Sarah Durocher : « On a vraiment ressenti l’attachement des gens au Planning »
Le Planning familial s’apprête à fêter ses 70 ans. La structure a dénoncé, dans un communiqué, les coupes budgétaires dont elle fait les frais. Dans un contexte marqué par la progression de l’extrême droite et le recul du droit des femmes, sa présidente appelle au sursaut.
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© Maxime Sirvins
Sarah Durocher est présidente du Planning familial depuis 2022. Militante féministe, elle défend une vision intersectionnelle de la lutte. Elle a participé à l’inscription de l’IVG dans la Constitution. Elle est également membre de la section « Santé, droits sexuels et reproductifs » du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes.
Quelles sont les conséquences de la baisse des financements publics sur le Planning familial (PF) et plus globalement sur le droit des femmes ?
Les annonces de baisses de financement, majoritairement liées à des collectivités territoriales comme les conseils départementaux ou régionaux, mais aussi au niveau des agences régionales de santé ont des conséquences directes sur nos actions. C’est au détriment des personnes que l’on accueille, soit 500 000 personnes par an à peu près. Cela impacterait 150 000 jeunes pour l’éducation à la sexualité. Des permanences vont s’arrêter. On va devoir licencier. Mais ce n’est pas que le Planning qui est attaqué. Ce sont aussi les associations. On le voit au conseil régional des Pays de la Loire, mais on a également l’exemple de la Drôme qui a décidé de baisser de 20 % les financements du Planning. En plus, sept centres de santé sexuelle vont devoir fermer. Ce n’est qu’un début.
Que répondez-vous aux collectivités qui décident de ne plus ou de moins vous soutenir financièrement ?
Au niveau des collectivités, on n’a pas eu de rectificatif. Il y a eu des mobilisations, que ce soit dans la Drôme, que ce soit dans le Loiret, pour interpeller, évidemment, les différents financeurs. Un des arguments donnés est la volonté de réduire les dépenses. Ce qu’on avance, nous, c’est qu’il s’agit d’un choix politique. Ce n’est pas rien de s’attaquer aux centres de santé sexuelle ou au travail du Planning.
On est en train d’attaquer un modèle social et un projet sociétal.
Les collectivités ont de moins en moins d’argent mais il a fallu faire des choix et c’est tombé sur nous. Il y a cette réponse peu courageuse du politique par rapport à cette décision. Il y a des territoires comme les Pays de la Loire où les coupes sont aussi visibles dans le domaine de la culture ou du sport. On est en train d’attaquer un modèle social et un projet sociétal où les associations ont une place importante.
Est-ce que, selon vous, quand cela concerne les femmes, l’accès aux soins est moins vu comme un sujet de santé publique ?
Oui, tout à fait. Depuis très longtemps, sur la question du médical, le Planning est un grand défenseur du service public. Or il y a des fermetures de maternités de proximité sur certains territoires. Des déserts médicaux sont en train de s’installer. Et, souvent, la première chose impactée, c’est la santé des femmes. Parce que ça ne rapporte pas, et qu’on est actuellement dans des logiques de rentabilité au niveau de la santé. Nous observons une dégradation très forte concernant la santé des femmes, que ce soit l’accès à un frottis, à une contraception, ou même un suivi de grossesse dans certains territoires. C’est compliqué.
Et je ne parle même pas de l’avortement. Ce sont des droits qui sont sacrifiés. Pas seulement envers les femmes d’ailleurs : aussi envers les personnes séropositives, les personnes LGBT, les plus pauvres, les exilé·es, la jeunesse… Par exemple, le Planning permet la discrétion et l’écoute en accueillant des jeunes qui ne voudraient pas aller à la pharmacie pour une contraception d’urgence ou des préservatifs. C’est tout cela qui va s’arrêter.
On pourrait penser qu’avec la constitutionnalisation de l’IVG sous la présidence de Macron, le droit à l’avortement et à la contraception se porte au mieux. Or, votre appel à l’aide fait état du contraire.
L’IVG dans la Constitution est l’œuvre du mouvement féministe et des parlementaires Mélanie Vogel et Mathilde Panot, qui ont fait un travail gigantesque. C’est une victoire, même si nous étions lucides sur le fait que son inscription n’allait pas arranger son accès. Les 50 ans de la loi Veil sont aussi l’occasion de faire le bilan. C’est l’opportunité d’avoir plus de visibilité sur les difficultés d’accès à l’avortement.
Quand l’avortement devient un droit fondamental, cela doit s’accompagner de financements.
Le Planning a lancé un baromètre, le 28 septembre dernier, pour les dénoncer. C’est vraiment le parcours de la combattante. Donc, même si la loi s’est améliorée, l’accès est en train de se détériorer. L’inscription de l’avortement dans la Constitution peut quand même être un moyen de pression supplémentaire pour interpeller le président. Quand l’avortement devient un droit fondamental, cela doit s’accompagner de financements. Il faut faire en sorte que ce soit vraiment un droit effectif dans le quotidien des personnes et dans les territoires.
Quel serait le bilan la politique d’Emmanuel Macron autour du droit des femmes, si on devait la résumer ?
Il y a beaucoup d’annonces mais, derrière, peu de moyens associés. Emmanuel Macron a fait de grandes annonces sur le remboursement, la gratuité des préservatifs jusqu’à 26 ans, la contraception d’urgence. Cela commence à arriver, mais sans une politique plus large sur la santé sexuelle. Or, cela ne sert à rien de faire des décrets si, derrière, les gens ne peuvent pas être au courant de leurs droits. Qui va dire à des jeunes qu’ils ont la possibilité d’aller en pharmacie demander une contraception d’urgence s’il n’y a pas des associations comme le Planning ? La politique d’Emmanuel Macron a été assez ambitieuse mais elle a été sporadique, et non globale.
On sait que le corps des femmes a toujours été un lieu de lutte et de récupération politique, mais votre alerte s’inscrit dans un contexte de montée de l’extrême droite en France. Observez-vous des pressions de plus en plus fortes sur le Planning familial ?
Depuis deux ans, nous voyons une augmentation des attaques envers le Planning, envers ses antennes : dégradation de locaux ou intimidations au téléphone… Avec l’augmentation de députés du Rassemblement national et conservateurs, nous avons eu des questions écrites ou orales pour supprimer des subventions du Planning. Les médias Bolloré diffusent aussi de la désinformation sur notre structure. Concernant l’éducation à la sexualité, cela a été un sacré pugilat : ils ont affirmé qu’on apprenait la masturbation ou l’anulingus à des enfants. C’est très grave. Or, quand il y a une augmentation de discours anti-Planning, on a moins de visibilité.
Les gens entendent toujours le même discours diffusé par de plus en plus de canaux. Pour nous, c’est important de ne pas juste réagir à la désinformation, mais de bien rappeler ce qu’est le Planning. Nous sommes aussi dans un temps où se pose la question de la liberté des associations qui ont toujours dénoncé les injustices. Le reproche fait au Planning d’être militant est de plus en plus fréquent parmi certains parlementaires. Mais il a toujours été militant. Il est toujours intervenu, et nous en sommes fier·es.
Il y a une stratégie mondiale concernant l’attaque des droits sexuels et reproductifs, et des personnes LGBT.
Comment appréhendez-vous la manière dont le « féminisme » de l’extrême droite tente de s’emparer de sujets liés au corps, à la sexualité ou à la famille ?
Cela fait partie des stratégies de l’extrême droite de cibler des électrices. J’ai été très choquée de voir Némésis défiler dans les rues. Elles sont aussi présentes dans des médias qui diffusent leurs messages. C’est très inquiétant, parce qu’elles utilisent complètement notre vocabulaire et instrumentalisent le féminisme à des fins racistes. Dans une société où ces discours sont de plus en plus présents, inclure la question du féminisme fonctionne.
Le résultat des européennes m’a vraiment interpellée : 35 % de femmes ont voté RN. Il faut qu’on s’interroge, nous, les féministes, sur ce que nous n’avons pas fait, ou ce que nous devrions faire. En Pologne, par exemple, les féministes ont mené des campagnes lors des dernières élections en ciblant les électrices pour prévenir des conséquences de l’extrême droite au pouvoir sur leurs droits.
On observe de manière globale le recul des droits des femmes en matière de choix, notamment aux États-Unis. Est-ce que vous observez l’influence de cette internationale réactionnaire en France ?
Nous appelons ce mouvement le réseau anti-choix. Cela peut paraître complotiste, mais pas du tout. L’EPF [réseau de parlementaires européens qui s’engagent à protéger la santé et les droits sexuels et reproductifs des populations les plus vulnérables, N.D.L.R.], qui les a étudiés, pointe la question du financement : ce sont des réseaux extrêmement financés, alors que nous le sommes beaucoup moins. Les succès de Trump, qui a réussi à gagner des voix sur l’éducation, la sexualité et l’attaque de l’IVG, sont des stratégies qui s’importent en France.
La rhétorique est la même. Idem pour l’Angleterre, l’Italie, la Pologne : pourquoi y aurait-il une exception à la française ? Il y a une stratégie mondiale concernant l’attaque des droits sexuels et reproductifs, et des personnes LGBT. Ce sont des réseaux très organisés avec des objectifs précis. L’arrivée de Pierre-Édouard Stérin [dans le débat public, N.D.L.R.] le montre : plus qu’une idée, ils défendent un projet de société.
Comment essayez-vous d’adapter votre lutte à ces dynamiques ?
Par la pédagogie. On essaie de parler à un maximum de personnes pour dénoncer l’élan de ce projet conservateur. Le Planning a appelé à voter Nouveau Front populaire au mois de juin 2024 car nous savons que c’est une question de survie, et il y a eu une forte mobilisation. Nous travaillons beaucoup avec des parlementaires alliés, et de manière assez large pour expliquer les enjeux sur les questions des droits sexuels et reproductifs. On s’organise aussi au niveau associatif.
L’année dernière, on a lancé une alerte féministe, avec plusieurs associations, au moment de la dissolution de l’Assemblée nationale, avec cet enjeu de mettre de côté nos différends contre l’ennemi commun que représente l’extrême droite. On vise aussi les 60 % de personnes qui n’ont pas forcément de position : ce peut être des gens plutôt favorables à notre projet, mais qui sont perturbés par des chaînes en continu alimentant la désinformation ou les discours sur les réseaux sociaux infiltrés par les masculinistes.
Aujourd’hui, 20 % des femmes doivent aller dans un autre département pour avorter, et ce chiffre ne fait qu’augmenter.
Vous avez aussi lancé une cagnotte en ligne, une collecte de dons sur les réseaux. Cela a-t-il eu l’effet escompté ?
Nous avons reçu plus de 700 dons en 48 heures. C’est énorme. Ce qu’on a vraiment ressenti après notre tribune [publiée le 16 juin sur le site du PF et parue dans Le Monde, N.D.L.R.], c’est l’attachement des gens au Planning. On a eu plus de 1 million de vues le premier jour. Il y a une volonté de défendre le Planning. Nous avons la chance d’être un réseau historique qui fait partie de la vie des personnes, parce que beaucoup ont, un moment donné, rencontré le Planning.
On recommencera encore et encore cet appel à l’aide. Ce n’était d’ailleurs pas la première fois que le Planning familial lançait une cagnotte : sous Sarkozy, il y avait eu aussi une très grosse mobilisation. Ce qui nous inquiète un peu plus aujourd’hui, c’est la montée du conservatisme. Cela fait très longtemps qu’il n’a pas eu de baisses de financement. Nous n’avons pas envie d’être contraint·es de choisir un public ou des actions à mener.
Au-delà de l’urgence budgétaire, quelles seraient les mesures prioritaires à mettre en œuvre pour garantir un accès égalitaire et pérenne aux droits sexuels et reproductifs ?
En premier lieu, avoir un plan d’amélioration de l’accès à l’avortement, qui se fonderait sur des campagnes nationales, du numéro vert et des droits. Cela sous-entend qu’il faut que les gens soient informés de leurs droits. Aujourd’hui, 20 % des femmes doivent aller dans un autre département pour avorter, et ce chiffre ne fait qu’augmenter. On doit pallier cela.
On aimerait aussi qu’il y ait des moyens et une grande loi intégrale sur la question des violences, comme en Espagne. Ils ont compris qu’il fallait des lois-cadres globales, avec l’ensemble des ministères autour de la table, une sensibilisation, des dépôts de plainte faciles, une formation de la justice, etc. En somme, une loi qui englobe tout le parcours des femmes et des personnes sur la question des violences. Ils ont surtout compris que tout est associé aux budgets. La France est très en retard là-dessus.
En cas de victoire du RN, il y aura un rôle collectif du Planning pour décider comme réagir.
Comment appréhendez-vous la perspective de 2027 ?
Pas très bien. Si quelqu’un du RN ou d’une droite très conservatrice accédait à la présidence, le projet du Planning serait très attaqué. Cela légitimerait ces mouvements fascistes qui attaquent les militants et nos associations. Cette option-là, je l’appréhende énormément. En attendant, on doit résister. On a cette date en tête. En cas de victoire du RN, il y aura un rôle collectif du Planning pour décider comme réagir, mais on n’y est pas encore.
À l’échelle locale et individuelle, comment est-il possible de soutenir le Planning familial ?
La cagnotte que nous avons lancée est confédérale, mais c’est encore possible de donner aussi aux antennes locales, selon l’endroit où l’on habite. On peut aussi adhérer au Planning, en parler sur les réseaux et partager ses communications. En somme, prendre l’espace individuel et l’espace de l’information. Ne pas hésiter aussi à inviter le Planning à intervenir dans des espaces de réflexion, dans des collectivités pour montrer tout le travail de terrain qui est fait.
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