Pour se sauver, François Bayrou choisit sa chute

À la surprise générale, le premier ministre demandera un vote de confiance à l’Assemblée nationale le 8 septembre. Tentative de reprendre la main face au mouvement du 10 septembre ou manœuvre pour préparer sa sortie ?

Lucas Sarafian  • 25 août 2025 abonné·es
Pour se sauver, François Bayrou choisit sa chute
Francois Bayrou durant sa conférence de presse à Paris, le 25 août 2025.
© Dimitar DILKOFF / AFP

L’Himalaya ressemble à une ascension interminable, peut-être impossible. Le jour de son arrivée à Matignon, François Bayrou parlait de cet « Himalaya budgétaire » qui se dressait devant lui. Depuis des mois, le premier ministre semble pourtant y croire, malgré une assise parlementaire plus que fragile, malgré une impopularité grandissante. Plus que jamais menacé, incapable de défendre son plan de 43,8 milliards d’euros d’économies devant le Parlement, François Bayrou doit trouver le coup politique pour sortir de l’enlisement.  

Rendez-vous le 25 août au 20, avenue de Ségur, dans le 7e arrondissement de Paris, une annexe de Matignon. Le même bâtiment où, il y a quatre mois, l’ancien haut-commissaire au Plan organisait une grande conférence de presse sur l’état des finances publiques et où, le 15 juillet, il présentait son plan austéritaire pour le prochain projet de loi de finances. « J’ai souhaité cette communication de rentrée à un moment préoccupant, et donc décisif, de l’histoire de notre pays, commence-t-il. Ce moment impose une clarification. » Le ton est grave.

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À la tribune, le premier ministre peint un sombre tableau, celui d’une planète qui brûle, d’un monde où le droit international n’est plus respecté, d’une France dépendante de la dette. Il répète deux fois cette assertion : « Notre pays est en danger parce que nous sommes au bord du surendettement. » Tantôt, le premier ministre tente d’enfiler le costume du lanceur d’alerte : « Depuis 20 ans, chaque heure de chaque jour et de chaque nuit a augmenté la dette de 12 millions d’euros. » Tantôt, il se pose en grand sauveur de la France : « Autant que je le pourrai, je ne laisserai pas ce pays s’enfoncer dans ce risque parce que c’est notre liberté qui est en jeu. »

Grenade dégoupillée

Depuis l’annonce de son plan estival, le chef du gouvernement sent bien que le débat lui a échappé. Et son plan n’a réussi qu’une chose : réveiller la colère dans le pays. Menacé par le nébuleux mouvement du 10 septembre et son mot d’ordre, « Bloquons tout », François Bayrou dégoupille calmement sa grenade. « Il faut, dès cette rentrée, une clarification : y a-t-il ou pas urgence nationale à rééquilibrer nos comptes publics et à échapper à la malédiction du surendettement qui concerne tous ceux qui nous regardent ?, développe le centriste derrière son pupitre. Cette clarification, pour moi, est urgente. Et il y a un lieu pour cette clarification, une institution, c’est le Parlement. »

Il a réussi à déplacer le sujet budgétaire à un petit sujet de politique-politicienne.

C. Chatelain

Traduction : François Bayrou engage la responsabilité de son gouvernement en demandant à l’Assemblée un vote de confiance, prévu à l’article 49.1 de la Constitution. Cette déclaration de politique générale sera suivie d’un vote le 8 septembre. La bombe est lâchée.

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Et le premier ministre prend de court toute la classe politique. La manœuvre est claire : François Bayrou tente de déborder le mouvement du 10 septembre pour reprendre la main sur le débat public. Dans son camp, on estime que cette décision permettra de recentrer le débat autour du vrai sujet qui préoccupe le locataire de Matignon, c’est-à-dire l’état de l’économie française.

« Depuis le 15 juillet, tout le monde s’est concentré sur deux mesures : la suppression de deux jours fériés et l’abattement pour les retraités. Et personne n’a parlé du fond, c’est-à-dire l’état de la dette. La France est arrivée à un moment de surendettement qui n’est plus supportable », explique un proche du premier ministre. « Il a réussi à déplacer le sujet budgétaire à un petit sujet de politique-politicienne », contredit la présidente du groupe écolo à l’Assemblée, Cyrielle Chatelain.

« François Bayrou fuit »

Pour certains à gauche, cette annonce ne serait qu’une petite manœuvre du maire de Pau pour sortir par le haut d’une situation politique plus que complexe : un plan austéritaire impossible à faire adopter sans 49.3, un mouvement social naissant et une impopularité qui gagne jusque dans ses propres rangs.

« François Bayrou fuit face à la difficulté comme il l’a toujours fait, lâche la députée écolo Christine Arrighi. Il voit que le mécontentement gronde dans le pays, que la pétition contre la loi Duplomb a été signée par plus de deux millions de Français. Il fuit parce qu’il n’a rien à proposer. Il était dos au mur et, pour éviter de renoncer, il fait une sorte de coup d’éclat. »

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La députée socialiste Mélanie Thomin reprend l’analyse : « Il joue le tout pour le tout, c’est un coup de poker. Il essaie de se poser en martyr pour anticiper l’effet de communication qu’aurait eu l’adoption d’une motion de censure qui semblait inéluctable. » Une lecture politique complètement démentie par l’entourage de François Bayrou : « Le premier ministre ne fait pas grand cas de son avenir politique. Il veut que la France s’en sorte. »

François Bayrou était dos au mur et, pour éviter de renoncer, il fait une sorte de coup d’éclat.

C. Arrighi

Parmi les proches du chef du gouvernement, on estime que cette annonce permet de mettre les oppositions face à leurs responsabilités. Seront-ils capables d’assumer la charge de l’instabilité politique ?

« Au bout d’un moment, il faut arrêter de jouer sur les postures, on peut s’en sortir autrement. Mitterrand a signé le programme commun en 1981 et, au bout de deux ans, il a compris que l’idéologie ne résoudrait pas la situation. Une fois au pouvoir, Jacques Chirac a appliqué une politique sociale, dénonce un conseiller Modem. Depuis de Gaulle, les dirigeants se sont tous confrontés au mur de la réalité et ils ont compris qu’on ne pouvait pas résoudre les problèmes avec de l’idéologie. Face au mur de la réalité, il faut comprendre que les idéologies ne fonctionnent pas. Les oppositions ne veulent pas le voir. » Le pari semble risqué.

Autodissolution

De cette décision « courageuse », les insoumis s’en frottent les mains. « Bayrou vient de signer définitivement l’arrêt de mort de la macronie. Nous avons désormais la date », attaque le député insoumis Aurélien Le Coq. Les troupes mélenchonistes imaginent déjà la suite des événements : la chute de François Bayrou devrait inévitablement fragiliser Emmanuel Macron.

« Si Bayrou tombe, c’est à Macron de partir », anticipait il y a quelques jours une membre de la direction de La France insoumise (LFI). Certains considèrent également qu’il faudra se saisir de la mobilisation sociale pour faire trembler le président. L’écolo Cyrielle Chatelain prévient : « Cette annonce va donner au 10 septembre quelque chose de particulier. Nous pourrions nous mobiliser en rappelant au président qu’il faudra respecter les résultats du 7 juillet 2024. »

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Pour le moment, communistes, écolos et insoumis ont annoncé voter contre la confiance au premier ministre. Tout comme le Rassemblement national (RN). « Seule la dissolution permettra désormais aux Français de choisir leur destin », écrit Marine Le Pen sur X. Du côté des socialistes, on temporise. Plusieurs députés du parti au poing et à la rose assurent ne pas vouloir voter la confiance. « Comment peut-on faire autre chose que de ne pas voter la confiance ? », se demande le député Arthur Delaporte.

Dans Le Monde, le premier secrétaire du Parti socialiste (PS) Olivier Faure se montre plus direct : « C’est une autodissolution. Il pense le faire avec le panache de quelqu’un qui envisage une autre étape de sa vie politique. Il est évidemment inimaginable que les socialistes votent la confiance au premier ministre. » Les instances du parti se réunissent dans la soirée à 21 h 30 pour convenir d’une ligne officielle. Mais en l’état, les voix des députés RN et de leurs alliés ciottistes de l’Union des droites pour la République (UDR), du Parti communiste (PCF), des Écologistes, des insoumis suffiraient à faire tomber le Premier ministre. Ses jours sont comptés.

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