Comment les macronistes ouvrent la voie au RN à l’Assemblée
Yaël Braun-Pivet et la Macronie entendent faire entrer l’extrême droite au bureau du Palais Bourbon. Les bases d’un deal implicite pour sauver Sébastien Lecornu ? En parallèle, les macronistes rêvent de reprendre la main sur des postes clefs en commission des Finances.

© Lily Chavance
Funeste idée. Dans les couloirs du Palais-Bourbon, Yaël Braun-Pivet, la présidente de l’Assemblée, a dans ses cartons un plan explosif : faire entrer le Rassemblement national (RN) au bureau de la Chambre basse, la plus haute autorité collégiale de l’hémicycle. Une instance qui a notamment le pouvoir de prononcer des sanctions contre les députés. Autant dire que l’enjeu est de taille. Et le projet de celle du perchoir n’est même pas secret.
Le 20 septembre dans Le Parisien, la présidente de l’Assemblée nationale l’affirme ouvertement : « Je n’ai jamais fait le tri entre les parlementaires sur le plan institutionnel. Ma position est intangible. Tous les groupes doivent être représentés. » « Qu’il y ait une plus juste représentation au sein des instances, cela semble normal », juge le député Ensemble pour la République (EPR) Denis Masséglia. Le bureau est composé de six vice-présidents, trois questeurs et 12 secrétaires.
Qu’il y ait une plus juste représentation au sein des instances, cela semble normal.
D. Masséglia
La gauche, avec 13 députés sur les 22 membres de cette instance, y est aujourd’hui majoritaire. Alors que les membres du « socle commun » sont au nombre de 7 tandis que le RN, tout comme le Modem, n’y est pas représenté. Selon une membre de l’actuel bureau de la Chambre basse, le parti de Marine Le Pen et de Jordan Bardella revendiquerait désormais deux vice-présidences et plusieurs secrétaires.
Depuis des semaines, Yaël Braun-Pivet tente de convaincre tous les groupes politiques du bien-fondé de sa démarche. En théorie, ils peuvent se mettre d’accord pour, selon l’article 10 du règlement de l’Assemblée, « établir la répartition entre les groupes de l’ensemble des fonctions du bureau et la liste de leurs candidats à ces fonctions ». Pour ce faire, les présidents de groupes prennent en compte le poids des forces au sein de l’hémicycle selon un système à points plutôt complexe. Une première réunion a eu lieu le 2 juillet. Elle n’a pas duré plus d’une demi-heure. La deuxième réunion aura lieu le 29 septembre.
« Non, il n’y a pas d’accord »
Pour le moment, la gauche reste impassible. Socialistes, écologistes, insoumis et communistes refusent de faire entrer le RN au bureau. « Il n’y a pas vraiment de discussion. Yaël Braun-Pivet a demandé s’il y avait un accord pour éviter le vote. Et non, il n’y a pas d’accord », affirme le patron du groupe socialiste Boris Vallaud. Ils ont le sentiment que, puisque le suffrage universel est exprimé, tous les députés ont les mêmes droits. Mais il faut aussi se poser la question du mandat pour lequel nous avons été élus. Et j’ai été élu avec le mandat du front républicain. Ce sera donc sans les socialistes. Et sans toute la gauche. »
Très logiquement, les patrons des groupes ne devraient pas s’entendre de façon unanime. De ce fait, tous les députés devraient voter le 1er octobre, jour d’ouverture de la session parlementaire, pour élire leurs vice-présidents, questeurs et secrétaires de l’Assemblée. « Mais le suspense est quand même ténu. Les macronistes ont une majorité à l’Assemblée avec le RN », admet Boris Vallaud. Toutefois, le bloc central devrait vaciller.
Nous devons nous en tenir à la situation actuelle et au barrage républicain qui s’est exprimé dans les urnes en juillet 2024.
J. Iordanoff
En juillet 2024, la Macronie s’était déjà divisée sur l’entrée des marinistes au bureau. « Dans leur bloc, ils ont de tout, des gens venus de la droite ou de la gauche. Et comme ils n’ont plus de chef qui leur donne la ligne, ceux qui sont sur une pente fasciste, en préférant largement discuter avec le RN qu’avec la gauche, vont glisser et les autres vont peut-être rester », phosphore un membre de la direction de La France insoumise (LFI).
Deal implicite
Un insoumis s’interroge sur les visées de la manœuvre de Yaël Braun-Pivet : « Est-ce que tout ça fait partie d’un accord global afin d’amadouer le RN pour ne pas que Sébastien Lecornu soit censuré dès son discours de politique générale ? » Selon lui, ces élections internes au Palais Bourbon posent les bases d’un deal implicite. La survie du premier ministre contre quelques postes à l’Assemblée ? Un tel accord pourrait éteindre les rêves de Sébastien Lecornu, qui espère toujours rafler un accord de non-censure avec le Parti socialiste (PS).
Selon Le Monde, Matignon suit de près ces élections parlementaires. « Je ne comprends pas comment EPR peut faire un accord avec le RN. Ils sont inconscients, déplore le député écolo et vice-président du Palais Bourbon, Jérémie Iordanoff. Nous devons nous en tenir à la situation actuelle et au barrage républicain qui s’est exprimé dans les urnes en juillet 2024. »
Politiquement, empêcher la gauche d’être majoritaire à l’Assemblée aurait un intérêt pour les macronistes. Cela permettrait de bloquer la motion de destitution que compte défendre prochainement LFI. Car, selon la procédure constitutionnelle, le bureau doit discuter de la recevabilité d’un tel texte avant d’être discuté à l’Assemblée. « Et l’année dernière, la destitution avait passée l’étape du bureau », rappelle un insoumis. La motion insoumise avait toutefois été rejetée en commission des lois le 2 octobre.
C’est impossible qu’une personne du socle commun puisse récupérer la présidence.
É. Coquerel
En parallèle, les macronistes rêvent de remettre la main sur la commission des Affaires économiques et des Affaires culturelles. Mais surtout, ils veulent gagner des batailles au sein de la commission des Finances, dont les membres du bureau seront élus le 2 octobre. Si Éric Coquerel, le président insoumis de cette commission hautement stratégique, n’est pas vraiment apprécié par les macronistes, il n’est pas vraiment inquiété. Le règlement de la Chambre basse impose que le président soit issu de l’opposition. Un gentleman agreement initié par Nicolas Sarkozy en 2007 et introduit officiellement dans le règlement de l’Assemblée, depuis sa réforme de mai 2009.
« Il n’y a pas de raison de ne pas respecter ce qui est d’usage. Nous ne présenterons pas de candidat », assure Denis Masséglia, député macroniste et secrétaire de la commission. L’année dernière pourtant, les macronistes avaient défendu la députée Droite républicaine (DR) Véronique Louwagie. Mais Michel Barnier n’avait pas été nommé et la droite n’était pas encore entrée au gouvernement. « C’est impossible qu’une personne du socle commun puisse récupérer la présidence, c’est contraire au règlement et à la loi constitutionnelle. Quelque chose d’aussi bancal, j’ai du mal à le concevoir », indique fermement Éric Coquerel.
« Saut politique périlleux »
L’insoumis imagine deux scénarios. « Premier cas de figure : personne ne s’oppose au président de la commission, c’est ce qui se passe traditionnellement, expose Éric Coquerel. Deuxième cas de figure : il y a une élection. Et dans ce scénario, la seule possibilité est la candidature d’un député RN. Pour qu’il soit élu, il faut qu’il recueille les voix de la Macronie. Ce serait, pour les macronistes, un saut politique périlleux, une décision très lourde à porter. »
Pour le camp mariniste, Jean-Philippe Tanguy devrait logiquement se représenter. « Je ne pense pas que Tanguy ait envie d’un quelconque accord avec le « socle commun » pour être élu président de la commission des Finances, si tant est que les députés du socle commun aient pensé à ce scénario, ce que je ne crois pas », estime Éric Coquerel. Voter ouvertement pour un député du RN pour affaiblir la gauche, les macronistes en seraient-ils capables ?
L’insoumis devrait logiquement garder sa présidence puisque, selon un député de gauche, l’accord passé en 2024 entre les quatre groupes du NFP sur les candidats aux postes clefs à l’Assemblée a été « reconduit ». « A priori, la gauche fera bloc derrière moi », assure Éric Coquerel. Et s’il obtient, comme l’année dernière, les voix des députés du groupe Liot, il sera réélu avec 28 suffrages, devançant ainsi les 27 voix des députés du « socle commun » ainsi que celles du Rassemblement national (RN) et ses alliés ciottistes, qui devraient représenter 17 voix. Pour le moment, Éric Coquerel affirme n’avoir pas échangé sur le sujet avec le groupe Liot.
« Ils se sont arrangés pour des postes »
La principale cible des macronistes s’appellerait donc Charles de Courson, actuel rapporteur général du budget. Un poste très politique puisque le numéro deux de la commission des Finances doit être la courroie de transmission entre l’Assemblée et le gouvernement. Pour les macronistes, le ravir aurait un fort intérêt à quelques jours d’un examen budgétaire qui a causé la chute des deux derniers premiers ministres.
Ce rapporteur général fait partie de l’opposition, ce qui n’est pas normal.
D. Masséglia
En 2024, l’élection du député Liot a provoqué l’ire des macronistes puisque, selon l’usage, le numéro deux de la commission des Finances doit être un représentant du socle gouvernemental. Une élection contraire à l’usage, mais pas contraire au règlement de l’Assemblée. « Ce rapporteur général fait partie de l’opposition, ce qui n’est pas normal, dénonce Denis Masséglia. C’est le NFP et Liot qui n’ont pas respecté l’agreement en 2024. Ils se sont arrangés pour des postes. »
La Macronie devrait porter la candidature de Jean-René Cazeneuve. En 2024, il s’était déjà présenté contre l’indétrônable député de la Marne. Les deux députés avaient recueilli le même nombre de voix mais Courson avait été élu au bénéfice de l’âge, 72 ans contre 66 pour Cazeneuve.
« Chacun considère qu’on est un duo qui a plutôt bien marché », admet Éric Coquerel. Dans le camp de Charles de Courson, on brandit une menace : si les macronistes font tomber le député de la Marne, les députés du groupe Liot pourraient être incités à censurer Sébastien Lecornu. Harold Huwart, député du groupe, est clair : « Les conditions d’un accord [entre le groupe Liot et le premier ministre, N.D.L.R.] incluent aussi la représentation légitime du groupe et de ses représentants les plus éminents comme le rapporteur général du budget. » Mais les manœuvres en coulisses sauveront-elles vraiment Sébastien Lecornu ?
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