Bruno Retailleau : le Beauvau de la honte

L’omniprésent ministre de l’Intérieur multiplie les déclarations chocs et place le gouvernement de Michel Barnier dans la roue du Rassemblement national.

Lucas Sarafian  • 23 octobre 2024 abonné·es
Bruno Retailleau : le Beauvau de la honte
Bruno Retailleau, lors d'une opération de la gendarmerie française sur le péage de l'autoroute A83, aux Essarts, le 4 octobre 2024.
© Sebastien Salom-Gomis / AFP

Dans la cour de la place Beauvau, Bruno Retailleau se frotte les mains quelques secondes avant de prendre la parole dans la matinée du lundi 23 septembre. L’homme de 63 ans, au corps longiligne, se tient un peu à distance du pupitre. Calmement, il remercie Michel Barnier et Emmanuel Macron, qui se sont entendus pour le nommer à la tête du ministère de l’Intérieur, et jure de protéger toutes les forces de l’ordre.

Soudain, il s’agite, se rapproche des deux micros placés devant lui et parle de cette violence qu’il considère comme généralisée dans le pays. « Ce sont des chiffres, des statistiques inquiétantes. Mais il y a pire, parce que, derrière la froideur de ces chiffres, il y a des corps brisés, des existences mutilées, des vies volées. Tant de victimes dont les noms se perdent dans une chronique banale, une barbarie devenue presque quotidienne. »

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En quelques secondes, la classe politique entre dans la brutalité de son imaginaire. « Que nous a dit le peuple souverain ? Il nous a envoyé un message que nous devons entendre sans aucun sectarisme. Ce message est clair : les Français veulent plus d’ordre, d’ordre dans la rue, d’ordre aux frontières. » Bruno Retailleau plante le décor.

Soutenu à sa droite par Othman Nasrou, nouveau secrétaire d’État chargé de la Lutte contre les discriminations, et Nicolas Daragon, désormais ministre délégué chargé de la Sécurité du quotidien. Les macronistes Gérald Darmanin, Dominique Faure, Sabrina Agresti-Roubache, Marie Guévenoux et, quelques mètres plus loin, Marlène Schiappa, applaudissent sans broncher. Une scène symbolique : le macronisme laisse une place à la droite dure.

Le nouveau locataire de Beauvau ne rêve que d’une chose : se faire entendre au sein de ce gouvernement qui pourrait tomber à tout moment. Alors, depuis sa nomination, l’ancien chef de file des sénateurs Les Républicains (LR) ne refuse aucune invitation dans les médias. Dans Le Figaro, il affirme qu’« un pays n’est pas un hall de gare ». Sur TF1, il lâche : « L’immigration massive, ça n’est pas une chance pour la France. » Dans Le Journal du dimanche, il estime que « l’État de droit, ça n’est pas intangible ni sacré ». Sur LCI, il se dit favorable à un référendum sur l’immigration. Dans Le Parisien, il annonce défendre des régularisations « au compte-gouttes ».

Il est un peu devenu ministre de tout.

E. Faucillon

Michel Barnier recommandait à l’ensemble de ses ministres de ne pas s’épancher dans les médias. Cette règle, Bruno Retailleau n’en a que faire : il opte plutôt pour la stratégie du carpet bombing. Omniprésent médiatiquement, il distille les déclarations chocs qui pourraient faire partie des slogans scandés par le Rassemblement national (RN).

« Il montre très rapidement son volontarisme, sa détermination, considère le député Droite républicaine (DR) de l’Allier Nicolas Ray. Le RN surfe sur l’augmentation de la délinquance, les problèmes d’impunité, l’immigration mal contrôlée. Il faut agir sur ces questions, il y a une attente. Le ministre envoie le signal qu’il veut faire bouger les choses. »

Un discours radical

Bruno Retailleau cite le philosophe Vladimir Jankélévitch, parle tout le temps, clive au sein du bloc central, ne se gêne pas pour déborder sur les portefeuilles d’autres ministères, surtout celui de la Justice. Manière d’assumer le conflit avec l’ancien socialiste devenu garde des Sceaux, Didier Migaud. « Il est un peu devenu ministre de tout », juge la députée communiste Elsa Faucillon, membre de la commission des Lois. S’inspirerait-il du passage de Nicolas Sarkozy à l’Intérieur entre 2005 et 2007 ?

L’ancien président et le nouveau ministre ont d’ailleurs déjeuné ensemble à Beauvau, le 2 octobre. Aujourd’hui, Bruno Retailleau prend la même direction que l’ex-chef de l’État en droitisant le gouvernement jusqu’à le mettre dans la roue du RN. « Il a choisi un segment électoral très droitier qui lui permet de se placer entre le RN et la droite républicaine en portant des thématiques défendues par l’extrême droite », observe le sénateur socialiste Jérôme Durain, spécialiste des questions de sécurité.

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Son discours radical n’est pas une surprise. En début d’année 2024, lors des débats sur la loi immigration de Gérald Darmanin, le sénateur de Vendée tente de durcir le texte en défendant une « préférence nationale » pour l’accès aux prestations sociales, la restriction du droit du sol ou la suppression de l’aide médicale d’État (AME). Défenseur de la Manif pour tous et fervent opposant à l’inscription de l’IVG dans la Constitution, il n’hésite pas à établir sur ­Franceinfo un « lien » entre les révoltes des quartiers populaires à la suite de la mort du jeune Nahel et l’immigration : « Pour la deuxième et la troisième génération, il y a une sorte de régression vers les origines ethniques. »

Des positions conformes à l’idéologie de son mentor, Philippe de Villiers, qui l’enrôle en 1988 en Vendée. Sous la tutelle du futur soutien d’Éric Zemmour, Retailleau dirige la mise en scène du Puy du Fou et prend la tête de ­SciencesCom, une école de communication que Villiers crée à Nantes, avant d’entrer à l’Assemblée en 1997 avec l’étiquette du Mouvement pour la France, la formation du souverainiste. Cette année-là, il défend la loi Debré de 1997, qui permet la confiscation du passeport des étrangers en situation irrégulière et pourfend l’idée d’une « société multiculturelle», synonyme selon lui de société « multiconflictuelle ».

Son positionnement idéologique est archaïque.

A. Kerbrat

Représentant depuis 2012 de l’aile la plus réactionnaire au sein de l’UMP puis des Républicains, Retailleau coordonne la campagne de François Fillon en 2016. Fidèle parmi les fidèles, il lui est promis Matignon ou l’Intérieur en cas de victoire de son champion. Ce sont finalement Michel Barnier et Emmanuel Macron qui, sept ans plus tard, le propulsent au gouvernement.

« Son positionnement idéologique est archaïque», cingle le député insoumis Andy Kerbrat, qui se se souvient qu’en 2016 Bruno Retailleau, alors président du conseil régional des Pays de la Loire, avait suspendu une subvention de 5 000 euros dévolue au festival de cinéma Cinépride organisé par le centre LGBTQIA+ de Nantes, au motif que ce lieu faisait la « promotion de la GPA ». La vice-présidente de région chargée de la Culture s’appelait ­Laurence Garnier. Elle est aujourd’hui secrétaire d’État chargée de la Consommation.

Le meilleur allié du RN

Sur le fond, Retailleau, décrit comme connaisseur de ses dossiers par son entourage, défend la « présomption d’innocence pour les policiers », entend donner plus de pouvoirs aux préfets pour les expulsions, veut prolonger jusqu’à 210 jours la durée de la rétention administrative des migrants en situation irrégulière, pense à créer une nouvelle incrimination pour faciliter les dissolutions de groupes ou d’associations. Et souhaite réécrire la circulaire Valls, qui permet de régulariser 30 000 sans-papiers chaque année.

Une annonce qu’a faite le ministre dans Le Parisien le 10 octobre, sans l’évoquer lors de son audition devant la commission des Lois de l’Assemblée huit jours plus tôt. Énervé par la manœuvre, Florent Boudié, le président de cette commission, lui a donc adressé une lettre lui demandant « un débat à la fois transparent et rigoureux » sur cette question.

Entre le ministre et le camp macroniste, le bras de fer est lancé. « Il est le premier ministre de l’Intérieur à dire les choses avec une grande sincérité sur la sécurité et l’immigration. Même Gérald Darmanin, qui a été assez loin, restait toujours dans une sorte de ‘en même temps’ mortifère. Retailleau sort de cette logique », défend Thibault de Montbrial, l’avocat très droitier spécialisé dans la défense des policiers et des militaires, avec qui le ministre échange régulièrement.

C’est un discours qui nous flatte. Il envoie les bons signaux.

J. Rancoule

Pour le moment, le premier flic de France – qui n’a pas envoyé de courrier de bienvenue aux différents corps de la police – fait le bonheur de l’Unsa et d’Alliance, les deux syndicats proches des positions du RN qui composent le bloc majoritaire. « Sa nomination convient à ce que demandent les Français qui veulent un choc d’autorité dans le pays », estime Éric Henry, conseiller spécial d’Alliance. « On met un discours dur à l’Intérieur et plus modéré à la Justice», résume Thierry Clair, secrétaire général de l’Unsa.

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Dans ses plans, le Vendéen souhaite porter un texte sur le narcotrafic, veut légiférer sur « l’islam politique ». Et, surtout, il portera l’année prochaine un énième projet de loi sur l’immigration qui reprendra les articlescensurés par le Conseil constitutionnel en 2024. Une exigence de l’extrême droite qui pourrait bien avoir trouvé en Bruno Retailleau son ministre préféré. « C’est un discours qui nous flatte. Il envoie les bons signaux. On attend maintenant de voir les actes et on jugera sur pièces », explique le député RN de l’Aude Julien Rancoule. Marine Le Pen n’a-t-elle pas déjà salué ce ministre aux propositions qui « ne sont pas sans [lui] rappeler un certain programme présidentiel » ?

Bruno Retailleau est devenu le porte-parole du RN.

L. Balage El Mariky

« Bruno Retailleau est devenu le porte-parole du RN, son meilleur allié », selon la députée écolo de Paris Léa Balage El Mariky. « La leçon des législatives, c’est que les ­Français ne voulaient ni des extrêmes ni du désordre, mais une politique de changement. C’est ce que Bruno Retailleau incarne, défend le député LR du Territoire de Belfort Ian Boucard. Sa ligne, c’est la ligne de ce que le général de Gaulle appelait la ‘majorité nationale’, c’est ce que veulent les Français. »

Pour Elsa Faucillon, « les députés de l’extrême droite et de la droite boivent ses paroles. C’est lui qui rend le plus visible le lien entre le gouvernement et l’extrême droite ». Avec sa nomination, l’union des droites et des extrêmes droites entre à Beauvau.

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