Darmanin, ministre hyperactif cherche voix pour l’Élysée
Le garde des Sceaux et poids lourd de la Macronie depuis 2017 a droitisé la politique d’Emmanuel Macron depuis sept ans. Gérald Darmanin compte désormais avoir un rôle pour la prochaine présidentielle.
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« Il y a en France une passion d’enfermer » Prisons : à droite, la surenchère répressive Punir plutôt que réparer : la dérive carcéraleSe taire et attendre que le vent tourne ? Jamais. Retour au 21 septembre 2024. Pour la première fois depuis 2017, Gérald Darmanin, 42 ans, n’est pas ministre. Michel Barnier choisit de nommer Bruno Retailleau à l’Intérieur, reconduit Sébastien Lecornu aux Armées, rappelle Laurent Saint-Martin au Budget. Mais le député du Nord et ancien grand espoir de la droite n’est pas appelé. Le début du grand vertige ? Pas vraiment.
Huit jours après l’annonce de ce gouvernement, Darmanin donne rendez-vous à la droite et à la Macronie pour sa rentrée politique dans son fief de Tourcoing (Nord). Devant Agnès Pannier-Runacher, Sébastien Lecornu, Élisabeth Borne, Maud Bregeon, Édouard Philippe et Gabriel Attal, il annonce le lancement de son club de réflexion, baptisé « Populaires ». Le Nordiste est un homme qui n’a pas de mal à se relever rapidement.
Pourtant, il vient de tomber de haut. Le capital politique de l’ex-ministre des Comptes publics est touché. Après la dissolution ratée d’Emmanuel Macron, il songe à construire un groupe de droite à l’Assemblée en absorbant les députés Horizons et quelques élus Les Républicains (LR). Échec. Il rêve de s’imposer à la tête du groupe macroniste. Échec. Il fait campagne en coulisses pour être nommé aux Affaires étrangères. Échec.
Gérald Darmanin perd son ministère de l’Intérieur, poste pour lequel il avait candidaté directement auprès d’Emmanuel Macron après la démission de Gérard Collomb en septembre 2018. Il y avait été finalement nommé en juillet 2020 grâce à l’appui capital de Richard Ferrand, alors que le président de la République et Jean Castex s’étaient accordés sur le nom de Jean-Michel Blanquer (1).
Selon le récit des journalistes Laurent Valdiguié et François Vignolle dans Gérald Darmanin, le baron noir du président (Robert Laffont, 2022).
À l’Assemblée, député comme les autres, il se sent libre comme l’air. Il s’oppose à Michel Barnier qui propose d’augmenter les impôts sur les sociétés. Ses plus proches, les députés Mathieu Lefèvre et Charles Rodwell, ainsi que toute l’aile droite du groupe macroniste font pression à coups de déclarations et de tribunes.
En effet, Gérald Darmanin n’est pas un homme seul. Maud Bregeon, Karl Olive, Olivia Grégoire… Sa première ligne est présente sur les plateaux télé. Le Nordiste sait construire son réseau. Le 8 juillet 2024, lendemain du second tour des législatives, il réunit, lors d’un déjeuner révélé par L’Opinion, une trentaine d’invités. Parmi eux, Maud Bregeon, Mathieu Lefèvre, Violette Spillebout, Florent Boudié, Ludovic Mendes, Charles Rodwell, Caroline Yadan, Benjamin Haddad, Olivia Grégoire ou Christophe Marion.
Droit du sol, port du voile…
Peu à peu, Darmanin s’émancipe. Il n’attend pas, par exemple, la ligne officielle de Renaissance pour commenter les réquisitions du procès des assistants parlementaires du Rassemblement national (RN) : il juge « choquant » que Marine Le Pen puisse être déclarée inéligible. Que Darmanin prenne la défense de la cheffe de file du RN n’a rien d’illogique au regard de son CV.
Entré en politique auprès de Christian Vanneste, figure de l’UMP et militant d’un rapprochement entre la droite et l’extrême droite, il signe quelques articles dans Politique magazine, une revue de la Restauration nationale, un mouvement royaliste. En 2012, il considérait que Marine Le Pen était « compatible avec la République » avant de la juger « trop molle » neuf ans plus tard lors d’un débat sur France 2. Plus encore, il utilise les mots de l’extrême droite en reprenant à son compte la thèse de « l’ensauvagement » de la société.
Après l’Intérieur, où il a ardemment défendu une loi immigration adoptée grâce aux voix du RN, Darmanin retrouve une place à la table du conseil des ministres. Ministre de la Justice de François Bayrou, il réagit à tout. Si certains, au sein de la commission des lois, estiment qu’il est « plus ouvert à la discussion », tous remarquent son omniprésence. En février, juste après le vote à l’Assemblée de la proposition de loi restreignant le droit du sol à Mayotte, il s’empresse de pousser le curseur et estime que « le débat public doit s’ouvrir sur le droit du sol ».
Au fond, Gérald Darmanin est resté ministre de l’Intérieur, car il s’en fiche de la Justice.
U. Bernalicis
En mars, il s’oppose au port du voile dans le sport, comme Bruno Retailleau, et met même sa participation au gouvernement dans la balance. Malgré les timides oppositions de Marie Barsacq, ministre des Sports, ou d’Élisabeth Borne, de l’Éducation nationale, François Bayrou tranche en faveur du locataire de la place Vendôme. « Il n’a pas vraiment changé depuis son passage à l’Intérieur. Il bosse beaucoup, il fait beaucoup de communication, observe la vice-présidente écolo de la commission des lois, Sandra Regol. Il n’a pas lâché les sujets qu’il traitait à l’Intérieur. »
Focus sur la justice pénale
Quelques semaines plus tard, il réussit à faire adopter la création de prisons de haute sécurité pour les plus gros narcotrafiquants. Et le 29 avril, nouvelle victoire : il fait adopter la loi narcotrafic qu’il porte depuis des semaines. « Au fond, Gérald Darmanin est resté ministre de l’Intérieur, car il s’en fiche de la Justice. Il veut simplement lutter contre la délinquance et les voyous. Il opère une réunification de l’Intérieur et de la Justice, loin de la séparation des pouvoirs », selon le député insoumis Ugo Bernalicis qui remarque également que le ministre ne parle que de la justice pénale, et non civile.
« Avec la pénitentiaire et l’incarcération des gros trafiquants de drogue, il a trouvé son cheval de bataille, pour Sandra Regol. Mais il ne défend pas certains arbitrages budgétaires. » Le 25 avril, 70 millions d’euros de crédits ont été annulés pour la justice judiciaire et plus de 25 millions ont été retirés pour la protection judiciaire de la jeunesse. Des efforts budgétaires étonnants alors que la justice des mineurs tombe en décrépitude et que la loi narcotrafic créera une nouvelle institution spécialisée, le Parquet national anticriminalité organisée (Pnaco), demandant plus de moyens.
Nous avons deux ministres de l’Intérieur en poste, et deux ministres qui communiquent beaucoup.
L. Mendes
« En tant qu’ancien ministre des Comptes publics, il sait exactement ce que ces choix impliquent », grince un conseiller parlementaire de gauche. « J’ai l’impression que nous avons deux ministres de l’Intérieur en poste, et deux ministres qui communiquent beaucoup, résume le député Ensemble pour la République (EPR) Ludovic Mendes. Notre pays est dans une situation compliquée, on doit porter des réponses rassembleuses. Quand on est ministre, il faut s’y consacrer pleinement et ne pas préparer d’autres choses derrière. »
Car Darmanin ne compte pas s’arrêter là. Le ministre de la Justice devrait publier un livre dans les prochains mois aux éditions de l’Observatoire, la maison d’édition où il a déjà publié Chroniques de l’ancien monde. Quand la droite s’est perdue, en 2017, et Le Séparatisme islamiste. Manifeste pour la laïcité, en 2021. Avec sa petite écurie « Populaires », l’ambitieux ministre de la Justice organise des « petits-déjeuners de réflexion » autour de la question du travail.
« On ne peut plus demander de ‘voter contre’. Il faut voter sur du récit positif et, pour cela, il faut des idées nouvelles », annonce d’emblée Darmanin, lors du petit-déjeuner du 30 octobre, où était invité Antoine Foucher, ancien directeur de cabinet de Marisol Touraine et auteur de Sortir du travail qui ne paie plus (éditions de l’Aube, 2024). Partisan d’une primaire réunissant le bloc central et LR, prépare-t-il déjà sa candidature ?
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