Le mirage du recyclage
Malgré l’affichage et l’argent dépensé dans le recyclage, notre consommation de ressources naturelles ne ralentit pas. Un paradoxe que pointe un ouvrage – Du bon usage de nos ressources, de Flore Berlingen – appelant à changer radicalement de modèles de production et de consommation.

Du bon usage de nos ressources : pourquoi le recyclage doit changer de modèle / Flore Berlingen / éditions Rue de l’échiquier, 144 pages, 15 euros.
Depuis l’extension des consignes de tri, les poubelles d’ordures ménagères tendent à être un peu moins lourdes, tandis que les poubelles de tri avalent goulûment nos emballages. Enfin une bonne nouvelle ? Pas vraiment hélas, explique Flore Berlingen dans son nouvel ouvrage, Du bon usage de nos ressources : pourquoi le recyclage doit changer de modèle, paru en avril. Ancienne directrice de l’ONG Zero Waste France, cofondatrice depuis de l’Observatoire du principe pollueur-payeur, l’autrice récidive et pousse ici plus loin la réflexion qu’elle avait déjà menée dans Recyclage, le grand enfumage (Rue de l’échiquier, 2020).
« Je voulais partager des données nouvelles qui ont conduit à mettre à jour ma réflexion et, surtout, aborder la thématique sous un nouvel angle, celui des ressources », précise-t-elle auprès de Politis. Dans son essai, Flore Berlingen pointe un paradoxe de taille : malgré toute l’énergie déployée (et l’argent dépensé) autour du recyclage depuis des décennies, la consommation totale de ressources sur la planète ne s’est pas enrayée. Pire, elle a augmenté !
Pour mieux se rendre compte de l’hérésie dans laquelle nous sommes pris, l’autrice propose donc de délaisser un peu l’indicateur du taux de recyclage, qui renseigne uniquement « sur la fin de vie des produits et matériaux, mais assez peu sur leur devenir en tant que matières premières ». À la place, elle propose de regarder davantage le taux d’utilisation de matières recyclées (ou « taux de circularité »), centré sur les ressources.
Celui-ci met en avant la part de matières premières recyclées produites par rapport à la quantité de matières premières utilisées. Il permet donc d’évaluer la substitution effective de matières vierges par des matières recyclées. À l’échelle d’un produit ou d’une filière, on l’appelle « taux d’incorporation de matières recyclées ».
« L’alibi du jetable »
C’est ce taux-là qui indique la finalité de l’activité du recyclage. À l’échelle européenne, il progresse certes un peu, bien que très lentement. Mais à l’échelle mondiale, le pessimisme est de mise : le taux de circularité a carrément reculé, en passant de 9,1 % en 2018 à 7,2 % en 2023, selon la Circle Economy Foundation. Comme l’écrit Flore Berligen, cela signifie que « la progression des volumes recyclés n’a pas été suffisamment importante ces dernières décennies pour contrebalancer les effets de [la] croissance ultrarapide de la consommation globale ».
Nous sommes dans une logique (…) à tenter d’absorber le plus de déchets possible, plutôt que dans une remise en question de la quantité produite et consommée.
F. Berlingen
Le recyclage se révèle donc inefficace pour remplacer notre consommation de matières premières et nous faire véritablement entrer dans l’ère de l’économie circulaire. Le parallèle avec les énergies renouvelables est flagrant. Comme le pointait Jean-Baptiste Fressoz dans Sans transition : une nouvelle histoire de l’énergie (Seuil, 2024), celles-ci sont venues s’ajouter à la somme des énergies issues du bois, du pétrole ou du nucléaire, plutôt qu’elles ne s’y sont substituées, parce qu’elles n’ont pas été associées à une stratégie de sobriété énergétique. Avec le recyclage, c’est pareil : il est devenu « l’alibi du jetable » plutôt qu’un « substitut aux ressources vierges », dénonce Flore Berlingen.
Dans son essai, elle pointe les nombreux paradoxes qui enrayent la machine. En premier lieu, elle revient de façon historique sur la création du mode de vie « tout jetable » et sur une vision du recyclage focalisée sur la gestion des déchets, plutôt que d’être vu comme un approvisionnement alternatif en matières premières.
« Nous sommes dans une logique de volumes, à tenter d’absorber le plus de déchets possible, plutôt que dans une remise en question de la quantité produite et consommée », nous décrit-elle. Le pire, c’est que des déchets sont collectés sans même savoir en quoi leurs matières recyclées, souvent dégradées, pourront finalement servir. D’autant qu’une polaire fabriquée à partir de bouteilles de plastique continuera à diffuser du microplastique à tout va.
« Un corridor de consommation soutenable »
Flore Berlingen dénonce encore l’instrumentalisation du recyclage par les grandes entreprises, voire leurs renoncements affichés. Comme Coca-Cola, qui a annoncé fin 2024 avoir enterré ses objectifs de réemploi pour retourner à sa stratégie du « tout recyclage ». Elle s’inquiète aussi des investissements massifs réalisés dans les techniques de recyclage chimique (pyrolyse, purification à l’aide de solvants, hydrolyse…) alors que leurs « perspectives économiques et environnementales restent très incertaines ».
Elle alerte sur l’énergie et les ressources en eau dépensées pour assurer cette étape, ou encore sur les rejets de solvants et de microplastiques associés. Elle dénonce aussi la couardise des pouvoirs publics pour enclencher véritablement des réflexions en termes de décroissance de certaines activités d’extraction et de production.
Pour tenter de sortir de cette impasse par le haut, l’autrice n’est pas totalement démunie. À l’échelle individuelle, elle est lucide sur le fait que « vivre sobrement est un parcours du combattant » réservé aux plus motivés, nous confie-t-elle. L’échelle collective est plus transformatrice. Ce qu’elle prône, c’est de définir un « corridor de consommation soutenable », en faisant « bon usage » de nos ressources, compatibles avec le maintien des conditions de vie sur Terre.
Un horizon à associer à une planification écologique et démocratique, visant à arbitrer entre nos différents besoins, afin de respecter les limites planétaires tout en garantissant un accès égal et universel aux ressources. Puis de « recycler moins, mais mieux ». D’encourager l’écoconception des produits sans plastique, la standardisation des contenants, de rendre effectif le retour de la consigne.
Pour y parvenir, le plastique est bien sûr en ligne de mire : la sixième session de négociations prévue en août au sujet du traité international contre la pollution plastique nous dira si les États parviennent à se mettre d’accord sur une taxe pour renchérir son coût ou des quotas de production. Et si, dès lors, il est enfin envisageable d’en finir avec l’emballement pour les emballages à usage unique.
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