Monsieur le président, laissez-nous accueillir nos confrères et consœurs palestinien.nes de Gaza

Plus de 400 journalistes francophones se mobilisent pour réclamer la reprise des évacuations des journalistes gazaouis qui le demandent et l’accès immédiat de la presse internationale sur le terrain.

Collectif  • 8 septembre 2025
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Monsieur le président, laissez-nous accueillir nos confrères et consœurs palestinien.nes de Gaza
Les proches du journaliste palestinien Adam Abu Harbid, tué par une frappe israélienne, portent son corps durant ses funérailles, le 25 juillet 2025.
© Bashar Taleb / AFP

Nous sommes plus de 400 journalistes et professionnels des médias français et francophones apportant notre soutien, depuis le mois de juillet, à la constitution de dossiers d’évacuation et à l’accueil de nos confrères et consoeurs palestiniens de Gaza, qui entretiennent pour la plupart des liens avérés avec la France. Parmi eux, certains collaborent avec de grandes rédactions comme Le Monde, BFM TV, l’Agence France Presse ou encore LCI. Ces journalistes, au péril de leur vie, permettent aux Français d’accéder à l’information malgré le « black-out…» médiatique imposé par Israël, qui a transformé Gaza en une véritable « zone létale » pour la profession.

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De notre côté, nous nous plions aux conditions drastiques de constitution des dossiers de nos confrères et consoeurs. Nous récupérons leurs documents d’identité, nous rassemblons les attestations de travail auprès des organes de presse français ou étrangers pour lesquels ils ont travaillé, nous réunissons des promesses d’embauche, des attestations d’hébergement et de soutien financier, nous leur trouvons des logements pour les accueillir dignement.

Nous les connaissons : ce sont des journalistes méritants, intègres, qui font honneur à leur profession, loin de l’image que leur attribuent les campagnes de propagande visant à les assimiler à des militants du Hamas. En août, un média israélien a ainsi révélé l’existence d’une « cellule de légitimation » de l’armée, chargée de fabriquer de faux dossiers liant les journalistes au Hamas pour tenter de justifier leur exécution.

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Selon les derniers décomptes d’ONG reconnues, 220 d’entre eux ont déjà été tués dans des frappes israéliennes, faisant de Gaza le conflit le plus meurtrier de l’histoire pour la presse. Or depuis la suspension des évacuations, onze journalistes ont été tués ; l’ONU a déclaré l’état de famine à Gaza ; l’IAGS (International Association of Genocide Sholars) a adopté une résolution inédite qui reconnaît que les actions d’Israël à Gaza répondent à la définition du crime de génocide ; Israël a lancé l’invasion de Gaza-ville, et l’administration Trump a proposé un plan assimilable à un projet de nettoyage ethnique.

J’ai peur d’être tué et de n’être qu’une simple brève oubliée après quelques heures.

Le sort de ces journalistes tués pourrait être celui de ceux que nous aidons, de ceux figurant déjà sur la liste du ministère des Affaires Étrangères. « En tant que journaliste travaillant sur le terrain, j’ai commencé à avoir peur de sortir, de me déplacer. J’ai peur d’être tué et de n’être qu’une simple brève oubliée après quelques heures », nous écrit un journaliste dont le processus d’évacuation a été suspendu.

Pourtant, depuis plus d’un mois, toutes les évacuations de Palestiniens de Gaza, sans exception, sont suspendues par les autorités françaises. Cette suspension fait suite à la découverte d’une ancienne publication antisémite, sur les réseaux sociaux, d’une étudiante gazaouie évacuée vers la France, ce qui a entraîné l’ouverture d’une enquête interne. Quelles ont été les conclusions de cette enquête ? Comment une seule publication a-t-elle pu conduire à la suspension de toutes les évacuations, y compris celles des malades, des blessés, et des familles relevant du regroupement familial ? Et ce, alors que chaque évacuation est soumise à des procédures de sécurité et d’investigation menées en premier lieu par le Cogat, unité militaire israélienne rattachée au ministère de la Défense. Pour nous, cette décision s’apparente à une punition collective.

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Cette suspension frappe aussi des universitaires et des étudiants, dont la rentrée de septembre est désormais compromise, des artistes, et des familles qui devaient être réunies au titre du regroupement familial. Elle rappelle le sort tragique d’Ahmed Shameia, architecte et professeur d’ingénierie, décédé en mai dernier faute de soins, alors qu’il devait être accueilli en France grâce au programme PAUSE – aujourd’hui suspendu ; ou celui de Omar Harb, universitaire renommé, mort de maladie et de malnutrition le 5 septembre.

Ces journalistes n’ont désormais plus même la force de survivre.

De nombreuses rédactions, des syndicats et sociétés de journalistes, ainsi que RSF, se sont mobilisés afin que le ministère des Affaires Étrangères lève la suspension de ces évacuations. Après vingt-deux mois à subir des conditions de travail inhumaines, aggravées par la famine, ces journalistes n’ont désormais plus même la force de survivre.

Nous, journalistes français et francophones, réaffirmons notre solidarité avec nos confrères et consoeurs palestinien.nes qui, jour après jour, documentent la destruction de la société palestinienne de Gaza. C’est pourquoi nous voulons leur offrir un accueil digne de leurs nombreux sacrifices.

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Et la France gagnerait à appliquer les principes humanitaires et de protection de la presse qu’elle met en avant partout ailleurs. « Pourquoi n’avons-nous pas de protection internationale, comme les autres journalistes dans le monde ? Ou bien notre sang est-il sans valeur ? », interpelle un journaliste figurant sur la liste d’évacuation.

Il est aujourd’hui essentiel que la France mobilise ses moyens pour contribuer à prévenir le génocide et les crimes contre l’humanité en cours, afin que les Palestiniens puissent vivre dignement sur leur terre. Son rôle diplomatique devrait être déterminant pour garantir l’accès de journalistes internationaux à Gaza et soutenir la reprise des évacuations de leurs confrères gazaouis, dont les dossiers sont déjà constitués ou en cours. Enfin, une simplification des procédures et la création d’un programme spécifique dédié aux journalistes est indispensable pour faciliter le départ de celles et ceux qui ne peuvent plus rester sur place.


Premier·es signataires :

Allan Kaval, journaliste Le Monde, prix Bayeux et prix Albert Londres
Agnès Briançon-Marjollet, journaliste et première secrétaire du SNJ
Annette Gerlach, journaliste ARTE
Ariane Lavrilleux, journaliste Disclose
Antoine Chuzeville, journaliste et premier secrétaire du SNJ
Aurélie Charon, journaliste et documentariste France Culture
Aziza Nait Sibaha, rédactrice en chef France 24, vice-présidente de la SDJ France 24
Benjamin Barthe, journaliste Le Monde
Christophe Boltanski, journaliste, écrivain, chroniqueur
Dominique Vidal, journaliste et historien
Edith Bouvier, journaliste et réalisatrice
Edwy Plenel, journaliste Mediapart
Elise Descamps, secrétaire générale de CFDT- journalistes
Hélène Lam Trong, journaliste réalisatrice, prix Albert Londres
Hervé Kempf, journaliste, Reporterre
Inès Léraud, journaliste et autrice
Nicolas Hénin, auteur, ancien journaliste
Nicolas Vescovacci, journaliste-réalisateur indépendant
Pablo Aiquel, journaliste, sec. général du SNJ-CGT, vice-président de la FEJ
Pablo Pillaud-Vivien, rédacteur en chef de Regards
Paul Moreira, journaliste réalisateur Premières Lignes
Pierre Jacquemain, directeur de la rédaction Politis
Rosa Moussaoui, rédactrice en chef à L’Humanité
Sophie Nivelle-Cardinale, journaliste, Prix Albert Londres
Véronique Gaymard, journaliste RFI

Liste complète des signataires

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Publié dans
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