« Faire entrer la révolution de la monoparentalité dans nos institutions »

Le député socialiste de l’Eure Philippe Brun déposera prochainement une proposition de loi visant à lutter contre la précarité des familles monoparentales. Pour Politis, il dévoile les principales mesures.

Hugo Boursier  • 9 octobre 2024 abonné·es
« Faire entrer la révolution de la monoparentalité dans nos institutions »
© Nathan Dumlao / Unsplash

Qu’espérez-vous mettre en place grâce à votre proposition de loi ?

Philippe Brun : Le texte compte 25 articles. L’ambition est de faire entrer la révolution de la monoparentalité dans nos institutions, nos services publics, notre système fiscal et nos collectivités locales. Cela passe par la création d’un statut de famille monoparentale qui ouvrirait à un certain nombre de droits pour sortir de la précarité. Par exemple, on souhaite que les allocations familiales soient versées dès le premier enfant, ou que l’allocation au soutien familial soit déconjugalisée. On veut aussi lutter contre une réelle injustice et défiscaliser la pension alimentaire perçue par la mère.

Il faut un statut qui ouvre des droits pour le logement, la garde, la culture, les loisirs.

Aujourd’hui, les mères paient des impôts sur la pension qu’elles perçoivent ! Ça n’a pas de sens. Ce statut ouvrirait aussi des droits de priorité en matière d’accès au logement social et aux crèches. On souhaite fabriquer un nouveau « produit » de logement social, avec la création de résidences de familles monoparentales. C’est déjà expérimenté à Bordeaux et en Essonne, et ça fonctionne très bien. Le statut propose également des modifications dans le code du travail pour permettre la prise en compte de la monoparentalité dans l’organisation en entreprise.

« En vingt ans, on est passé de 11 % de familles monoparentales à 25 %. C’est très rapide comme changement. » (Photo : Daniel Perron / Hans Lucas / AFP).

Pourquoi préférez-vous un statut avec des droits plutôt qu’une carte avec des avantages ?

La carte parent solo est une carte de réduction. Ce n’est pas suffisant. Il faut un statut qui ouvre des droits pour le logement, la garde, la culture, les loisirs. Un statut qui fait changer notre institution. Aujourd’hui, notre système est conçu pour des familles composées de deux parents. Il ne prend pas en compte les familles monoparentales, qui représentent pourtant un quart des familles en France.

Comment expliquez-vous cette invisibilisation des mères solos ?

En vingt ans, on est passé de 11 % de familles monoparentales à 25 %. C’est très rapide comme changement. Beaucoup de gens pensent que les mères célibataires ont provoqué la précarité qu’elles décrivent. D’autres considèrent aussi qu’une famille, c’est un papa et une maman. C’est une perception masculine de la famille. Les députés et les sénateurs avec lesquels on parle nous disent qu’il faut surtout mettre en place la garde alternée obligatoire. Mais, pour moi, ce n’est pas le sujet.

L’institution doit prendre en compte ces millions de familles monoparentales.

Vous faites référence au rapport de Xavier Iacovelli sur les familles monoparentales, dont la première préconisation est de systématiser la garde alternée ?

Oui, je ne suis pas d’accord avec cette mesure. On considère, de notre côté, que ce n’est pas à nous, législateurs, de décider où doit aller l’intérêt supérieur de l’enfant. Pendant des années, l’institution s’est adaptée à un mariage entre un homme et une femme. Puis elle s’est ouverte au mariage de couples de même sexe. Là, elle doit prendre en compte ces millions de familles monoparentales, parce que 40 % de ces familles vivent sous le seuil de pauvreté et qu’elles représentent un tiers des allocataires du RSA. Est-ce que l’on arrivera à ouvrir tous les droits permis par notre texte ? Je l’espère.

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Des difficultés budgétaires pourraient apparaître. Mais certaines de nos mesures engrangent des recettes : défiscaliser la pension alimentaire pour la personne qui la reçoit et la refiscaliser pour la personne qui la verse rapporte 400 millions d’euros au budget de l’État. On peut considérer que ce montant peut être utilement mis à profit pour financer d’autres mesures de notre proposition de loi.

Comment voyez-vous l’initiative de plusieurs maires socialistes qui ont d’ores et déjà créé un statut ?

C’est totalement coordonné avec nous. Stéphane Raffalli, le maire de Ris-Orangis, fait partie du groupe de travail sur les familles monoparentales. Sémira Le Querec, son adjointe, était intégrée à toutes nos réunions. C’était notre stratégie : faire vivre le statut contenu dans la proposition de loi à l’échelle municipale, et ce, avant qu’il soit adopté à l’Assemblée nationale. C’est l’ADN du socialisme municipal.

Cette proposition de loi peut faire bouger les choses. Ce peut être un moment historique.

Il y a un vrai refus des mères solos de subir un regard misérabiliste sur leur condition. Comment avez-vous composé, en tant que député mais aussi en tant qu’homme, avec cette exigence ?

Cette proposition a été énormément discutée, partagée, débattue avec les premières concernées. Elle est née d’une mère solo, la gilet jaune Ingrid Levavasseur, que j’ai rencontrée sur un rond-point. Je sortais de l’ENA, où l’on n’avait jamais parlé des mères solos, je ne connaissais pas le sujet. J’ai découvert que toutes les femmes présentes sur le rond-point étaient seules avec leurs enfants et qu’elles étaient en difficulté. Ensuite, on a créé la première Assemblée des familles monoparentales.

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On a construit la proposition de loi avec elles, puis on l’a mise en débat sur Internet. On a reçu 150 000 contributions et 200 amendements. Donc le texte ne peut pas être misérabiliste. Et, en même temps, on ne peut pas nier la précarité dans laquelle vivent ces femmes. Ni misérabilisme ni invisibilisation. Aujourd’hui, cette proposition de loi peut faire bouger les choses. Ce peut être un moment historique pour garantir de nouveaux droits aux mères solos.

Société
Publié dans le dossier
Sortir les mères isolées de l’ombre
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