Pourquoi la « TVA sociale » est un danger pour la Sécurité sociale

Diminuer les cotisations patronales pour augmenter la taxe sur la consommation. Cette nouvelle lubie du gouvernement bouleverserait le financement de la protection sociale, au risque d’accroître les inégalités.

Pierre Jequier-Zalc  • 2 juin 2025 abonné·es
Pourquoi la « TVA sociale » est un danger pour la Sécurité sociale
Sophie Binet, ici face à Emmanuel Macron sur TF1, a dénoncé, avec la TVA sociale, « le recyclage d’une vieille arnaque ».
© Ludovic MARIN / AFP

Ballon d’essai ou réelle proposition ? Depuis plusieurs jours, que ce soit par la voix d’Emmanuel Macron ou celle de François Bayrou, on entend une petite musique monter : il faudrait davantage « mettre à contribution la consommation ». Si le chef de l’État s’est bien gardé d’utiliser le terme, la mesure qu’implique cette phrase est bien l’inflammable « TVA sociale ». Le mécanisme de celle-ci est assez simple à comprendre. Il s’agit de diminuer les cotisations – a priori, patronales – et, en parallèle, d’augmenter la taxe sur la valeur ­ajoutée (TVA).

La TVA, l’impôt le plus injuste

Disons-le d’office : cette mesure n’a rien de « sociale » à proprement parler. Si le qualificatif lui est associé, c’est parce que cette hausse de la TVA devrait, en théorie, permettre de financer la protection sociale en comblant la perte de recettes occasionnée par la baisse des cotisations. C’est cette aberration sémantique que Sophie Binet a tenu à dénoncer lors d’une conférence de presse le 27 mai. « Le gouvernement rebaptise l’injustice fiscale en TVA sociale. C’est ce qu’on appelle du marketing. C’est le recyclage d’une vieille arnaque : faire croire que taxer la consommation serait une mesure sociale », critique la secrétaire générale de la CGT.

Le gouvernement rebaptise l’injustice fiscale en TVA sociale. C’est ce qu’on appelle du marketing.

S. Binet

Il est de notoriété publique que la TVA est l’impôt le plus injuste du pays. En effet, sans progressivité, sa charge repose sur chacun de la même manière. « La TVA est l’impôt le plus inégalitaire qui soit, car il pèse indifféremment sur tout un chacun, quel que soit le niveau de revenu. Dès lors, si on l’augmente, l’effort demandé est plus important pour les plus modestes », explique, au MondeÉric Gautron, secrétaire confédéral de Force ouvrière (FO). Or, cet impôt constitue déjà près de 38 % des recettes du budget général de l’État. Cela représente, et de loin, la première recette fiscale du pays, devant l’impôt sur le revenu (environ 24 %) et l’impôt sur les sociétés (18 %).

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Diminuer, encore, le coût du travail

Un tel basculement des cotisations patronales vers une hausse de la TVA reviendrait, une nouvelle fois, à diminuer le coût du travail. Une obsession macroniste depuis huit ans. Présentée comme un moyen de relancer la croissance et de diminuer le chômage, cette politique de l’offre est, aujourd’hui, dans une impasse. Les plans de licenciement se multiplient partout dans le pays, la croissance est atone, et les comptes publics – du fait d’une baisse massive des recettes – sont au plus mal.

« La TVA sociale s’inscrit dans la continuité de ces politiques menées en France pour baisser le coût du travail. Or, ces politiques s’avèrent inefficaces : que ce soit en France, ou à l’étranger, les études indiquent que baisser le coût du travail, y compris le travail à bas salaire, a très peu, voire pas du tout, d’effet sur l’emploi », souligne chez nos confrères d’Alternatives économiques Clément Carbonnier, professeur d’économie à l’université Paris-8.

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Surtout, il existe déjà de très nombreuses exonérations de cotisations, notamment pour les bas salaires. Or, ce mécanisme crée, aujourd’hui, des trappes à bas salaires, avec des entreprises qui n’ont aucun intérêt à augmenter leurs salariés au Smic. Au point que, fin 2024, deux économistes proches du gouvernement, Antoine Bozio et Étienne Wasmer, ont rendu un rapport sur cette question concluant qu’« en termes de politiques d’exonérations de cotisations sociales, une inflexion est nécessaire ». Aujourd’hui, le coût de ces exonérations est très important, évalué entre 70 et 80 milliards d’euros par an. Réduire, de nouveau, les cotisations patronales serait donc, clairement, un nouveau geste en faveur des chefs d’entreprise qui plaident, forcément, en faveur de la « TVA sociale ».

Un « changement de paradigme »

Outre ces aspects économiques loin d’être anodins, la TVA sociale est aussi particulièrement inquiétante par le chamboulement qu’elle impliquerait dans le financement de la protection sociale. « C’est un changement de paradigme, il ne faut pas se leurrer là-dessus », alerte Dominique Corona, numéro 2 de l’Unsa.

Aujourd’hui, près de 55 % des ressources de la Sécurité sociale sont issues de cotisations sociales. Un modèle qui reste redistributif avec une idée simple : chacun contribue en fonction de ce qu’il gagne et tout le monde en bénéficie selon ses besoins. « Si on bascule le financement de la protection sociale vers la TVA, les cartes sont rebattues : les individus qui versent surtout des impôts indirects (les pauvres, parce qu’ils ne paient pas ou peu d’impôts sur le revenu) voient leur contribution à la chose publique s’alourdir, et les individus dont les impôts sont avant tout directs voient la leur s’alléger », analysait l’économiste Jean-Marie Harribey dans le n° 1863 de Politis du 22 mai.

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En plus de cela, cette mesure est présentée par le gouvernement comme un moyen de « résorber le trou de la Sécu ». Un argumentaire qui exaspère les syndicats. « J’en ai ras le bol qu’on nous bassine avec ça. Le déficit de la Sécu, ce n’est que 0,5 point du PIB, alors que son budget représente deux fois celui de l’État. Oui, on est en déficit, mais c’est loin d’être la catastrophe. On n’est pas Bercy », raille Dominique Corona.

Et qui les inquiète. En effet, les recettes générées par une hausse de la TVA seraient gérées par le gouvernement. Or, rien ne garantit que celles-ci ne bénéficieraient qu’au financement de la protection sociale. Il serait même « illusoire » de penser ça, selon Jocelyne Cabanal, secrétaire nationale de la CFDT. « L’État serait tenté d’en conserver une partie, pour résorber son déficit ou apporter des crédits à différentes politiques qui en ont grand besoin. La compétition à la ressource fiscale est trop forte, dans une période où les comptes publics sont très dégradés », confie-t-elle au Monde.

L’exemple de l’assurance-chômage

Cette frilosité des organisations syndicales est loin d’être idéologique. En effet, elles ont déjà pu assister, aux premières loges à ce type de détournement avec la réforme de l’assurance-chômage. « Les cotisations sociales chômage ont été supprimées et remplacées par plus d’impôts nationaux. L’État peut donc justifier son action selon le principe “je finance, donc je gère.” Résultat, il a fortement détérioré l’assurance chômage avec des effets très importants », explique, toujours dans Alternatives économiques, Clément Carbonnier.

Il ne faut pas se tromper. Loin d’être purement technique, la TVA sociale est une mesure éminemment politique.

D. Corona

« Il ne faut pas se tromper. Loin d’être purement technique, la TVA sociale est une mesure éminemment politique, conclut Dominique Corona, la TVA n’est pas fléchée. Donc, si on augmente sa place dans le financement de la protection sociale, on donne les clés du camion de notre République sociale au gouvernement. » Or, l’actuel est loin d’en être le plus fidèle défenseur.

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