Perquisitions contre les salariés du CCIE : « Une dérive autoritaire claire »
Le 13 mai, plusieurs salariés du Collectif contre l’islamophobie en Europe (CCIE) ont été perquisitionnés et placés en garde à vue. Pour les organisations organisatrices de la récente marche contre l’islamophobie, le signal vise à intimider les militants antiracistes.

© Serge d'Ignazio
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« Nous ne laisserons pas réprimer le Collectif contre l’islamophobie en Europe » Collectif contre l’islamophobie en Europe : des salariés français en garde à vue, leur domicile perquisitionnéDimanche 11 mai, des milliers de personnes sortaient dans la rue à Paris et dans une vingtaine de villes, pour dénoncer l’islamophobie après le meurtre d’Aboubakar Cissé, jeune homme de 22 ans tué de 57 coups de couteau alors qu’il faisait le ménage dans une mosquée. Deux jours plus tard, mardi 13 mai, à 6 heures du matin, des policiers armés et cagoulés perquisitionnaient le domicile de plusieurs salariés du Collectif contre l’islamophobie en Europe (CCIE), ainsi que celui d’une famille, et emmenaient plusieurs personnes en garde à vue.
Ce gouvernement n’a qu’un objectif, faire taire la voix des musulmans.
A. Bentounsi
« Le signal envoyé est glaçant », a réagi le CCIE dans un communiqué publié le lendemain des perquisitions. Le motif de ces perquisitions serait la « recomposition d’une association dissoute ». L’avocate d’une des salariés contactée par Politis a émis de sérieux doutes sur le fondement de la procédure, le CCIE étant basé en Belgique et les salariés n’ayant pas de responsabilité pénale dans l’association.
« La situation que nous vivons actuellement est une déclinaison de ce que nous dénoncions dimanche dernier, à savoir l’islamophobie d’État », réagit Omar Slaouti, militant d’Argenteuil Solidarité Palestine et coorganisateur de la marche unitaire du 11 mai.
Pour Issa Diarra de la Brigade anti-négrophobie, ayant également participé à la marche, la signification est claire : « Le gouvernement essaie d’éteindre complètement le CCIE parce que mesurer l’islamophobie et apporter des chiffres différents que ceux brandis par le gouvernement est gênant dans l’islamophobie ambiante. »
« Intimidations »
« C’est encore une fois la démonstration que ce gouvernement n’a qu’un objectif, faire taire la voix des musulmans. C’est très inquiétant pour l’avenir. On assiste à un muselage de la parole des gens qui voudraient contester », estime Amal Bentounsi, militante contre les violences policières, qui s’était présentée aux législatives anticipées en juin dernier sous bannière du Nouveau Front populaire (NFP).
Après le CCIE, ce sera le tour d’autres organisations.
Dans les heures qui ont suivi les perquisitions, la nouvelle s’est diffusée dans les milieux militants. Les mots se ressemblent dans la bouche des personnes contactées par Politis. « On s’attend à la répression, mais c’est choquant quand même », estime une militante présente à la marche de dimanche qui préfère rester anonyme. « Une façon de nous intimider, c’est de viser l’une de nos organisations, et nous avons la sombre pensée qu’après le CCIE, ce sera le tour d’autres organisations », poursuit Omar Slaouti.
En avril, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau avait annoncé avoir entamé la procédure de dissolution d’Urgence Palestine, fer de lance de la mobilisation contre le génocide à Gaza depuis octobre 2023 ainsi que de la Jeune garde, organisation antifasciste.
Pour Raphaël Arnault, député LFI et cofondateur de la Jeune garde, « le CCIF a été dissous car la stratégie des racistes était de faire croire qu’il n’y avait pas d’islamophobie. Et maintenant, ils décident de perquisitionner quelques jours après qu’Aboubakar Cissé a été tué. Ça fait froid dans le dos. Le but est de terroriser notre camp. C’est un message envers les autres organisations menacées de dissolution. »
Il ne faut pas donner au pouvoir cette force terrible de semer la peur et la panique des militants.
O. Alsoumi
« Il ne faut pas donner au pouvoir cette force terrible de semer la peur et la panique des militants. La lutte contre l’islamophobie est une exigence pour toute personne qui revendique des valeurs inscrites sur le fronton des écoles de nos enfants », estime le porte-parole du collectif Urgence Palestine, Omar Alsoumi.
La dissolution d’Urgence Palestine a été discutée mercredi 14 mai au conseil des ministres. Le décret actant une possible dissolution n’a pas encore paru. Omar Alsoumi poursuit : « J’envoie un message de soutien et de solidarité inconditionnelle à ces personnes qui subissent ces persécutions et j’invite les personnes qui subissent cette violence à faire savoir ce qu’elles attendent. On se tient à leur disposition. »
« On s’en prend à des salariés, en débarquant chez eux, en les impressionnant », réagit Gérard Ré, secrétaire confédéral de la CGT, en charge des discriminations et libertés publiques. Il ajoute que le travail du CCIE est « précieux » en ce qu’il « permet de pointer des actes racistes au travail ». Il se demande : « Si la CGT sort des communiqués de soutien à la Palestine ou contre l’islamophobie, est ce qu’elle va être inquiétée ? »
Soutien des organisations antiracistes
« On attend un positionnement ferme de la part de nos alliés de gauche, qu’ils se positionnent sur cette question des atteintes aux droits et libertés fondamentaux », poursuit Amal Bentounsi. Pour l’instant, aucun parti n’a fait de communiqué officiel pour s’exprimer sur ces perquisitions et l’information a peu été reprise.
Pour Issa Diarra, de la Brigade anti-négrophobie, « il faudrait évidemment que la gauche réagisse, mais on ne s’attend pas à grand-chose. Le CCIF [Comité contre l’islamophobie en France, dissous en 2020, N.D.L.R.] a été tellement diabolisé que même lorsqu’il s’agit de parler du CCIE, les gens marchent sur des œufs et ont peur de condamner ce qu’il s’est passé. »
Nous refusons que la dissolution soit un pouvoir de l’exécutif.
N. Tehio
Pour Nathalie Tehio, présidente de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) – laquelle avait déjà critiqué la dissolution du CCIF, « cette répression signale un resserrement des pouvoirs autour de l’exécutif ». Avec la loi séparatisme, la possibilité pour le gouvernement de dissoudre des associations s’est ainsi étendue. « Nous refusons que la dissolution soit un pouvoir de l’exécutif. C’est une atteinte directe à la liberté de s’associer et cela peut dériver vers du délit d’opinion car le gouvernement peut réprimer ce qu’il estime ne pas devoir être porté dans la société. »
« Les persécutions judiciaires actuelles sont la continuité de la décision administrative prise en 2020 par le premier ministre de dissoudre le CCIF de façon arbitraire. Il s’agit d’une dérive autoritaire claire visant à museler toute voix dissidente », a réagi pour sa part le bureau de l’association des Étudiants musulmans de France, contacté par Politis.
Selon ce dernier, le message est clair : « Il y a un mois, la droite et l’extrême droite voulaient faire interdire le colloque sur l’islamophobie à l’Assemblée nationale durant lequel le CCIE a pu s’exprimer. Le message du gouvernement, c’est : ‘Vous êtes allés à l’Assemblée, vous organisez des manifestations, on vous a dissous, restez à votre place.’ »
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