Palestine : un monde arabe et musulman fracturé
La marge de manœuvre des pays arabes est limitée pris entre des opinions propalestiniennes et leur soumission géopolitique aux États-Unis.

© Mahmud HAMS / AFP
Dans le même dossier…
Reconnaissance de la Palestine : le très politique revirement d’Emmanuel Macron Depuis Gaza et Ramallah : « Macron parle de deux États tout en continuant d’armer Israël » « La Palestine révèle les graves maladies de la démocratie et de la gouvernance du monde » Reconnaissance de l’État palestinien : d’un combat de la France à une lutte des FrançaisLe sommet arabe et musulman du 15 septembre marque-t-il un tournant dans le conflit israélo-palestinien ? En ordonnant le bombardement de Doha, Benyamin Netanyahou a-t-il lancé la bombe de trop ? On l’a sans doute pensé à Washington où on s’est empressé de dépêcher dans la capitale qatarie, le secrétaire d’État Marco Rubio, comme pour rassurer l’émir, le Cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani, qui avait eu des mots très durs, qualifiant Israël « d’État terroriste ». Une rhétorique qui rompt avec la prudence proverbiale des pays du Golfe. En affirmant qu’Israël veut faire « dérailler » les négociations qui se tiennent à Doha avec le Hamas, sous le parrainage américain, l’émir feint de découvrir la lune.
La dernière marque de résistance arabe date d’octobre 1973, au lendemain de la guerre dite du Kippour.
Depuis le torpillage des accords d’Oslo, à partir de 1996 (Netanyahou déjà !), et le financement du Hamas pendant trois décennies, ce n’est plus un secret pour personne qu’Israël pratique la politique du pire, assassinant méthodiquement tous les partisans de la négociation parmi les dirigeants du Hamas. Mais au-delà des mots colériques de l’émir, quoi ? Pour l’instant, rien de concret. Le temps des guerres israélo-arabes de 1948, de 1967 et de 1973, qui toutes se sont soldées par la victoire de l’État hébreu, est révolu. Elles n’ont fait que renforcer les ambitions territoriales d’Israël. La guerre de 1967 débouchant même sur la colonisation de la Cisjordanie et l’annexion de Jérusalem.
La dernière marque de résistance arabe date d’octobre 1973, au lendemain de la guerre dite du Kippour. L’embargo décidé par les pays exportateurs de pétrole (Opep) avait provoqué la hausse de prix du baril qui avait quadruplé en six mois. Les pays du Golfe avaient montré leurs muscles. Mais plusieurs événements ont ensuite refroidi leurs ardeurs. Les États-Unis de Jimmy Carter ont pesé de tout leur poids pour contraindre l’Égypte à reconnaître Israël. C’est la fameuse visite du raïs égyptien, Anouar el-Sadate, à Jérusalem, le 19 novembre 1977, et le début d’une aide militaire massive des États-Unis à l’Égypte. Un accord qui coûtera la vie à Sadate assassiné par des islamistes, le 6 octobre 1981.
Antagonismes et ambivalence
« Islamistes », voilà le mot qui change tout en fracturant les sociétés arabes et en constituant une menace pour les régimes en place. Les Frères musulmans, sunnites, puissants en Égypte, et surtout la révolution islamique en Iran, en 1979, ont hanté les capitales arabes qui se sont replacées sous le parapluie stratégique américain. Le « front du refus », incarné par l’épouvantable régime Assad, père et fils, en Syrie, ayant peu de séduction pour les sociétés. Les États-Unis ont joué de cette fracture, et de la menace iranienne, pour imposer aux pays du Golfe un rapprochement avec Israël. Pour l’Arabie saoudite, c’était loin d’être une volte-face, la dynastie wahhabite étant liée depuis 1945 aux États-Unis par un pacte pétrole contre protection militaire assurant les vieux jours du régime.
Les révolutions arabes de 2011 ont encore creusé les antagonismes dans la plupart des pays arabes.
C’est donc peu dire qu’à partir des années 1980, les pays arabes se sont situés du côté du « manche » américano-israélien. Mais avec cette contradiction parfois violente, que les sociétés civiles restaient mobilisées par la cause palestinienne. Les États-Unis n’ont pas manqué de semer le chaos dans la région, soutenant l’Irak contre l’Iran, puis menant deux guerres contre l’Irak jusqu’à favoriser l’apparition des jihadistes de Daech après 2003. Cette ligne de fracture a été l’une des causes majeures de la guerre du Yémen qui a opposé la coalition égypto-saoudienne aux Houtis pro iraniens. Les révolutions arabes de 2011 ont encore creusé les antagonismes dans la plupart des pays arabes.
Leurs derniers signes de vie diplomatique dans le conflit israélo-palestinien datent de 2003 et 2007. Un plan élaboré par la Ligue arabe qui proposait un retrait israélien des territoires palestiniens occupés depuis 1967 en échange d’une normalisation des relations avec l’État hébreu. Une proposition balayée d’un revers de main par les États-Unis. Toute l’ambivalence arabe est là : un plan pour plaire à l’opinion arabe, et une résignation immédiate pour ne pas fâcher Washington. En 2020, Donald Trump, dont c’était le premier mandat, a poussé son avantage en amenant les Émirats arabes unis, Bahrein, puis le Maroc et le Soudan, à ratifier les accords d’Abraham avec Israël (1).
Les accords d’Abraham sont deux traités de paix entre Israël et les Émirats arabes unis d’une part et entre Israël et Bahreïn d’autre part. Le premier, entre Israël et les Émirats arabes unis, est annoncé le 13 août 2020 par le président des États-Unis Donald Trump. Ils sont signés le 15 septembre 2020 à la Maison-Blanche à Washington, accompagnés d’une déclaration tripartite signée aussi par le président américain en tant que témoin. Ces accords sont prolongés par ceux avec le Soudan, et le Maroc.
La même normalisation que les pays arabes avaient proposée en 2002, mais sans la moindre condition au profit des Palestiniens. L’allégeance était totale et l’abandon de la cause palestinienne semblait définitif. L’Arabie saoudite était sur le point de rejoindre l’accord quand est survenu le 7-Octobre. Le génocide en cours à Gaza a sans doute reporté pour longtemps ce ralliement, et mis en porte à faux les Émirats arabes unis. L’engagement de Riyad aux côtés de la France pour la reconnaissance de l’État palestinien, ce 22 septembre, lors de l’Assemblée générale de l’Onu, est une manifestation très forte de l’Arabie saoudite.
Contradictions
Mais côté sanction, rien. L’arme du pétrole n’est plus de saison, et les leviers manquent aux pays du Golfe qui se gardent bien de franchir la ligne rouge d’une guerre même diplomatique avec les États-Unis. Si l’on veut mesurer l’ampleur des contradictions qui traversent le monde arabe, il n’est qu’à voir le comportement de Mahmoud Abbas à la tête de l’Autorité palestinienne. Sa peur du Hamas l’a fait plus souvent pencher vers Israël avec des accords sécuritaires qui lui valent l’hostilité de la population.
Les bombes israéliennes sur Doha ont réussi à recréer un semblant d’unité du monde arabe et musulman.
Certes, les bombes israéliennes sur Doha ont réussi à recréer un semblant d’unité du monde arabe et musulman. Au sommet qui a suivi, le 15 septembre, ils étaient tous là, même l’Iran. Mais cette unité est-elle durable ? Car au total, les bouleversements géopolitiques des trente dernières années, l’apparition ou la réapparition de mouvements islamistes habiles à utiliser la colère des peuples, ont profondément transformé la situation. L’idée d’un front uni contre « l’entité sioniste », comme jadis, n’est plus qu’un mythe. Cette nouvelle donne fait peser la responsabilité de la résistance sur l’Europe. Et c’est une autre histoire…
Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.
Faire Un DonPour aller plus loin…

Reconnaissance de la Palestine : le très politique revirement d’Emmanuel Macron

Depuis Gaza et Ramallah : « Macron parle de deux États tout en continuant d’armer Israël »

« La Palestine révèle les graves maladies de la démocratie et de la gouvernance du monde »
