« La Décollation du raton laveur » : bière et paix

Fred Léal met en scène des légionnaires à Kourou dans un style burlesque.

Christophe Kantcheff  • 19 juin 2024 abonné·es
« La Décollation du raton laveur » : bière et paix
Il y a une liberté peu commune chez Fred Léal. Qui se manifeste jusque dans son usage du métatexte, c’est-à-dire tout ce qui entoure le texte lui-même.
© John Foley / POL

La Décollation du raton laveur / Fred Léal / POL, 320 pages, 29,90 euros.

Fred Léal n’en a pas fini avec les souvenirs de son service militaire. Après son premier livre, Selva ! (POL, 2002), il y était revenu dans Asparagus (POL, 2013). En voici un nouvel épisode dans La Décollation du raton laveur. Mais attention, nulle nostalgie pour les levers de drapeau et autres marches en cadence ! L’écrivain – dont l’alter ego se nomme Rod Loyal – a passé son service comme médecin aspirant à Kourou, en Guyane, dont il tire des anecdotes et une galerie de personnages contribuant à l’univers qu’il déploie de livre en livre, dont le maître mot est le burlesque.

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Un burlesque grandement favorisé par l’écriture de Fred Léal, qui repose sur une typographie carnavalesque (mais toujours lisible). Les phrases sont éclatées sur la page, comme si celle-ci captait plusieurs sources de bruits ou de paroles synchrones, ce qui donne une série de collisions textuelles drolatiques. Par exemple, le terme « heineken© » ne cesse de trouer les lignes, correspondant à chaque gorgée de bière avalée par un personnage – et la soldatesque en est une consommatrice acharnée. « C’est l’effet collatéral d’une consommation régulière et soutenue de Heineken, qui est un peu notre sponsor si vous voyez ce que je veux dire », souffle le narrateur à une jeune femme faisant une remarque sur la silhouette rebondie d’un militaire.

« Ramassis de casses-berles en treillis »

Rod Loyal, responsable de l’infirmerie du camp de la légion à Kourou, est assisté d’un « ramassis de casses-berles en treillis ». Parmi eux, une exception : Farid, un Kabyle d’une discrétion absolue, qui aurait pour projet de s’introduire dans la fusée Ariane promise au décollage. Suicide garanti. Rod est poussé par ses subordonnés à participer à ce projet (qui en cache un autre en réalité) en obtenant des renseignements techniques sur la fusée.

Le sel de La Décollation du raton laveur tient dans les relations pour le moins pittoresques qu’entretient Rod, antimilitariste notoire, avec les légionnaires et avec ses chefs. En particulier le lieutenant Gil, à l’ascendant indiscuté, dont la particularité est d’attendre de Rod qu’il corrige toutes ses nombreuses fautes de langage.

Il y a une liberté peu commune chez Fred Léal. Qui se manifeste jusque dans son usage du métatexte, c’est-à-dire tout ce qui entoure le texte lui-même : la quatrième de couverture (qui propose un portrait de Farid qu’on ne retrouvera pas ailleurs) ou les remerciements, où l’écrivain témoigne de sa reconnaissance envers Jean-Luc Mengus, « infatigable correcteur des éditions POL », récemment décédé. « Nos échanges […] furent pour moi une source inépuisable de réflexion et de plaisir. » À lire les œuvres inimitables de Fred Léal, on veut bien le croire.

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Littérature
Temps de lecture : 3 minutes