20 ans de TCE : « Nous avons eu raison de dire non »

Parmi les premiers à informer sur le contenu du traité constitutionnel européen, Politis a défendu, arguments à l’appui, un triple « non » : européen, de gauche, antilibéral.

Michel Soudais  • 31 mai 2025
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20 ans de TCE : « Nous avons eu raison de dire non »
© Maximalfocus / Unsplash

Vingt ans se sont écoulé. Avec ce recul, on ne peut pas soutenir que le rejet du traité constitutionnel européen que Politis a ardemment défendu était une erreur. Bien au contraire. Quand la quasi-totalité des médias appelaient à voter « oui », nous avons toutes les raisons d’être satisfaits de la manière dont nous avons fait vivre le débat à contre-courant de la pensée dominante. Pour y avoir pris une grande part, j’en garde le souvenir d’une période exaltante, qui reste comme un de mes meilleurs souvenirs professionnels.

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Il est de bon ton de prétendre que les Français, qui ont très majoritairement (54,67 %) voté « non », auraient moins répondu à la question soumise à référendum par Jacques Chirac qu’ils n’ont voulu sanctionner ce Président élu par défaut en 2002. Cette petite chanson rassure tous les eurobéats qui invitaient les électeurs à se prononcer sans même prendre connaissance du texte du traité.

Parce que « l’Europe c’est la paix », « l’Europe sera plus solidaire et plus sociale », « plus démocratique » aussi, elle permettra de « protéger l’environnement », etc. Que n’a-t-on pas entendu comme bêtises pour forcer la main des citoyens. Nombre d’entre elles ont été « fact-checkées » – comme on ne disait pas encore alors – par la rédaction.

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Car nous avons constamment pris le parti de nous en tenir à l’examen du texte proposé. Nous avions suivi les différentes étapes de son élaboration par une Convention pour l’avenir de l’Europe, qui a rendu son texte à l’été 2003, la modification de ce dernier par une Conférence intergouvernementale avant son adoption lors d’un sommet des chefs d’État et de gouvernement, le 18 juin 2004. Le 23 septembre suivant, quelques jours à peine après la publication officielle de cette version finale, nous nous lancions dans la bataille.

Le traité permet-il de résister aux effets déstructurants de la mondialisation néolibérale ou traduit-il un renoncement ?

Sous le titre « ce que vous cachent les partisans du oui », nous étions les premiers à livrer à nos lecteurs une lecture critique fondée sur des extraits d’articles, à nos yeux problématiques, dans leur numérotation définitive. Comme le journal l’avait déjà fait pour le traité de Maastricht. Cette manière de procéder, texte en mains, s’est avérée efficace. Tout au long de la longue campagne qui commençait, c’est de cette manière que les partisans du « non » de gauche sont parvenus à convaincre une majorité d’électeurs.

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Au fil des mois, nous avons interrogé le texte mettant ces questions en débat : Rééquilibre-t-il l’Europe dans un sens plus social ? Démocratise-t-il ses institutions ? Autorise-t-il de vraies alternances politiques ? Ou les encadre-t-il dans des contraintes telles qu’elles ne pourront plus porter que sur l’accessoire ? Fait-il émerger une Europe puissance face aux États-Unis ? Permet-il de résister aux effets déstructurants de la mondialisation néolibérale ou traduit-il un renoncement ?

Force était de constater qu’à toutes ces questions il était difficile de répondre positivement. Nous avions d’ailleurs, comme les électeurs, l’expérience des traités antérieurs. Le traité de Maastricht devait résoudre, grâce à l’euro, le chômage. En 2005, il avait explosé. Le traité d’Amsterdam prévoyait la coordination des politiques.

Il n’avait permis que de coordonner des politiques d’austérité : moins de retraites, moins de couverture maladie, moins de garanties pour les chômeurs, plus de temps de travail pour ceux qui concernent un emploi. Et les dispositions politico-économiques de ces traités étaient intégralement reprises dans la troisième partie du Traité établissant une Constitution pour l’Europe (TCE), la plus volumineuse puisqu’elle comprenait 322 articles sur 448, acquérant un statut constitutionnel.

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À nos yeux, cette constitutionnalisation des politiques que l’on subissait déjà était absurde juridiquement – « où a-t-on vu une Constitution définir le seul régime économique possible, sinon celle instaurée en URSS sous Staline ? », écrivions-nous. Elle était aussi économiquement périlleuse puisqu’elle condamnait, en cas de crise économique grave, l’UE à l’impuissance à laquelle la vouait déjà sa politique étrangère et de sécurité commune.

Elle était également politiquement dangereuse car, en ravivant la concurrence entre les hommes et les nations qui la composent, l’Union réunissait les conditions d’une guerre sociale dévastatrice pour tous, y compris pour l’idéal européen. « C’est trois fois non », titrions-nous à dix jours du scrutin dans un numéro qui compilait nos arguments et affirmait que notre « non » était un « oui » à une Europe démocratique, sociale et antilibérale.

On connaît la suite. Alors que le taux de participation des électeurs à ce référendum (69,33 %) était bien supérieur à celui des élections européennes – passées et futures –, comme à ceux constatés lors des législatives, le vote du peuple Français, comme celui des électeurs hollandais, a été bafoué. Le traité de Lisbonne qui reprenait l’essentiel des points contestés du TCE dans la plus totale opacité est signé en décembre 2007 par Nicolas Sarkozy, et ratifié en congrès à Versailles avec la complicité de parlementaires socialistes et écologistes. La victoire du 29 mai 2005 sur l’Europe libérale n’aura été qu’éphémère et ce contournement du vote populaire a durablement favorisé l’abstention, contribuant au recul de la gauche.

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Parti pris et Politique

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