« À Averdon, l’eau du robinet n’est plus potable »

Dans le Loir-et-Cher, Bertrand Monier revient sur le combat quotidien pour lutter contre les pratiques agricoles intensives polluant l’eau des communes.

• 24 avril 2024
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« À Averdon, l’eau du robinet n’est plus potable »
© Kartikay Sharma / Unsplash

Dans le Loir-et-Cher, Bertrand Monier revient sur son combat quotidien et celui de ses collègues paysans pour lutter contre les pratiques agricoles intensives polluant l’eau de leurs communes. Les solutions, dit-il, on les connaît depuis longtemps !


« Les habitants des communes d’Averdon et de Villerbon, au nord de Blois, ont une eau non potable à leur robinet depuis le début de l’année. Le taux de nitrate a dépassé la limite autorisée et, pour l’instant, aucune information publique n’a été diffusée auprès de la population ! » C’est Nicolas, élu à la ville et à l’agglomération de Blois, qui m’interpelle un matin alors que nous déposons nos enfants respectifs à l’école. Comment est-ce possible ? Peut-on continuer à distribuer de l’eau non potable sans en informer la population ? Les personnes à risque ? Les femmes enceintes ?

Les autorités savent depuis longtemps que la situation est catastrophique, et pourtant rien n’est fait.

J’appelle un collègue paysan, Olivier, installé sur la commune d’Averdon, qui consacre ses dernières années d’activité à réfléchir à ses pratiques pour préserver la Cisse, la rivière qui traverse une partie de la plaine céréalière de la Beauce. Il m’explique que les autorités savent depuis longtemps que la situation est catastrophique, et pourtant rien n’est fait. En 2012, un syndicat du bassin de la Cisse a été créé. Beaucoup d’argent a été pensé pour réaliser une étude sur les impacts de l’agriculture intensive. Mais, depuis, le rapport est resté dans un tiroir et rien n’a été fait pour faire évoluer les pratiques.

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Le problème ne se résume pas aux engrais de synthèse, il y a aussi les résidus de pesticides. Sur les analyses des six derniers mois, j’ai trouvé une fois de l’atrazine, un herbicide interdit depuis 2003, et une fois du chlorothalonil, un fongicide interdit depuis 2022. L’agglomération de Blois, qui a récupéré la compétence de la distribution de l’eau potable en 2022, a voté en urgence l’interconnexion du point de captage d’eau polluée d’Averdon avec celui d’une commune limitrophe. Coût de l’opération : 740 000 euros. Elle a pour but de diminuer la pollution de l’eau mais, si les taux de nitrates continuent d’augmenter, cette solution fonctionnera pendant combien de temps ? Cinq, dix, quinze ans ?

Les travaux ne seront pas terminés avant fin 2026 au plus tôt. Pendant cette période, pour continuer à distribuer légalement cette eau polluée, l’agglomération a déposé une demande de dérogation à la préfecture. Cette procédure implique, en théorie, une obligation d’information de la population, particulièrement celle des personnes à risque. Pourtant, lors d’un coup de fil au maire d’Averdon pour lui faire part de notre inquiétude, c’est moi qui l’informe que l’eau distribuée sur sa commune n’est plus potable depuis deux mois. Le maire n’était même pas au courant !

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Pour les usagers, c’est donc la triple peine : ils continueront de boire de l’eau polluée pendant au moins deux ans, la pollution des autres sera répercutée sur leur facture d’eau et, surtout, ils ne savent pas que leur eau du robinet n’est plus potable. Alors, avec les collègues de la Confédération paysanne 41, nous avons voulu informer la population, en organisant une conférence de presse sous le château d’eau d’Averdon, en distribuant des tracts en petits groupes dans les boîtes aux lettres des habitants et en clamant haut et fort qu’une autre agriculture est possible, que les solutions, on les connaît depuis longtemps !

C’est aux personnalités politiques d’avoir le courage d’impulser le changement.

À Averdon, Olivier, est un formidable exemple à suivre. Il a commencé sa carrière comme céréalier conventionnel puis est passé à l’agriculture biologique, réintroduisant de l’élevage pour remplacer les engrais chimiques par le fumier de ses animaux, semant des prairies, plantant des haies, etc. Mais les « Olivier » sont malheureusement trop peu nombreux sur ce plateau céréalier, berceau de l’agriculture intensive. Car ces paysans « conventionnels » sont bel et bien des victimes : des conseillers des coopératives, des injonctions à produire toujours plus et toujours moins cher, des emprunts qu’ils ont contractés pour acheter du matériel toujours plus gros. Personne n’épand des produits chimiques pour le plaisir, j’en suis convaincu.

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C’est aux personnalités politiques d’avoir le courage d’impulser le changement, de réorienter les aides agricoles vers des pratiques agroécologiques. Les zones de captage d’eau potable peuvent être des sites d’expérimentation idéals car personne ne peut raisonnablement souhaiter que les gens n’aient pas accès à une eau de qualité. Des exemples existent, comme celui de Munich : la ville allemande a passé ses zones de captage d’eau potable en agriculture biologique et, aujourd’hui, elle n’a plus de problèmes de pollution.

Mais, pour cela, il faudrait utiliser des fonds publics pour accompagner les agriculteurs vers le changement plutôt que vers des solutions court-termistes irresponsables ! Sachant que les pollutions retrouvées dans l’eau d’aujourd’hui sont le résultat des pratiques agricoles d’il y a trente ans, qu’est-ce qui nous attend dans les années à venir ? Qu’attend-on pour agir ?


Les analyses d’eau des points de captage sont accessibles ici.


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