« Ça se relit », épisode 6 : Danièle Obono et Aimé Césaire

Cet été, Politis demande à de nombreuses femmes de gauche un discours à découvrir… ou redécouvrir. Pour ce sixième épisode, la députée insoumise de Paris Danièle Obono lit le poète Aimé Césaire.

Danièle Obono  • 1 août 2025
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« Ça se relit », épisode 6 : Danièle Obono et Aimé Césaire
Danièle Obono et Aimé Césaire
© Politis / Keymap9 Wikimedia Commons / CC BY-SA 4.0 / Jean Baptiste Devaux Wikipédia CC BY-SA 4.0

C’est un discours qui n’en est pas vraiment un. Aimé Césaire n’a jamais lu Discours sur le colonialisme à une tribune. C’est un texte. Aimé Césaire a répondu à une commande d’une revue de droite, Réclame, qui souhaitait une contribution de sa part sur la question de la colonisation. Cette revue s’attendait à ce qu’il en fasse l’apologie. Mais Césaire a livré ce texte, comme une provocation. Et il a fait de cet écrit de circonstance une réponse à toute la société française et à la civilisation européenne.

Alors que le terme d’« ensauvagement », un mot venu du vocabulaire de l’extrême droite, est aujourd’hui employé par Gérald Darmanin, il faut absolument relire ce Discours car Césaire nous expliquait déjà comment les sociétés colonisatrices transformaient le colonisé en « sauvage », en être inférieur, déshumanisé, mais aussi comment la colonisation elle-même transformait la société colonisatrice. Il met à nu toute la mécanique de la colonisation, fait le lien entre le colonialisme et le racisme, et explique l’imbrication de l’idéologie raciste dans les sociétés coloniales.

Sur le même sujet : Frantz Fanon, un éclairage disputé sur l’héritage colonial

Mais son Discours est aussi une très sévère mise en accusation de l’Europe : Césaire, tout comme Hannah Arendt d’ailleurs, dit la continuité entre le génocide à l’égard des juifs au XXe siècle et les violences coloniales, il affirme que la violence est, en fait, un fondement de la construction de cette « modernité » européenne. Ses propos extrêmement durs sur la barbarie de la colonisation et du colonialisme sont profondément contemporains : ils disent beaucoup sur l’acceptation de la société européenne devant cette violence. La complicité européenne avec le génocide depuis le 7-Octobre en est l’un des derniers exemples.

Lorsqu’en 1950 ce Discours est publié pour la première fois, il est loin de faire l’unanimité. Ce texte très radical, anticolonial et marxiste n’est pas du tout majoritaire, y compris à gauche. Aujourd’hui, ce texte serait très certainement taxé d’« islamogauchiste ». Malgré l’institutionnalisation de la figure de Césaire, il y aurait très peu de voix pour défendre son Discours dans le contexte d’extrême droitisation de l’espace public dans lequel nous sommes, où tout le commentariat est aligné sur une vision réactionnaire.


Le Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire, publié dans la revue Réclame en 1950. Cliquez ici pour télécharger le document au format PDF.

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