L’info publique, bientôt privée ?
Avec la création d’une « holding » rassemblant les médias audiovisuels publics, avec à sa tête un « super patron », la réforme de Rachida Dati s’attaque à l’indépendance du service public de l’information et de la création, à l’heure d’une concentration accrue des médias, des ingérences étrangères et des fake news.
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Alors que les salariés de l’audiovisuel public sont mobilisés et en grève, il est essentiel de comprendre que leur combat dépasse largement la simple défense de leurs conditions de travail : c’est l’avenir même d’un service public fondamental, à la croisée de l’information, de la culture, de la création et de la démocratie, qui est en jeu. Depuis des années, le service public audiovisuel en France subit une lente et préoccupante érosion budgétaire. Comparée à ses homologues européens, la France consacre bien moins de ressources à son audiovisuel public.
En centralisant le pouvoir, on concentre également les pressions politiques.
Quand l’Allemagne ou les pays scandinaves investissent massivement pour garantir une information pluraliste, indépendante et de qualité, le ministère de tutelle de l’audiovisuel public – le ministère de la Culture et de la Communication – prend le chemin inverse. Le sous-financement fragilise un écosystème unique, pensé pour offrir à tous les citoyens – où qu’ils vivent – un accès équitable à l’information, à la culture, à la création artistique et au divertissement. Parce que le cahier des charges et des missions de l’audiovisuel public ne se limite pas à la seule mission d’informer.
Et c’est aussi ce qui fait la singularité de France Télévisions, de Radio France ou encore de l’INA. Des médias engagés en faveur de la transmission des savoirs, de l’éducation, de la culture ou encore de la création artistique – notamment avec le soutien à la fiction radiophonique et cinématographique –, sans oublier la mission de proximité, incarnée par le réseau Ici (ex-France Bleu et France 3). Ce maillage local est une spécificité française précieuse, qui permet de maintenir un lien direct avec les territoires, leurs réalités, leurs initiatives, leurs voix. Des voix que l’on entend peu ailleurs, souvent marginalisées dans les grands médias privés, concentrés à Paris.
Cette offensive (…) intervient dans un contexte où le paysage audiovisuel français est déjà menacé.
La réforme portée par Rachida Dati, prévoyant la création d’une holding unique, France Médias, réunissant France Télévisions, Radio France et l’INA – qui a essuyé un premier revers au Palais Bourbon ce lundi 30 juin grâce à la motion de rejet du texte, présentée par les écologistes –, va dans le sens inverse d’un renforcement de leur indépendance. L’émergence d’un « super patron » à la tête de l’ensemble du service public audiovisuel, et surtout d’un chef unique de l’information – situation inédite, même sous l’ORTF –, fait peser un risque immense sur la liberté éditoriale. En centralisant le pouvoir, on concentre également les pressions politiques.
Ce projet, loin de garantir la pluralité, installe une verticalité autoritaire et dangereuse. Cette offensive contre l’indépendance de l’audiovisuel public intervient dans un contexte où le paysage audiovisuel français est déjà menacé. Les concentrations médiatiques se multiplient, entre les mains de quelques groupes privés souvent liés à des intérêts politiques ou industriels. Parallèlement, des investissements étrangers s’intensifient dans le secteur, brouillant les lignes d’un espace médiatique déjà fragilisé.
L’exemplaire mobilisation des salariés de l’audiovisuel public contre la réforme de Dati est aussi l’occasion de rappeler les principaux dysfonctionnements dont pâtit l’audiovisuel public : lourdeurs bureaucratiques, centralisation excessive des décisions, manque de diversité sociale et territoriale, vieillissement des publics.
C’est en réaffirmant sa mission d’intérêt général, et non en la diluant, que l’audiovisuel public pourra se réinventer.
Mais plutôt que de fragiliser ces médias publics par des fusions à marche forcée, il y aurait urgence à sanctuariser un financement pérenne – remis en cause depuis la suppression de la redevance –, à redonner plus d’autonomie aux rédactions locales, à renforcer l’investigation – plutôt que de la fragiliser, à l’instar du sort réservé à la seule émission d’investigation de la radio publique, « Secrets d’info » –, à instaurer une gouvernance réellement indépendante et participative, et enfin à garantir un accès universel à une information de qualité. C’est en réaffirmant sa mission d’intérêt général, et non en la diluant, que l’audiovisuel public pourra se réinventer.
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