Foot à Nîmes : carton plein pour les joueurs sourds

Promue en Ligue 1 du championnat national des sourds, l’équipe est riche de ses résultats probants et de sa popularité locale. Néanmoins, des injustices demeurent, notamment à l’égard des sportifs en situation irrégulière.

Embarek Foufa  • 26 avril 2024 abonné·es
Foot à Nîmes : carton plein pour les joueurs sourds
© ASSN

Il y a quelques années, la vitalité du football gardois était incarnée par Nîmes Olympique en Ligue 1. En 2018, l’Olympique de Marseille est tombé au stade des Costières (3-1) et le Paris Saint-Germain a longtemps été malmené (2-4). Aujourd’hui, le club est en perdition, aux portes de la quatrième division, mais la pelouse annexe de l’ancien antre des « crocodiles » est foulée tous les mercredis, et les samedis de match, par la section foot de l’Association sportive des sourds (ASS) de Nîmes. Et de quelle manière ! Loin de l’euphorie médiatique, l’équipe, promue en Ligue 1 du championnat national des sourds, est au coude à coude avec Paris pour le titre de champion de France.

« C’est fou ! On ne s’attendait pas à de tels résultats. Je salue le travail de l’expérimenté coach Mario Tavares », savoure Julien Masson, le président du club. En poste depuis trois ans, ce technicien chimiste contribue largement au développement de l’association sportive dans le département. Disposant seulement d’une section pétanque et de 15 adhérents à son arrivée, elle en compte aujourd’hui 70, avec une offre plus riche d’activités.

« On accompagne le dynamisme insufflé, qui permet une mise en lumière locale des activités sportives dédiées aux personnes sourdes », indique le vice-président communiste de la majorité de gauche au conseil départemental Vincent Bouget. Active depuis 1968, l’ASS veut mettre à profit les bienfaits du sport en rassemblant la communauté sourde, pour créer du lien afin de lutter contre l’exclusion sociale.

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Dans l’équipe de football, composée de 25 joueurs, 60 % évoluent aussi au sein d’une équipe amateur valide. Un cumul possible car les compétitions se font sous l’égide de deux fédérations différentes, la Fédération française de football (FFF) et la Fédération française handisport (FFH). Le football est l’un des sports les plus populaires de la FFH, avec 1 000 licenciés à l’échelle nationale sur les 3 000 sportifs sourds répertoriés.

Pour expliquer le succès nîmois, Julien Masson, qui est aussi joueur, met en avant le recrutement estival : « Nous avons sept joueurs étrangers : deux Égyptiens, trois Ghanéens, un Camerounais et un Algérien. Ils font partie des meilleurs joueurs au monde. C’est en grande partie grâce à leur apport si nous sommes à cette position au classement. »

Inégalités de traitement

Derrière la vitrine de la réussite, l’Association sportive des sourds de Nîmes est confrontée à un grand nombre de difficultés quotidiennes. Invisibilité médiatique, inégalités de traitement et manque de reconnaissance des autorités, illustré par la situation irrégulière des joueurs étrangers arrivés à l’intersaison. « Les clubs valides de haut niveau peuvent régulariser les joueurs qui sont dans la même situation que nous, car eux sont payés. Ici, nous n’avons pas de budget », déplore Julien Masson, agacé par ce qu’il perçoit comme un cas concret de discrimination.

Défenseur le samedi, où il a pour mission de contrer les appels de balle, il multiplie en semaine les appels du pied en direction de la préfecture du Gard pour trouver une solution. « On regrette les différences de traitement par rapport aux sportifs valides », indique Vincent Bouget. « Les personnes qui représentent la ville à l’échelle nationale, voire internationale, sont dans des situations d’extrême urgence. C’est une source d’angoisse quotidienne pour nous », insiste Julien Masson, qui pense par exemple à la star égyptienne Tariq Ali Al-Jazzar, Ballon d’or chez les sourds. La reconnaissance du statut de sportif de haut niveau est demandée, mais la préfecture campe sur ses positions. Contactée, elle n’a pas répondu à nos sollicitations.

Dans le processus de transfert du pays d’origine vers la France, les formalités administratives pour ce type de procédure n’ont pas été respectées. Une erreur payée au prix fort aujourd’hui. Parfois, les joueurs sont accueillis par l’association Adejo, qui accompagne en journée et héberge la nuit les personnes sans domicile fixe. La structure ne pouvant recevoir que 26 personnes la nuit, les places sont chères. Dans ce contexte, la solidarité interne est salutaire. « J’ai accueilli deux joueurs chez moi pendant une semaine », confie Mario Taveres.

La plupart des entreprises préfèrent sponsoriser un club valide de troisième division comme Nîmes Olympique, parce que c’est diffusé. C’est aberrant .

J. Masson

Par ailleurs, le club entretient des liens avec les collectivités locales. Le conseil départemental a subventionné l’association à hauteur de 3 000 euros en 2023. Le terrain d’entraînement est garanti par la ville de Nîmes, avec qui les relations sont « très bonnes », selon Julien Masson. L’enveloppe allouée au club par la municipalité dirigée par Jean-Paul Fournier (LR) est de seulement 1 000 euros. Une somme infime par rapport au budget total de la ville (346 millions d’euros). « Notre place en Ligue 1 est nouvelle pour tout le monde. Avec nos belles performances, j’espère que la somme va augmenter », lance le coach de 54 ans.

L’ancien entraîneur de Reims évoque l’équivalent de la Ligue des champions à laquelle devrait participer Nîmes. Cette compétition d’élite continentale représente un coût supplémentaire pour un club soutenu par une dizaine d’entreprises locales. « La plupart préfèrent sponsoriser un club valide de troisième division comme Nîmes Olympique, parce que c’est diffusé. Le PDG de Bastide Médical, Vincent Bastide, m’a dit qu’il ne pouvait pas nous aider. C’est aberrant », souffle Julien Masson,à propos d’un groupe qui a réalisé plus de 500 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2023, très impliqué dans le système sportif local. Cette contradiction est perçue comme une énième différence de traitement.

La place des sourds dans l’écosystème sportif

Dans une fédération qui compte au total 30 000 licenciés sur l’ensemble du territoire hexagonal, le manque de moyens humains et matériels destinés au sport sourd est criant. Pourtant, les associations sportives représentent des espaces de socialisation essentiels pour la communauté sourde. Au football, cela se matérialise avec la troisième mi-temps, souvent associée au rugby, où les joueurs des deux équipes se réunissent pour échanger autour d’un apéritif convivial. « Ce temps est primordial pour souffler par rapport à nos difficultés quotidiennes de communication », raconte Julien Masson.

Les sportifs sourds, qui disposaient avant de leur propre fédération, sont intégrés à la FFH depuis 2008. « Cet épisode a marqué un vrai bouleversement, explique Sébastien Messager, ancien conseiller technique national handisport, référent sur les sports sourds. C’était très complexe car, de notre côté, nous ne parlions pas la langue des signes. Les sportifs sourds, eux, étaient dans leur univers clos depuis des années. C’était un public que nous ne connaissions pas. C’est comme un couple qui a appris à se connaître. »

Les Deaflympics, ces jeux olympiques des sourds, ne sont toujours pas reconnus comme une compétition de haut niveau par l’État.

Cette année olympique sur le sol français, teintée de polémiques, est l’occasion de rappeler qu’il s’agit aussi du centième anniversaire de la naissance des Jeux internationaux silencieux. En parallèle des JO de 1924, accueillis à Paris, un distinguo est officialisé entre le mouvement handisport et les sourds, avec la création des Deaflympics. Ces jeux olympiques des sourds ne sont toujours pas reconnus comme une compétition de haut niveau par l’État, à l’instar de tous les sports non présents aux Jeux olympiques et paralympiques. Sébastien Messager reconnaît un « choix politique. » En conséquence, cet événement passe toujours sous les radars médiatiques.

« Les jeunes ne savent pas qu’on existe »

Néanmoins, des dispositifs émergent, par exemple avec le Comité paralympique et sportif français, qui a récemment décidé d’accompagner le sport sourd. « Sur le budget global de 300 000 euros pour les Deaflympics 2022, l’État a donné un tiers, et les médaillés ont été reçus par la ministre des Sports à leur retour. C’est peut-être un grain de sable au regard de leurs cent ans d’existence, mais on avance », assure Sébastien Messager. Deux joueurs nîmois pourraient être du voyage à Tokyo, lieu de la prochaine édition en 2025. En effet, Yassin Mezian et Éric Casimiro, du haut de ses 19 ans, font partie de l’équipe de France, médaillée d’argent en 2022, avec laquelle ils s’envoleront en Turquie en juin pour l’autre Euro de football.

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En attendant de concrétiser leurs rêves internationaux, avec le maillot des Bleus pour les uns, celui de leur sélection nationale pour les autres, les Nîmois s’entraînent sous le soleil en suivant les consignes de Mario Tavares, particulièrement investi auprès de ses joueurs pendant la séance. Après avoir répondu à plusieurs obligations en tant que président du club, Julien Masson enfile ses crampons et rejoint ses camarades pour la suite de l’entraînement. Sur un terrain partagé avec une équipe du club féminin Nîmes Métropole, deux heures d’efforts dans la bonne humeur entre exercice de conservation de ballon, course et opposition. Pour les sourds et les malentendants, le maître-mot en football est l’anticipation.

En dehors du terrain, Julien Masson s’apprête à lancer un appel auprès du district départemental afin d’attirer de nouveaux joueurs. « Les jeunes ne savent pas qu’on existe », souligne le président, qui rêve d’ouvrir une section féminine de futsal. Concernant les joueurs étrangers, le club ne compte plus en recruter et son président redoute de ne pas avoir un effectif suffisant pour continuer la saison prochaine.

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Société
Publié dans le dossier
Sport et société
Temps de lecture : 9 minutes