RN et Bayrou : une alliance par les votes

Plusieurs chiffres révèlent que le parti d’extrême droite est devenu un allié indéfectible des groupes politiques du socle commun. Contrairement à ce qu’imagine son électorat, le RN n’a presque jamais été dans l’opposition.

Hugo Boursier  et  Pierre Jequier-Zalc  • 1 juillet 2025 abonné·es
RN et Bayrou : une alliance par les votes
Marine Le Pen, lors des questions au gouvernement à l'Assemblée Nationale, le 23 mai 2023.
© Lily Chavance

Il y a deux Marine Le Pen.

La première se dresse fièrement devant les caméras comme le seul rempart face à la politique d’Emmanuel Macron. C’est ainsi que l’imaginent ses électeurs : à la tête d’un Rassemblement national combatif, qui se distingue comme « la seule opposition » au chef de l’État et ses soutiens agglutinés en « parti unique ». Elle s’empressait de le clamer haut et fort en ces termes au moment de la chute du gouvernement Barnier, en décembre.

Sous couvert de normalisation, le parti d’extrême droite a fabriqué depuis un an une machine à mensonges politiques.

Et il y a l’autre, celle qui, à l’Assemblée nationale, loin des micros et des télévisions, mène une stratégie diamétralement opposée. Dans le quotidien des votes à l’hémicycle, la cire à chaussures a remplacé le poil à gratter. Une seule attitude depuis la dissolution de juin 2024 : on appuie consciencieusement sur le même bouton que ses collègues macronistes d’Ensemble pour la République (EPR), on suit sagement l’orientation des Démocrates, d’Horizons et Indépendants ou de Liot.

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Et surtout, pas de vague. Sous couvert de normalisation, le parti d’extrême droite a fabriqué depuis un an une machine à mensonges politiques vis-à-vis de celles et ceux qui le soutiennent. Alors que la censure du gouvernement de François Bayrou dépend du bon vouloir du RN, son pari d’alliance polie pourrait bien se révéler risqué, tant les données – publiques – révèlent une mise au pli du parti, fort utile pour la survie du premier ministre.

Macroniste 9 fois sur 10

Il fut un temps où le RN contestait – a minima – la politique d’Emmanuel Macron. Lors de la 16e législature – celle qui a duré deux ans jusqu’à la dissolution en juin 2024 –, lors des 49 votes sur des projets de loi présentés par le gouvernement, le groupe RN a voté contre 29 textes, selon les données statistiques de l’Assemblée nationale. Un soutien qui grimpe, tout de même, à 41 % des cas. À titre de comparaison, c’était 6 % pour la France insoumise, 10 % pour le Parti socialiste, 12 % pour le groupe Gauche démocrate et républicaine et 16 % pour les Écologistes.

Depuis l’été 2024, le Rassemblement national a quitté le chemin sinueux de l’opposition pour emprunter l’autoroute de l’adhésion.

Mais depuis l’été 2024, le Rassemblement national a quitté le chemin sinueux de l’opposition pour emprunter l’autoroute de l’adhésion. De moins de la moitié, on passe à un soutien presque neuf fois sur dix. Pour les 7 projets de loi présentés par le gouvernement, le groupe RN a donné son accord à 6 textes. Seul le projet de loi de finances pour 2025 a reçu le holà du groupe RN.

Au-delà des exemples emblématiques des projets de loi, l’analyse des scrutins publics (incluant les propositions de loi, les amendements, etc.) révèle là aussi l’alliance avec le socle commun. D’après notre comptage, sur 2 695 scrutins publics, le RN a voté comme EPR dans 52 % des cas.

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Entre Édouard Philippe et Marine Le Pen, le point commun ne se résume pas au seul dîner que ces deux candidats à la présidentielle ont partagé en décembre 2023. Le groupe Horizons et le RN étaient d’accord plus d’une fois sur deux (53 %). C’est 3 points de plus qu’avec le groupe Les Démocrates. Pour connaître un RN d’opposition, il faut tomber sur le bon jour. Un scrutin sur deux, le parti d’extrême droite s’allie à la politique des alliés d’Emmanuel Macron. La formation de Marine Le Pen est le parti le plus soutenant du gouvernement après son socle historique.

Sauveteur de Bayrou 6 fois sur 7

Dans une Assemblée nationale divisée et sans majorité, se garantir le soutien de 123 membres n’est pas du luxe. François Bayrou le sait, d’où le « trouble » qu’il a exprimé lorsque Marine Le Pen a été reconnue coupable de détournement de fonds publics dans l’affaire des assistants des députés européens du FN. Il a toujours ménagé la présidente du parti d’extrême droite, souvent en poussant pour des textes qui empruntaient bien plus au répertoire frontiste qu’au lexique du Modem.

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En échange, celle-ci a toujours refusé la censure du gouvernement du Béarnais. La seule fois où elle a daigné appuyer sur le siège éjectable, c’était pour Michel Barnier, après une motion déposée par le NFP et votée le 4 décembre 2024. Un pacte tacite qui s’est vérifié pour cette huitième motion de censure.

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