nous sommes dans un monde stupide où, d’un côté, des gens crèvent de ne pas travailler et, de l’autre, s’exprime un grand mal-être au travail.

C’est comme cela que j’ai commencé à travailler sur le sujet. Avec les robots et les ordinateurs, nous avons moins besoin de travail. Or il y a deux façons de gérer ces gains de productivité : ou bien on laisse des millions de personnes au chômage (en 2024, il y a 5,4 millions de personnes inscrites à France Travail, qui sont à zéro heure ou ont des petits boulots à temps partiel mais souhaiteraient avoir un travail plus correct) ; ou bien on partage le travail.

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Nous sommes dans un monde stupide où, d’un côté, des gens crèvent de ne pas travailler et, de l’autre, s’exprime un grand mal-être au travail avec des salariés à la limite du burn-out, qui n’ont pas de temps pour leur vie personnelle et ne se sentent pas reconnus dans leur travail. Je crois que nous sommes très nombreux à vouloir un nouvel équilibre, d’autant que l’épidémie de covid-19 a fait évoluer les mentalités, avec des millions d’actifs qui souhaitent établir un meilleur rapport entre leur travail et leur vie personnelle. Bonne nouvelle : c’est tout à fait possible !

Pour faire l’avocat du diable, une telle mesure ne risque-t-elle pas de désorganiser davantage encore l’hôpital et les services de soins, comme beaucoup l’ont dénoncé lors de l’instauration des 35 heures ?

C’est justement une occasion de faire le bilan des 35 heures. Le problème n’est pas la réduction du temps de travail. Il y a au contraire plein de gens à l’hôpital qui souhaiteraient passer à la semaine de quatre jours. Par exemple, le métier d’infirmier·ère est l’un de ceux où il y a le plus mauvais rapport entre le temps que l’on met à se former et celui durant lequel on assure ce travail, parce que les gens craquent au bout de quelques années, ne parvenant pas à trouver le bon équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie familiale ou personnelle.

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Or, dès 1993, j’avais été contacté par des responsables d’hôpitaux qui m’avaient expliqué que, s’il y a un secteur où l’on devrait passer à la semaine de quatre jours, pour permettre aux gens d’avoir un autre équilibre et du coup d’avoir des carrières normales – et que les salarié·es ne démissionnent pas au bout de quelques années –, c’est bien celui de la santé et de l’hôpital ! La demande de passer à quatre jours était donc déjà forte en 1993.

Si les 35 heures à l’hôpital ont été un énorme bazar, ce n’est pas du tout une fatalité due à cette mesure.

Mais le problème est que, lorsqu’on est passé aux 35 heures à l’hôpital, le ministère des Finances a voulu faire des économies de bouts de chandelle de façon scandaleuse, en refusant d’ouvrir davantage de places dans les écoles ­d’infirmier·ères, alors que les 35 heures voulues par ­Martine Aubry et Lionel Jospin induisaient le recrutement de davantage de personnel à l’hôpital et dans les autres structures de soins. Si les 35 heures à l’hôpital ont été un énorme bazar, ce n’est pas du tout une fatalité due à cette mesure, mais bien à cause du refus du ministère des Finances de former et d’embaucher les personnels nécessaires.

De même, quid des gardes d’enfants, de l’organisation du système scolaire et parascolaire, pour les personnels concernés mais aussi pour les parents et les familles en général ?

Là encore, c’est justement l’occasion de réfléchir – si tout le monde passe à quatre jours – à ce qu’on fait de ce temps libre. Et inviter tous les adultes, qu’ils aient des enfants ou non, à s’occuper un peu plus de la vie de quartier, de l’atelier théâtre du collège, du club de foot local, etc. La semaine de quatre jours peut ainsi être une très bonne chose pour l’équilibre personnel de chacun. Mais c’est aussi une très bonne chose pour créer des emplois. Il y a déjà plus de 400 entreprises en France qui sont passées à quatre jours, soit 32 heures sans baisse de salaire, grâce notamment à loi Robien de 1996.

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J’ai lancé ce débat en septembre 1993 avec une idée simple : si une entreprise passe à quatre jours (32 heures hebdomadaires) et qu’elle crée ainsi au moins 10 % d’emplois en CDI, alors elle devrait cesser de payer des cotisations d’assurance-chômage. C’est ce que prévoyait la loi Robien. Tout cela signifie donc une amélioration de la qualité de vie et de la santé, avec des créations d’emplois qui font reculer le chômage et améliorent les comptes des caisses de retraite.

Le patronat ne va-t-il pas arguer que cela entraînera une baisse de la productivité ?

Le patronat français est bloqué sur cette question depuis plus d’un siècle. Déjà, en 1906, il a fallu que l’Église et la CGT fassent alliance – même si elles n’avaient sans doute pas les mêmes objectifs pour occuper le dimanche matin –pour passer à la semaine de six jours, alors que les patrons affirmaient que les ouvriers allaient se mettre à boire et ne pourraient pas venir travailler le lundi !

Dans toutes les entreprises passées à quatre jours, en France ou au Royaume-Uni, l’absentéisme a reculé et la productivité s’est améliorée.

En 1926, quand Henry Ford, qui n’était pas un homme de gauche, décide de passer à la semaine de cinq jours sans baisse de salaire – non par humanisme, mais pour sortir des gens du chômage afin qu’ils puissent acheter ses ­voitures –, il se moque dans une interview des patrons français en disant qu’il n’y a qu’en France qu’on croit que les ouvriers vont se mettre à boire s’ils ont plus de temps libre. Lui voulait qu’ils consomment, et son pari s’est révélé gagnant.

On a eu un débat similaire en 1936 puisque même Léon Blum ne croyait pas aux congés payés (ce n’est nulle part dans son programme). Ce sont les grévistes qui les arrachent après la victoire du Front populaire. Et tout le monde en profite, sauf peut-être les agriculteurs. À tel point qu’aujourd’hui le tourisme est le premier secteur d’activité en France. Enfin, on constate que dans toutes les entreprises qui sont passées à quatre jours, en France mais aussi au Royaume-Uni, l’absentéisme a reculé et la productivité s’est peu à peu améliorée.

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Temps de lecture : 7 minutes