Zuenuha Chejali, mère démineuse

Elle s’est formée à la détection de mines, risquant sa vie pour en sauver d’autres dans les territoires sahraouis libérés. Portrait.

Patrick Piro  • 27 février 2025 abonné·es
Zuenuha Chejali, mère démineuse
© Patrick Piro

On peine à se représenter Zuenuha Chejali troquant son élégante melhfa – long tissu dans lequel on s’enroule de la tête aux pieds –, jaune et rose, pour une combinaison de protection contre les explosions, baladant à bout de bras un détecteur de mines sur le sable.

Elle a 29 ans et est mère d’un tout jeune enfant quand, en 2017, elle parvient à convaincre sa famille de la laisser contacter le Sahrawi Mine Action Coordination Office (Smaco), qui a formé à ce jour une cinquantaine de démineuses sahraouies. Son père a été amputé d’une jambe après avoir sauté sur une des 10 millions de mines déposées par l’armée marocaine dans la frange du Sahara occidental libérée par l’armée sahraouie.

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« C’est de cette manière que j’ai voulu accomplir mon devoir national, en donnant l’exemple à notre peuple que l’on peut nettoyer ce territoire. Les femmes sont plus courageuses que les hommes pour ce genre de tâches… » La souriante Zuenuha ne roule pas pour autant des mécaniques. « Au début, j’étais traumatisée par tout ce cadre impressionnant, le masque, le gilet blindé, les gestes, les règles de sécurité, la vigilance absolue. Puis je me suis habituée… »

« Je suis fière d’avoir participé à sauver des vies »

En 2018, elle part pour le front, à Bir Lahlou, dans la zone réputée la plus dangereuse, afin de participer à une opération soutenue par une ONG norvégienne spécialisée dans le déminage. En dépit du cessez-le-feu de 1991, le Maroc a toujours refusé de livrer les cartes des aires piégées. Elle mime les gestes du terrain. Le détecteur doit sonner et clignoter quand il détecte un objet métallique sous le sable. « Mes collègues ont eu l’occasion de tomber sur des mines, des modèles italiens en majorité, moi jamais », souffle-t-elle en se remémorant son soulagement.

Je ne savais pas ce qui m’attendait, et je me demandais si j’allais en revenir.

Zuenuha

Elle participe aussi aux opérations de destruction des mines extraites : on les met en tas pour les faire exploser. « Quand j’ai accepté ces missions, je ne savais pas ce qui m’attendait, et je me demandais si j’allais en revenir. D’ailleurs, un de nos collègues a été blessé à la suite d’une fausse manœuvre. Aujourd’hui, je suis fière d’avoir participé à sauver des vies. »

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L’ONG norvégienne a désormais quitté les lieux, interrompant la mission de Zuenuha, que l’armée sahraouie n’a pas pu prolonger faute d’équipements. L’expérience l’a durablement marquée. « J’y retournerais si un nouveau partenaire étranger se manifestait. » Elle a 37 ans, et désormais trois enfants. Avec cinq autres démineuses côtoyées sur le terrain, elle s’est aujourd’hui engagée dans la prévention, distribuant des tracts de mise en garde et de sensibilisation dans les écoles. « Je pense régulièrement à toutes ces mines qui restent enfouies, et qui menacent de mort n’importe quel enfant… »

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