Au Chili, un espoir pour la gauche
Dimanche 29 juin, la candidate du Parti communiste, Jeannette Jara, a emporté haut la main les primaires de gauche. Elle représentera la coalition de centre-gauche Unidad por Chile à l’élection présidentielle, en novembre prochain. Un défi important dans un contexte de droitisation du continent sud-américain.
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© Lucas Aguayo Araos / Anadolu / AFP
Au pied d’une Cordillère des Andes enneigée ce dimanche soir, à Santiago du Chili, les centaines de personnes réunies au QG de campagne de Jeannette Jara scandent, exaltées : « On sent avec force Jara présidente. » Avec 60,17 % des voix, la candidate du Parti communiste remporte les primaires présidentielles face à trois autres candidats de la coalition de centre-gauche, Gonzalo Winter, Jaime Mulet et Carolina Tohá.
Cette dernière, ancienne ministre de l’Intérieur, n’a obtenu que 28 % des voix. Elle s’est adressée à la presse après l’annonce des résultats. « Je suis déçue et triste, mais je reconnais ma défaite. Jeannette Jara est désormais la candidate de la coalition de gauche », a-t-elle déclaré fermement.
Vers 21 heures, la candidate communiste s’est fièrement dirigée vers le podium, entourée des trois candidats vaincus. Elle a promis de présenter un programme commun et socialement ambitieux pour faire face à l’ultra-droite chilienne, le 16 novembre prochain. Lors du premier tour de l’élection présidentielle, elle aura deux principaux adversaires : Evelyn Matthei (droite traditionnelle) et José Antonio Kast (extrême droite).
L’élection de Jeannette Jara pour la course à la présidentielle chilienne, ce dimanche 29 juin, figure comme une exception dans le vent de droite qui souffle sur le continent américain.
Après une vague de révoltes sociales dans différents pays d’Amérique latine en 2019, plusieurs présidents progressistes ont été élus : Gustavo Petro en Colombie, Alberto Fernández en Argentine, Lula au Brésil et Gabriel Boric au Chili. Dans la lignée de l’ascension des forces d’extrême droite dans le monde et d’un alignement sur les États-Unis de Donald Trump, plusieurs pays ont rebasculé à droite lors des dernières élections. Emporteront-ils toute l’Amérique latine avec eux ? La victoire de Daniel Noboa en Équateur, en avril dernier, s’inscrit dans cette tendance et inquiète.
Plusieurs pays, dont les deux grandes économies de la région, le Brésil et le Mexique, sont encore gouvernés par le centre-gauche, mais les élections des prochains mois pourraient confirmer ou infirmer une tendance au basculement à droite. Le Chili, la Bolivie et le Honduras se rendront aux urnes en 2025 et la Colombie le fera en 2026. Ces pays sont gouvernés par des formations de gauche et de centre-gauche qui cherchent à confirmer leur mandat dans un contexte de forte instabilité politique et économique.
La pandémie et l’inflation des dernières années ont entraîné une croissance des inégalités qui facilite l’émergence de populistes tels que Javier Milei en Argentine. Pour Pablo Semán, sociologue argentin de l’Université de San Martín, « la droite a réussi à mieux capter une série de revendications qui ont gagné du terrain dans l’agenda public ces dernières années, comme la sécurité, la lutte contre la corruption et la croissance économique ».
Au-delà des résultats électoraux dans chaque pays, l’extrême droite est devenue un acteur politique incontournable dans un contexte marqué par la faiblesse démocratique, la volatilité électorale et la crise économique en Amérique latine.
La voix tremblante mais forte, Jeannette Jara s’est adressée à la foule en rappelant qu’elle venait d’une famille humble et d’un quartier populaire de la périphérie de Santiago, à Conchalí. « Je ne viens pas de l’élite, mais du vrai Chili », avait-elle lancé lors de son premier meeting de campagne. Née en 1974 – un an après le coup d’État qui a mis fin à l’Unité populaire de Salvador Allende –, elle commence à militer dans les jeunesses communistes dès l’âge de 14 ans. Fille d’un mécanicien industriel et d’une femme au foyer, elle est l’aînée de cinq frères et sœurs. Elle possède trois diplômes : en administration publique, en droit et en politiques publiques.
Discrète et charismatique, Jeannette Jara est très souvent comparée à l’ancienne présidente Michelle Bachelet.
Avant de s’engager dans le gouvernement de Gabriel Boric comme ministre du Travail, Jeannette Jara a été députée et sous-secrétaire à la Protection sociale dans le second gouvernement de Michelle Bachelet (2014-2018). Ces trois dernières années, elle a mené les réformes sociales les plus emblématiques du mandat de l’actuel président progressiste : les pensions de retraite, les 40 heures de travail par semaine et le salaire minimum le plus élevé d’Amérique du Sud (480 euros).
Pour la droite, le « danger communiste »
Discrète et charismatique, Jeannette Jara est très souvent comparée à l’ancienne présidente Michelle Bachelet. Une figure rassurante et aimante, mais aussi déterminée et ferme. Beaucoup de femmes et d’hommes politiques, comme le sénateur Juan Luis Castro (Parti socialiste), considèrent qu’« elle est proche des gens, empathique », et que « c’est probablement ce qui lui a permis de gagner ». Pepe Auth, sociologue et homme politique chilien, ajoute qu’« aujourd’hui la moitié des électeurs sont dépolitisés et ne votent pas pour des idées mais pour une personne qui leur inspire confiance ».
Quelques heures après la victoire de Jeannette Jara, le fondateur du Parti national libertarien (extrême droite), Johannes Kaiser, a déclaré que « le Parti Communiste est un danger » et que « souvent, dans l’histoire, les communistes ont pris le pouvoir et ne l’ont jamais rendu ». Au lendemain de sa victoire, Jeannette Jara a dû rappeler qu’elle était « la candidate de la coalition de centre-gauche, et non la candidate du Parti communiste ». Fidèle à son parti, elle a néanmoins « su mener sa campagne en se décommunisant. Ça peut fonctionner, surtout si elle résout les problèmes concrets de la population », analyse Pepe Auth.
Dans ce contexte post-pandémie et de redressement économique, beaucoup de mouvements sociaux ont été déçus.
Evelyn Matthei et Juan Antonio Kast ont dénoncé, de leur côté, une élection « illégitime » en raison d’un faible taux de participation. Les médias mainstream ont même considéré comme « décevante » la participation à ces primaires. Environ 1,4 million de personnes se sont déplacées aux urnes et Jeannette Jara a obtenu 825 000 voix. Soit seulement 2 000 de moins que le candidat de droite Sebastian Piñera en 2017.
Pourtant, la victoire du milliardaire, devenu président en 2018, avait été qualifiée de « triomphante » par la presse à l’époque. Les deux candidats opposés à Jeannette Jara, Matthei et Kast, se sont également appuyés sur cette participation qualifiée de « décevante » pour juger le résultat de ces primaires comme « une défaite pour le gouvernement de Gabriel Boric » et « la continuité d’un gouvernement qui a échoué ».
Se détacher de Boric
Après la révolte sociale de 2019, l’ancien leader syndicaliste étudiant Gabriel Boric a été élu président, en mars 2022, tandis qu’une Convention constitutionnelle rédigeait une nouvelle Constitution. Cette dernière devait remplacer celle adoptée pendant la dictature d’Augusto Pinochet, pierre angulaire du modèle néolibéral instauré au Chili. Cette nouvelle Constitution, qui proposait un État social de droit, a été rejetée par référendum le 4 septembre 2022, après une campagne de désinformation d’ampleur.
Sans nouvelle Constitution et avec un Congrès divisé, le gouvernement de Gabriel Boric n’a pas pu enclencher les changements structurels escomptés. Dans ce contexte post-pandémie et de redressement économique, beaucoup de mouvements sociaux ont été déçus. Selon le sociologue Pepe Auth, « il faudra que Jara se détache de la politique de Boric ».
De son côté, Carolina Tohá appelle à « une bonne union parlementaire pour [que la gauche soit] bien représentée au Congrès », et ne pas se retrouver dans la même situation que l’actuel gouvernement. Pepe Auth est formel : « Les cinq prochains mois de campagne vont être compétitifs. » Selon les enquêtes menées avant les primaires, Jeannette Jara talonnerait le candidat d’extrême droite, Juan Antonio Kast, au premier tour de l’élection présidentielle.
Ce lundi 30 juin, le président Boric a reçu chaleureusement la candidate de la coalition de gauche pour une réunion exceptionnelle chez lui, alors qu’il est en congé paternité suite à la naissance de sa fille, Violeta. La veille, après avoir voté, l’actuel président a déclaré que « cette élection définit la candidature du secteur progressiste » et que « tous seront unis derrière elle avec un programme commun pour le Chili ».
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