Sahara occidental : le recensement, enjeu crucial

Si le Maroc marque des points dans l’ambition d’annexer définitivement le Sahara occidental, la cause du Front Polisario dispose d’appuis forts auprès d’instances et de juridictions internationales.

Patrick Piro  • 27 février 2025 abonné·es
Sahara occidental : le recensement, enjeu crucial
© Patrick Piro

Numéro 10889119 : un peu intimidé, Habudda Salem manipule avec précaution sa carte d’identité sahraouie toute neuve. Il a 16 ans, âge requis pour s’enregistrer au Centre national du recensement et des documents personnels de Shahid El-Hafed (Rabouni). Une cinquantaine de personnes attendent leur tour dans la salle. Habudda a dû apporter la preuve de sa filiation ou de sa présence pendant au moins dix ans dans un des campements sahraouis.

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Le traitement de sa demande, bien huilé, n’a duré que deux semaines : l’enjeu est important pour les autorités de « l’État en exil », qui se targuent de pouvoir greffer leur administration du jour au lendemain au Sahara occidental, « quand viendra l’indépendance ». Les campements portent à ce titre le nom des principales villes des territoires occupés.

Les noms de 76 350 personnes ont été validés.

Les locaux du centre recèlent des documents encore plus capitaux pour l’avenir du Sahara occidental : les fiches d’identification des personnes qui pourront voter au référendum d’autodétermination – s’il est un jour organisé. Un délicat processus d’identification des « Sahraoui·es », admissibles donc à ce corps électoral, a été conduit de 1991 à 2000 sous l’égide d’une commission comprenant notamment des officiels marocains. Appartenance à une tribu sahraouie, preuve de naissance au Sahara occidental, identification par le recensement espagnol de 1974…, au bout du compte, les noms de 76 350 personnes ont été validés.

Aspiration et droit à l’indépendance

Mais alors que l’aspiration à l’indépendance est fortement ancrée au sein du peuple sahraoui, la composition de ce corps électoral est contestée par Rabat, qui n’a eu de cesse de vouloir y inclure des personnes prétendument sahraouies, généralement des colons incités à venir s’installer dans les territoires occupés, et potentiellement favorables à l’ambition constante du Maroc : l’annexion définitive du Sahara occidental. Un projet aujourd’hui déguisé sous la forme d’un plan « d’autonomie », auquel l’intense diplomatie économique de Rabat est récemment parvenue à rallier d’importants pays comme l’Espagne, la France ou les États-Unis. 

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Si 84 pays ont un jour reconnu la République arabe sahraouie démocratique (RASD) depuis sa création en 1976, dont l’Algérie au premier chef, la moitié se sont récusés depuis. Si le rapport de force, sur le front et dans les chancelleries, semble aujourd’hui peu favorable à cet « État en exil », les Nations unies, pour leur part, n’ont pas dévié de leur résolution de 1979 qui reconnaît au Sahara occidental « le droit inaliénable à l’autodétermination et à l’indépendance », avec le Front Polisario pour représentant. La RASD reste par ailleurs reconnue par l’Union africaine, et admise en son sein en tant que membre fondateur.

Par ailleurs, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) vient d’infliger deux revers à la Commission européenne. En octobre 2024, elle a rendu inapplicable au Sahara occidental deux accords commerciaux Maroc-UE, car conclus en « méconnaissance des principes de l’autodétermination » du peuple sahraoui. Et en février dernier, la CJUE a rejeté une demande de Bruxelles visant, de facto, à exclure les populations sahraouies vivant hors des territoires occupés par le Maroc de potentielles consultations touchant à des accords économiques.

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