Marc Pena (PS) : « Emmanuel Macron a outrepassé ses fonctions »

Le député PS des Bouches-du-Rhône annonce déposer deux propositions de loi, l’une visant à réduire le temps imparti à un gouvernement démissionnaire et l’autre ayant pour objectif de créer une autorité indépendante censée réguler les fonctions d’un élu à la fois député et ministre.

Lucas Sarafian  • 13 septembre 2024 abonné·es
Marc Pena (PS) : « Emmanuel Macron a outrepassé ses fonctions »
Marc Pena, dans son bureau à l'Assemblée, le 11 septembre 2024.
© Maxime Sirvins

Ancien président de l’université d’Aix-Marseille et professeur agrégé d’histoire du droit, Marc Pena, 64 ans, a depuis quelques semaines une nouvelle ligne sur son CV : député à l’Assemblée. Après les législatives anticipées, il succède au député sortant du Modem, Mohamed Laqhila. Député de la 11e circonscription des Bouches-du-Rhône, Mac Pena a pris sa carte au Parti socialiste (PS) et compte s’investir sur les sujets institutionnels et constitutionnels.

Pendant 51 jours, le gouvernement de Gabriel Attal a été démissionnaire. Mais il a publié des centaines de décrets et préparé le budget. Quelle a été votre réaction ?

Marc Pena : 51 jours, c’est du jamais vu dans la Ve République. C’est une situation scandaleuse car le gouvernement a agi alors qu’il était censé s’occuper uniquement des « affaires courantes », un statut qui n’est, par ailleurs, pas défini dans la Constitution. L’exemple de Nicole Belloubet est problématique. La ministre démissionnaire de l’Éducation nationale ne se contente pas d’expérimenter l’uniforme. Elle a tenu le 27 août une conférence de presse pour présenter les grandes orientations pour la rentrée scolaire de 2025. Cela ne correspond pas au champ d’action d’un gouvernement démissionnaire.

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Ce gouvernement réduit aux affaires courantes a pris des décisions politiques qui engagent l’avenir du pays. En ce qui concerne le prochain budget, les économies que compte faire le prochain gouvernement ont été préparées par le gouvernement démissionnaire. Michel Barnier va suivre cette feuille de route. Et le Parlement sera dans l’urgence pour discuter de ce projet de loi de finances. Il y a une sorte de déni de réalité : ce gouvernement fait comme s’il n’y avait jamais eu d’élections et Emmanuel Macron continue tranquillement sa politique.

Comment faire pour que cette situation ne se reproduise pas ?

À l’ouverture de la session parlementaire, je déposerai une première proposition de loi visant à réduire le temps imparti à un gouvernement démissionnaire. Le Président a un pouvoir constitutionnel : nommer le Premier ministre. Mais ce pouvoir est aussi un devoir car il est obligé de nommer un chef de gouvernement pour que nos institutions fonctionnent. Je propose un délai de sept jours maximum pour nommer un Premier ministre et composer un gouvernement.

Ce mélange des genres est un détournement flagrant de notre système parlementaire, c’est une atteinte à nos institutions.

Cela pourrait limiter cette période provisoire assez floue d’un gouvernement démissionnaire et cela aurait pu empêcher la publication de 1 300 décrets « hors la loi » de la dernière équipe de Gabriel Attal. C’est une mesure simple qui peut être prise sans révision de la Constitution et qui peut faire consensus. Des membres du groupe Liot, du Modem et même de La Droite républicaine pourraient soutenir cette proposition de loi.

Durant les élections de la présidence de l’Assemblée nationale le 18 juillet et du bureau le lendemain, les ministres démissionnaires ont participé au vote. Comment avez-vous réagi ?

Ce sont des élections entachées d’irrégularités. 17 ministres sont venus exercer une action essentielle qui appartient exclusivement au pouvoir législatif : élire le député qui sera président de l’Assemblée. Ce mélange des genres est un détournement flagrant de notre système parlementaire, c’est une atteinte à nos institutions et à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui régit la séparation des pouvoirs. J’ai donc envoyé une lettre à Laurent Fabius, le président du Conseil constitutionnel, le 23 juillet pour dénoncer l’irrégularité de l’élection de Yaël Braun-Pivet.

« Nous assistons à un parlementarisme de fait. Il s’agit désormais d’en venir à un parlementarisme de droit. » (Photo : Maxime Sirvins.)

Que vous a-t-il répondu ?

Laurent Fabius a uniquement fait référence à la déclaration du Conseil constitutionnel qui s’était déclaré incompétent pour se prononcer sur la régularité ou non de cette élection suite à la saisine du groupe de La France insoumise (LFI). Ça a été sa seule réponse, c’est dommage. Le Conseil constitutionnel ne veut pas porter atteinte à la séparation des pouvoirs et, ainsi, interpréter les actes du pouvoir législatif. Dont acte. Mais dans ce cas, nous nous retrouvons face à un vide juridique.

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Alors à qui faut-il s’adresser ? Nous ne pouvons pas nous adresser à la plus haute autorité de l’Assemblée, c’est-à-dire la présidence de l’hémicycle, puisque c’est elle qui est en cause. Nous ne pouvons pas non plus nous adresser au bureau de l’Assemblée car c’est une émanation de la Chambre basse. Donc il faut trouver autre chose.

C’est-à-dire ?

Je déposerai une deuxième proposition de loi afin de créer une autorité régulatrice indépendante qui serait amenée à juger les conditions d’exercice de la fonction législative. Ce serait une autorité indépendante de l’exécutif et du législatif. Pour garantir l’indépendance de cette autorité, il faudrait qu’elle soit composée de professeurs de droit, des magistrats à la retraite, des juristes, des retraités du Conseil d’État ou, pourquoi pas, des représentants du corps social. En tout cas, ça ne peut pas être des magistrats en exercice ou des ministres, voire des anciens ministres. Cette autorité ne sera pas un censeur qui pourrait dire à tout moment ce que devra faire le pouvoir législatif, ce serait porter atteinte au Parlement. Ce n’est pas un juge, ce serait une autorité qui alerterait en amont.

Je n’aime pas les institutions de la Ve République. C’est un coup d’État permanent.

Certains macronistes ont expliqué que les ministres ayant pris part au vote siégeaient d’abord en tant que député puisque le gouvernement était démissionnaire. Comment jugez-vous cet argument ?

L’article 23 de la Constitution est clair : « Les fonctions de membre de gouvernement sont incompatibles avec l’exercice de tout mandat parlementaire. » Il ne fait aucune distinction entre un gouvernement et un gouvernement démissionnaire, donc il n’y a pas raison de faire parler un article sur ce qu’il ne dit pas. Nous sommes soit députés, soit ministres. Parce que nous serions membres d’un gouvernement démissionnaire, nous ne serions plus ministres ? Non, ils ne sont pas moins ministres qu’avant. Il n’y a aucune raison de se considérer d’abord comme député. Cet article 23 doit être interprété strictement. L’argumentaire macroniste est un détournement de notre Constitution.

Est-ce que ce moment politique ne prouve-t-il pas qu’une VIe République est nécessaire ?

M.P. Je n’aime pas les institutions de la Ve République. C’est un coup d’État permanent. La Ve République a été créée dans une situation particulière : la guerre d’Algérie. Et tout le régime a été taillé pour un homme : le général De Gaulle. Aujourd’hui, il faut passer à un régime parlementaire. D’ailleurs dans la période actuelle, nous assistons à un parlementarisme de fait. Il s’agit désormais d’en venir à un parlementarisme de droit. L’essentiel va se passer au Parlement, il faut lui accorder sa confiance. Ce que n’a pas fait Emmanuel Macron puisqu’il a censuré Lucie Castets avant même qu’elle puisse éventuellement voir si elle avait une majorité à l’Assemblée nationale.

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La VIe République est un peu un slogan de communication. Il faut savoir ce qui est mis à l’intérieur. Si cela sous-entend une évolution plus parlementaire du régime, j’y suis favorable. La proportionnelle est une piste, encore faut-il lui trouver une forme intéressante. Changer le mode de scrutin implique ensuite de regarder le rapport entre le Parlement et le gouvernement, car aujourd’hui le gouvernement est maître de l’ordre du jour. Il faut étudier la place trop importante du chef de l’État : il y a très peu de régimes démocratiques où le Président peut dissoudre l’Assemblée. Et le droit de dissolution est évidemment à rediscuter.

« L’outil le plus efficace, c’est la censure. Ensuite, nous devrons être force de propositions pour réformer nos institutions. » (Photo : Maxime Sirvins)

La France insoumise a lancé un processus de destitution. Accueillez-vous favorablement cette initiative ?

M.P. Le Président a outrepassé ses fonctions. Je suis d’accord avec LFI sur cette analyse. Mais cette procédure n’est pas adaptée car elle concerne des cas très précis. L’article 68 prévoit la destitution du chef de l’État en cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». Et selon moi, cette procédure n’a aucune chance d’aboutir. Et peut-être qu’Emmanuel Macron saisira même cette initiative des insoumis pour les accuser de « saborder » les institutions. L’outil le plus efficace, c’est la censure. Ensuite, nous devrons être force de propositions pour réformer nos institutions.

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