Emmanuel Macron, entre autodissolution et annonces bidon

La prise de parole du président, loin d’offrir la clarification annoncée après sa décision choc du 9 juin, a même renforcé la méfiance à son égard. Jusque dans son propre camp.

Nils Wilcke  • 13 juin 2024
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Emmanuel Macron, entre autodissolution et annonces bidon
Emmanuel Macron, lors de sa conférence de presse au Pavillon Cambon Capucines à Paris, le 12 juin 2024.
© STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

La conférence de presse d’Emmanuel Macron du mercredi 12 juin a viré à la farce. Il s’agissait de sa première et d’un moment de « clarification », selon lui, depuis la dissolution annoncée une heure après les résultats des européennes dimanche soir, marquée par le score vertigineux du Rassemblement national (RN) à 31,37 %, arrivé en tête dans 93 % des communes en France. Une « folie », selon des membres de son propre parti et qui a médusé la classe politique et le pays tout entier.

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Devant les journalistes, le président a commencé par raconter qu’il « ne ferait pas campagne aux législatives (…) comme je ne l’ai pas fait en 2022 et en 2017 », selon lui. Première incohérence, puisque le pavillon Cambon Capucines à Paris, où se déroule la conférence de presse, a été loué par Renaissance pour l’occasion, le président ne pouvant pas user des moyens de l’Élysée pour faire campagne, comme l’explique le parti présidentiel, pas embarrassé par cette première contradiction. D’ailleurs, les collaborateurs du président ou les ministres présents à l’événement ont posé leur journée pour respecter la loi, selon une source à l’Élysée qui s’est confiée à Politis.

Effarement dans les rangs

Emmanuel Macron a passé de longues minutes à justifier la dissolution de l’Assemblée, pointant du doigt les députés LFI, coupables à ses yeux « d’avoir créé un certain désordre » et les risques d’une motion de censure potentielle à l’automne sur le budget, bref une situation qui « devenait dangereuse pour la France ». Enfin, surtout pour lui, car la candidate de sa majorité, l’infortunée Valérie Hayer n’a recueilli que 14,60 % des suffrages. Le président a ensuite mis en avant un « blocage qui conduisait inéluctablement à empêcher le gouvernement d’agir ».

Effarement de certains macronistes devant leurs écrans : « On n’a pas de majorité depuis 2022, en fait. Pourquoi dissoudre maintenant et pas il y a deux ans ? », s’interroge auprès de Politis un député de la majorité. Sans complexes, le chef de l’État a mis sur le même plan « l’extrême droite à 40 % et les extrêmes à 50 % », comprendre Jordan Bardella et Jean-Luc Mélenchon. Emmanuel Macron, lui, se place dans le « bloc central, progressiste, démocratique et républicain ». Pratique, mais pas très logique, la majorité a enchaîné les réformes de droite sur pratiquement tous les sujets depuis deux ans : chômage, sécurité, immigration et bien sûr la funeste réforme des retraites.

Le résultat de ces législatives risque fort de ressembler à un sandwich au jambon, pas au cordon bleu apprécié par le président.

Le président a aussi lancé un appel du pied très large à l’égard « des sociaux-démocrates, des radicaux, des écologistes, des démocrates-chrétiens, des gaullistes et, plus largement, beaucoup de nos compatriotes qui ne se reconnaissent pas dans la fièvre extrémiste », selon lui. Emmanuel Macron ne s’en cache pas, il veut faire revenir à lui les électeurs qui se sont déportés de Renaissance à Raphaël Glucksmann. Reste que le président est resté vague sur la réalisation de ce « bloc central ». Il pourra se constituer « d’ici à l’élection » mais aussi « une fois l’élection passée » grâce à un « dialogue rassemblé et non rallié » autour d’une « fédération de projet » ou d’une « plateforme d’action ».

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Traduction de Jean-Bernard Gaillot-Renucci, ancien conseiller politique au QG de campagne d’Emmanuel Macron lors de la campagne de 2017, pas très fier de cet opportunisme électoral en pleine flambée de l’extrême-droite : « Le résultat de ces législatives risque fort de ressembler à un sandwich au jambon. Les deux tranches de pain Front de gauche et RN pour enfermer le jambon Renaissance, on est loin du cordon bleu apprécié par le président ».

Le président a-t-il au moins changé d’avis sur l’assurance-chômage – décriée autant à gauche que dans sa propre majorité –, qui dépouille l’Unédic de sa trésorerie au détriment des demandeurs d’emplois ? « Si certains veulent l’améliorer, la changer, je ne peux pas vous dire ‘c’est intangible’ », a lancé le chef de l’État. Las, « le décret sera pris d’ici au premier juillet », annonce dès ce jeudi Gabriel Attal sur France Inter, au lendemain, tout en chargeant les partenaires sociaux : « Ils avaient trois mois pour s’entendre, ils ont mis huit mois ». De quoi faire bondir les syndicats, contraints par une feuille de route imposée par le gouvernement, impossible à tenir.

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Emmanuel Macron veut également que les « Français vivent mieux au quotidien » et « partager les revenus du travail et de la richesse ». Le locataire de l’Élysée se serait-il converti à la gauche avec enfin une taxation plus importante pour les riches et des hausses de salaire ? Hélas, le président évoque « des primes », bien plus favorables aux employeurs puisqu’elles ne sont pas obligatoires et pas socialisables pour les retraites, le chômage ou la maladie. « Les politiques de recours aux primes plutôt qu’au salaire ont un rôle majeur dans le déficit de la Sécu », observe un conseiller de l’exécutif après cette annonce.

Ce jour-là, il nous a chié dans les bottes, il a fait cette annonce sans concertation.

Le président a aussi évoqué l’interdiction des portables et des réseaux sociaux pour les plus jeunes (avant 11 et avant 15 ans), l’obligation du service national universel en 2026 et annoncé « rouvrir la question des grandes régions »pile après avoir dit le contraire quelque semaines auparavant. Le sujet, éminemment politique, occupe notamment les élus alsaciens, qui militent depuis plusieurs mois pour que l’Alsace soit dissociée de la région Grand-Est. En visite à Strasbourg fin avril, Emmanuel Macron avait douché leurs espoirs en répétant qu’il ne fallait pas faire de « grand jeu institutionnel ». La sortie du président a été très mal perçue dans la région. « Ce jour-là, il nous a chié dans les bottes, il a fait cette annonce sans concertation », grince un élu de la majorité du coin.

Canard boiteux et vieux disque rayé

Deux semaines après, les parlementaires macronistes du Grand Est sont convoqués à l’Élysée par Alexis Kohler, selon les informations de Politis. À leur grande surprise, le bras droit d’Emmanuel Macron veut recueillir « leur avis sur le sujet ». Un comble. « Il y a un problème de méthode, il fallait faire le contraire, d’abord consulter puis trancher », soupire l’un d’eux, qui a choisi de ne pas afficher la bobine du président sur son affiche de campagne. Il est suivi par nombre de candidats macronistes aux législatives.

Seule lueur d’espoir à l’issue de cette conférence de presse, l’assurance que le chef de l’État ne devrait pas « surinvestir la campagne », selon l’un de ses interlocuteurs réguliers. Ne serait-ce que par obligation internationale, il devra notamment assister au sommet du G7 en Italie dès aujourd’hui et effectuer de nouvelles visites diplomatiques à l’étranger.

Il disait aussi que les européennes n’auraient pas de conséquences nationales et une heure après, il a dissous l’Assemblée.

Emmanuel Macron est enfin revenu sur les rumeurs de démission qui le visent, et dont Politis s’est fait l’écho dans une enquête qui a suscité l’embarras de l’Élysée : « Je veux tordre le cou à ce canard qui n’a jamais existé. C’est absurde (…) Je me suis soumis à deux reprises au suffrage des Français et des Françaises, a-t-il balayé. J’entends tout ce qu’on dit sur ma pomme. On le disait il y a deux ans. Vous avez eu des élections il y a deux ans, ils m’ont tout de même choisi. Ça ne doit pas être si terrible que certains le décrivent ! », s’agace le président, qui fait semblant d’ignorer qu’il a été élu pour large partie afin de faire barrage à l’extrême-droite. 

« Il disait aussi que les européennes n’auraient pas de conséquences nationales et une heure après, il a dissous l’Assemblée », ricane un député Renaissance, qui évoque un « canard boiteux ». Le refrain d’Emmanuel Macron ressemble de plus en plus à un vieux disque rayé, y compris dans sa propre majorité. Macron promettait de « faire tomber les masques » de ses opposants avec sa dissolution, il a en réalité surtout montré son vrai visage.

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