Femmes de ménage : des victoires et des histoires

Par leur place sur les écrans et par leurs luttes syndicales, elles ont acquis une nouvelle visibilité. Un premier pas vers une meilleure représentation du monde du travail.

Pablo Pillaud-Vivien  • 18 avril 2025
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Femmes de ménage : des victoires et des histoires
Des femmes de chambre de l'hôtel Ibis Batignolles manifestent, le 17 octobre 2019 devant le siège d'Accor à Paris, lors de la journée marquant le troisième mois de leur grève pour réclamer de meilleures conditions de travail.
© STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Frotter frotter sur France 2, HPI sur TF1, Maid sur Netflix, Clean bientôt sur M6, le roman La Femme de ménage de Freida McFadden bientôt adapté au cinéma, Rachel Keke à l’Assemblée nationale ou encore les agentes d’entretien de Sciences Po qui prennent la parole au début des meetings politiques depuis la victoire-éclair de leur grève : la femme de ménage se place au centre des représentations du monde du travail.

Selon le ministère du Travail, en 2016, 8 % de l’ensemble des salariés de France métropolitaine exercent un métier du nettoyage (ou comportant une activité de nettoyage). Des concierges aux aides à domicile en passant par les employés de maison et les techniciens de surface ou les éboueurs, la panoplie des métiers liés à la propreté est large. Mais elle nous dit une réalité : l’importance, pour nos sociétés contemporaines, de notre hygiène commune… et la délégation de cette tâche à d’autres que soi.

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Une délégation qui se fait dans la précarité : avec seulement 18 % de CDI dans ce secteur, les salariés du nettoyage ont un temps de travail souvent très fragmenté (une façon édulcorée de dire qu’ils ont des horaires impossibles, souvent très tôt le matin et avec plusieurs employeurs dans une même journée). Surtout, s’ils ont parfaitement conscience de leur utilité pour la société (« nécessaires » comme on dit depuis la crise du covid), ils subissent aussi un fort sentiment d’ignorance jusque sur le lieu même de leur travail. Un manque de considération qui va de pair avec des salaires de misère et une exposition aux risques physiques importante.

Symptômes

Conséquences de ces conditions de travail ou continuation d’un héritage patriarcal plurimillénaire, ce sont aussi, à 80 %, des femmes – et l’on titille les 100 % quand on se concentre sur les métiers d’aide à domicile et d’employé de maison. Les immigrées représentent 20 % d’entre elles (un pourcentage qui explose si l’on prend en considération les employées de maison… mais qui ne sont trop souvent pas déclarées et donc non prises en compte dans les statistiques officielles).

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Bref, elles concentrent là de nombreuses discriminations qui sont autant de symptômes de notre société. Et, contrairement à d’autres emplois, elles sont au cœur de la vie de tous : si vous n’êtes pas directement une employée du secteur du nettoyage, vous en connaissez au moins une, vous les croisez dans votre quotidien. En un sens, on ne voit plus, dans les villes comme dans les campagnes, des ouvriers en bleu de travail qui vont à l’usine le matin et en reviennent le soir, mais on vit avec ces agentes d’entretien qui s’occupent de tous nos espaces et bâtiments publics, des entreprises et parfois même des intimités des foyers.

Avec les femmes de ménage remises à l’honneur, le récit de la lutte des classes continue de s’écrire.

Ce prolétariat contemporain et visible, méprisé et trop souvent oublié, a aussi des attributs facilement identifiables : ce n’est plus la faucille et le marteau, mais les gants en latex et l’habit bleu pâle qui les caractérisent. Mais souvent, elles sont seules sur leur lieu de travail : cette solitude empêche, dans une certaine mesure, de mener des luttes. D’ailleurs, on voit que celles qui en mènent sont les salariées, souvent dans la sous-traitance, d’entreprises ou d’hôtel. Parce qu’elles forment un groupe et que la lutte n’est efficace que si elle est commune et qu’on a un interlocuteur. Quand on a 10 employeurs dans la semaine et qu’on va seule sur son lieu de travail, la lutte est quasi impossible.

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Avec les femmes de ménage remises à l’honneur, le récit de la lutte des classes continue de s’écrire, avec ses évolutions et ses métamorphoses. L’irruption de ce métier ouvrier, aux côtés des catégories professionnelles souvent représentées comme les policiers, les soignants, les juges, les professeurs et parfois les agriculteurs, fait du bien. Mais elle ne doit pas faire oublier que 73 % des Français travaillent dans le tertiaire. C’est à ces personnels administratifs qu’il faut aussi donner la possibilité de participer à l’imaginaire collectif du monde du travail.

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Parti pris et Travail

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