10 septembre : mode d’emploi de la répression, de Paris aux régions

Répression, dispersion, interpellation, judiciarisation : le ministère de l’Intérieur peaufine sa stratégie pour le 10 septembre, alors que les actions de blocage et les rassemblements se préparent dans le cadre du mouvement « Bloquons tout ».

Maxime Sirvins  • 9 septembre 2025
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10 septembre : mode d’emploi de la répression, de Paris aux régions
La 12CI en pleine charge dans une manifestation spontanée, le lundi 20 mars 2023 à Paris.
© Maxime Sirvins

À l’approche de la mobilisation annoncée par le mot d’ordre « Bloquons tout », un télégramme du ministère de l’Intérieur daté du 4 septembre fixe une ligne sans ambiguïté : empêcher en amont les blocages d’« infrastructures essentielles à la vie de la nation », procéder aux « déblocages » rapides, quadriller l’espace public et « judiciariser » les incidents. À Paris, selon une source policière, « tout le monde sera sur le pont ». Dans le reste du pays, les préfets sont enjoints de combiner arrêtés, drones et coordination étroite avec les parquets pour neutraliser toutes tentatives d’actions.

Le ministre de l’Intérieur a annoncé que « 80 000 gendarmes et policiers » seront mobilisés sur l’ensemble du territoire.

Le ministre de l’Intérieur a par ailleurs annoncé que « 80 000 gendarmes et policiers » seront mobilisés sur l’ensemble du territoire. Le 8 décembre 2018, pour l’Acte 4 des gilets jaunes, 89 000 agents étaient déployés en France. Ils étaient 12 000 pour le 1er mai 2023 lors de la réforme des retraites, 15 000 pour la mobilisation des agriculteurs en janvier 2024 ou encore 40 000 le 6 juillet 2024 après la mort du jeune Nahel.

Logique d’entrave préalable

Le document interne consulté par Politis ordonne de « faire systématiquement l’objet d’un déblocage dans les délais les plus brefs » toute tentative visant gares, ports, aéroports, transports, axes routiers structurants, dépôts pétroliers, plateformes logistiques, centrales électriques, usines d’incinération, traitements des eaux et même les « établissements d’enseignements ». Il demande l’« interpellation systématique » des auteurs de dégradations et la sécurisation statique des institutions si le niveau de menace le justifie.

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Le texte insiste sur la « pleine mobilisation » des moyens, le rappel possible d’effectifs et l’élaboration de stratégies de « quadrillage » et de maîtrise des « points stratégiques » en lien avec le renseignement et l’autorité judiciaire. En clair, le document demande aux préfets de mobiliser massivement les forces de l’ordre pour éviter en amont toutes tentatives de blocages et dans le cas échéant de les débloquer le plus rapidement possible. Cette logique d’entrave préalable s’appuie sur une cartographie fine des « points sensibles » réalisée par les préfets.

Paris : les compagnies d’intervention en première ligne

Dans la capitale, le cœur du dispositif reposera sur les compagnies d’intervention (CI) de la préfecture de police, unités urbaines de maintien de l’ordre et sur les BRAV-M (formées d’agents des CI) pour une projection rapide sur les différents points. Ces unités opèrent en appui ou en complément des CRS et gendarmes mobiles, avec la capacité d’agir très rapidement sur plusieurs points chauds pour reprendre un axe, disperser un attroupement ou procéder à des arrestations. Pour les militants, il faudra s’attendre à trouver les forces de l’ordre présentes sur les lieux avant même le début des actions avec des dispersions voire des nasses, des interpellations préventives et des amendes.

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Selon nos informations internes, « 38 sections de CI, dont 4 BRAV-M minimum » seront sûrement engagées à Paris, soit la quasi-totalité des agents de maintien de l’ordre parisien. À titre de comparaison, mais dans un cadre différent de simple cortège, 7 sections étaient mobilisées pour la manifestation contre la réforme des retraites du 19 janvier 2023. En parallèle, le préfet de police a sollicité plus d’une quarantaine d’unités de forces mobiles auprès du ministère pour avant tout protéger des points statiques jugés sensibles (Élysée, Matignon, Parlement), tandis que d’autres unités seront prépositionnées autour de nœuds stratégiques.

Carte des interdictions de manifestation à Paris pour le 10 septembre 2025. Source : Préfecture de police de Paris
Carte des interdictions de manifestation à Paris pour le 10 septembre 2025. Source : Préfecture de police de Paris

En plus, la préfecture de police a publié, le 8 septembre, cinq arrêtés numérotés. Deux autorisent la captation d’images par hélicoptère et drones en Île-de-France, tandis que deux autres fixent des mesures de police administrative habituelles en pareille circonstance, notamment sur l’achat et la détention d’artifices et sur certains produits inflammables. Le cinquième présente les interdictions de manifestations : certains secteurs de Paris, Rungis et aux abords des aéroports de Charles de Gaulle et d’Orly.

Dans ces zones, le port et le transport d’armes et « de tous objets susceptibles de constituer une arme au sens de l‘article 132-75 du Code pénal » sont interdits comme les artifices, les mélanges inflammables et le port « déquipements de protection destiné à mettre en échec tout ou partie des moyens utilisés par les représentants de la force publique pour le maintien de l’ordre public ».

Régions : préfets aux manettes, mêmes cibles prioritaires

Hors Paris, l’Intérieur confie aux préfets la conduite d’une doctrine « préventive-réactive ». Des arrêtés « anti-armes par destination » et à des interdictions ciblées, à l’autorisation ponctuelle de drones pour sécuriser axes et nœuds logistiques sont à prévoir avec en plus des échanges permanents avec les parquets pour accélérer la réponse pénale. Plusieurs départements ont publié, ces derniers mois, ce type d’actes (drones lors d’événements, restrictions d’objets, périmètres encadrés et interdictions de rassemblements) qui servent à contrôler au maximum les journées de mobilisation.

En Haute-Garonne, le dispositif est d’ores et déjà arrêté : interdiction de tout rassemblement revendicatif « non déclaré » dans un large périmètre du centre-ville de Toulouse, autorisation d’emplois de drones, interdiction d’achat, de vente et d’utilisation d’articles pyrotechniques.

Techniques attendues : encerclements ponctuels, quadrillage, mobilité

Depuis l’arrêt du 10 juin 2021, le Conseil d’État a annulé la possibilité, inscrite dans le schéma nationale du maintien de l’ordre (SNMO) de 2020, de recourir à la nasse (encerclement de manifestants) telle qu’elle était formulée, faute de critères suffisamment précis. Aujourd’hui, la nasse est bien plus encadrée et ne peut être employée que « pour prévenir ou faire cesser des violences graves et imminentes contre les personnes et les biens ».

Dans la pratique, la posture attendue privilégie autant les gardes statiques que des manœuvres de quadrillage et d’actions rapides : encerclements ou dispersion des groupes, charges brèves, interpellations et reprises d’axes, avec des unités très mobiles (notamment motorisées) pour traiter les points chauds.

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Côté équipements, la panoplie habituelle sera de sortie : gaz lacrymogènes, grenades lacrymogènes instantanées GM2L, grenades de désencerclement, grenades assourdissantes de nouvelle génération et LBD. Les blindés de la gendarmerie pourront aussi être mobilisés pour éviter les blocages en amont ou pour écraser toutes tentatives de barricades.

Le volet pénal : « attroupement », « groupement », visage dissimulé

La « judiciarisation » évoquée dans la note s’appuie sur un triptyque bien identifié. D’abord l’attroupement : le fait de continuer à participer après les sommations est puni d’un an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende, porté à trois ans et 45 000 € en cas de dissimulation volontaire du visage.

Ensuite, le « délit de groupement » (art. 222-14-2 CP), qui réprime la participation à un groupement en vue de préparer des violences ou des dégradations, à condition que cette préparation soit « caractérisée par un ou plusieurs faits matériels ». L’infraction est très régulièrement utilisée lors des manifestations pour réaliser des interpellations préventives.

Ce que cela signifie le 10 septembre

À Paris, un maillage serré des centres-villes et des axes structurants est donc à prévoir grâce à une forte capacité de projection des BRAV-M et des CI. Des contrôles et filtrages aux nœuds de transport, une sécurisation visible des institutions et des sites « symboliques » sera aussi de la partie. Les drones devraient être autorisés sur des plages horaires et périmètres définis par arrêtés. Les CRS et gendarmes mobiles compléteront ce dispositif, particulièrement sur les points de rassemblements statiques. Les cortèges déclarés seront « accompagnés » au maximum avec les risques de réponse par la force et d’interpellations en cas d’actions jugées comme troublant l’ordre public.

Le ministre de l’Intérieur a posé un cadre strict : « aucune violence » ni « aucun blocage » ne seront tolérés

En régions, la même grammaire : préfets en première ligne, arrêtés de police administrative la veille et le jour J, unités mobiles sur les échangeurs et dépôts, drones au-dessus des points sensibles, et chaîne pénale activée en temps réel. Le ministre de l’Intérieur a posé un cadre strict : « aucune violence » ni « aucun blocage » ne seront tolérés, et les effectifs auront pour consigne « la fermeté », avec des interpellations « au maximum » en cas de soupçon de délit.

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Si la situation devient explosive, l’intérieur pourrait aussi faire appel à des unités dont le maintien de l’ordre n’est pas le cœur de métier. Lors des gilets jaunes, la BRI avait renforcé les dispositifs et la répression comme à Paris ou Montpellier. Une mobilisation qui est aujourd’hui facilitée avec le nouveau schéma national des violences urbaines qui prévoit l’emploi du RAID et de la BRI-PP (BRI de Paris) en cas de « situation très dégradée ». Un contexte de « violences urbaines » qui pourra s’appliquer plus ou moins sur toutes actions non déclarées comme des « manifestations sauvages ».

La ligne arrêtée pour le 10 septembre s’annonce claire : prévenir, disperser, débloquer, judiciariser. La hiérarchie des priorités pour les « infrastructures vitales » et l’insistance sur la mobilité donnent la couleur d’une journée où la vitesse d’intervention primera sur la gestion à distance et la désescalade. Une doctrine déjà bien connue pour son coût humain.

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