Femmes de ménage : des luttes modèles et victorieuses

Dans la période, les victoires sociales se font rares. Depuis quelques années, les femmes de ménage montrent l’exemple, avec pour principal atout, la solidarité des caisses de grève qui les font tenir dans la durée, imposant un rapport de force en leur faveur. Retour sur quatre luttes.

Juliette Heinzlef  et  Pierre Sinoir  • 18 avril 2025
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Femmes de ménage : des luttes modèles et victorieuses
Manifestation des femmes de chambre de l'hôtel Ibis Batignolles, le 17 octobre 2019 devant le siège d'Accor à Paris, au troisième mois de leur grève pour réclamer de meilleures conditions de travail.
© STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Ibis Batignolles : une victoire historique

« La souffrance donne la force », confie Sylvie, femme de chambre à l’hôtel d’Ibis Batignolles. Dès le 19 février 2019, elle et ses dix-neuf autres collègues se sont présentées presque chaque jour, de 9 heures à 16 heures, devant les portes du bâtiment, dénonçant « la cadence de travail » imposée par leur employeur, le sous-traitant STN. « Tu venais à l’hôtel, tu devais faire 21 chambres en 6 heures, soit une chambre toutes les 17 minutes. On savait que ce qu’on subissait là, c’était de la maltraitance », explique Sylvie.

Les gens doivent comprendre que ce ne sont pas des robots qui travaillent.

Sylvie

Une mobilisation historique, devenue le symbole de la lutte contre l’exploitation du personnel de ménage dans les hôtels, notamment en raison de la durée du mouvement. Avec 22 mois de conflit, la grève de l’Ibis Batignolles est la plus longue de l’histoire de l’hôtellerie française. Les salariées obtiendront finalement gain de cause, bénéficiant d’une réduction de la cadence, d’un versement d’une indemnité nourriture de 7,24 euros par jour et de meilleures conditions de travail.

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Un succès qui s’explique par la diversité des actions mises en place : distributions régulières de tracts, mobilisations les week-ends, renversement de confettis devant l’hôtel pendant le confinement. Mais aussi par l’installation d’une caisse de grève statutaire qui a largement participé au maintien de la lutte. « Pour celles qui travaillaient à temps partiel, avec un boulot à côté, elles partaient avec 600 euros par mois. Celles qui dépendaient uniquement de ce travail, à temps plein, elles avaient 1 000 euros », détaille Tiziri Kandi (1). Cette syndicaliste à la CGT-HPE (Hôtels de prestige et économiques) était chargée de la trésorerie à cette période, et a mené de nombreuses luttes victorieuses semblables.

*Mardi 28 novembre 2023, la tribunal correctionnel de Nanterre a condamné deux syndicalistes de la CGT-HPE, Claude Lévy et Tiziri Kandi, pour « escroquerie ». Ils étaient jugés fin septembre pour avoir sollicité des dons auprès de salariés qu’ils ont défendu devant les prud’hommes, entre 2014 et 2020, en incitant ces derniers à verser au syndicat 10 % des sommes obtenues devant ces juridictions. Claude Lévy a écopé de huit mois d’emprisonnement avec sursis et 5 000 euros d’amende. Son épouse, Tiziri Kandi, a écopé de six mois de prison avec sursis et de 5 000 euros d’amende.

Enfin, l’emballement médiatique autour de la mobilisation s’est aussi révélé être un atout précieux dans la lutte. « On se disait, ça y est, finalement, un jour, on va parler de nous. Les gens doivent comprendre que ce ne sont pas des robots qui travaillent » s’émeut Sylvie, convaincue que l’ampleur de la mobilisation a permis à d’autres femmes de chambre d’exprimer leurs revendications. 

Holiday Inn Clichy : la joie combative 

Avant l’Ibis Batignolles, une autre lutte, moins médiatisée, avait obtenu des avancées au terme de 111 jours de grève : celle de l’Holiday Inn à Clichy, en 2018. Le détonateur du conflit est alors lié à la mutation forcée de deux salariées. Une conséquence directe du recours à la sous-traitance qui peut envoyer les salariées, parfois sans préavis, dans un hôtel différent, rendant les conditions de travail intenables.

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Pour Anne, une ancienne gréviste, c’est d’abord la motivation qui explique le succès rencontré. « On se disait que tenter de changer nos conditions de travail méritait le risque de tout perdre et d’être licenciées. On était si déterminées qu’on aurait pu durer un an ». Mais gagner n’est pas seulement le résultat d’une détermination, c’est aussi celui d’une organisation très concrète au jour le jour : « La grève ce n’est pas un bouton sur lequel on appuie. Il faut qu’il y ait une communauté de travail, avec des gens qui se côtoient et qui ont envie de se battre ensemble, sinon c’est voué à l’échec. On retrouve cela dans les gros sites hôteliers », analyse Etienne Deschamps, juriste au syndicat CNT Solidarité ouvrière.

Il fallait tenir le piquet de grève coûte que coûte, tous les jours.

Anne

Une vision partagée par Anne qui se souvient : « On était très solidaires : Il y avait des femmes qui avaient des enfants en bas âge alors on alternait entre nous pour aller les chercher à l’école et les occuper. Il fallait tenir le piquet de grève coûte que coûte, tous les jours. » Cette solidarité est couplée d’une joie combative qui permet aussi de tenir sur la durée : « C’étaient de très beaux moments. On mettait de la musique, on dansait, on lançait des confettis. Je n’oublierai pas cette grève. »

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Un optimisme payant puisque l’accord signé entre les organisations syndicales et la direction de l’hôtel a permis la revalorisation des qualifications, la mise en place d’une prime de panier, la désignation d’un délégué syndical de proximité et l’internalisation des services en 2019. Sept ans plus tard, Anne témoigne : « Mon salaire a plus que doublé. Aujourd’hui je suis à 2 200 € nets. Là où il y a de l’exploitation, il faut que les gens se rebellent car cela porte ses fruits. »

Science Po : une bataille éclair


À côté des grèves victorieuses dans les hôtels, la mobilisation des 77 agentes d’entretien – en majorité des femmes – des locaux de Science Po, début mars, a connu un succès fulgurant. Le 6 mars dernier, la grève débute. Une semaine plus tard, le personnel de ménage gagne l’obtention d’un 13e mois de salaire. À l’origine du mouvement, l’institution avait lancé un appel d’offre pour chercher une nouvelle société de ménage, tout en “refusant de dialoguer” sur les conditions de travail liées au changement de prestataire, selon Layla Mabrouk, représentante du Syndicat CFDT Francilien de la Propreté, majoritaire sur le site.

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Puis, c’est 100% du personnel qui s’est mis en action. Pour Latifa, cheffe d’équipe sur l’un des sites de Science Po, la communication du syndicat envers les grévistes fut l’une des clés de cette mobilisation massive. « Il y avait des gens qui ne parlaient pas français. Des Tibétains, des Philippins, et le syndicat a été présent pour bien leur communiquer, et rassurer tout le monde », explique-t-elle. De plus, les manifestantes ont pu compter sur le soutien des étudiants, notamment grâce aux membres du Collectif du lien qui agit depuis trois ans pour une cohésion entre les travailleurs et travailleuses essentiels de Science Po, et les étudiants.

L’état des locaux de Science Po trois jours après le début de la grève. (Photo : DR.)

« On s’est mis à bloquer dès le début. On a créé une caisse de solidarité supplémentaire qui a permis de rapporter 5 000 euros en cinq jours » détaille Noé, étudiant en master et membre du collectif. Rapidement, au sein des locaux, les poubelles se sont mises à déborder, la saleté à envahir les couloirs, rendant impossible la pratique des cours. Pour Saphia Doumenc, sociologue des mobilisations et du syndicalisme, cette dimension universitaire est non négligeable dans la réussite de cette mobilisation : « Quand on a le soutien d’étudiants qui sont diplômés, qui maîtrisent les codes oratoires, cela devient également un soutien symbolique. »

Radisson Blu à Marseille : une victoire multidimensionnelle

Le succès de ces grèves ne se cantonne pas à la région francilienne. En témoigne celle du Radisson Blu à Marseille, où quatorze femmes de chambre ont fait plier, au terme de deux mois de combat, la société Acqua, sous-traitant de l’hôtel de luxe. La grève a montré les bénéfices de la convergence des luttes, avec la présence d’associations féministes comme Du pain & des roses, venue soutenir les femmes de chambre.

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Pour Saphia Doumenc, les victoires des femmes de chambre « s’inscrivent dans une revendication multidimensionnelle. Elle est d’abord matérielle, mais c’est aussi une remise en cause de leur place dans la société, en tant que femmes, et en tant que femmes issues de l’immigration ». Au nombre des revendications gagnées :  une revalorisation de leur salaire – certes dérisoire, de onze centimes par heure -, une clause de mobilité limitée à trois déplacements par mois maximum, et la mise en place progressive d’un treizième mois.

Le fait de tenir depuis 8 mois est déjà en soi une victoire.

Actuellement, devant l’hôtel Campanile de Suresnes, les femmes de chambre grèvent depuis le 19 août. Sans connaître l’issue du combat, l’une des grévistes affirme : « Le fait de tenir depuis 8 mois est déjà en soi une victoire. » Comme un écho à la phrase de Brecht : « Ceux qui luttent ne sont pas sûrs de gagner, mais ceux qui ne luttent pas ont déjà perdu. »

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