« Je sens la colère, pas l’espoir » : la gauche rêve d’être la solution de « Bloquons tout »

Face aux colères très nombreuses qui se sont exprimées dans la rue ce 10 septembre, la gauche tente de se fondre dans cette rage nationale mais peine à incarner un débouché politique.

Lucas Sarafian  • 10 septembre 2025 abonné·es
« Je sens la colère, pas l’espoir » : la gauche rêve d’être la solution de « Bloquons tout »
À Paris, le 10 septembre 2025.
© Maxime Sirvins

Tout terrain. Quand le ministre de l’Intérieur démissionnaire Bruno Retailleau, se rend dans la matinée au marché de Rungis (Val-de-Marne) pour défendre, de façon extrêmement démagogique, cette « France du courage », la gauche choisit un autre camp, la France du blocage. L’ex-insoumise Clémentine Autain s’est rendue à l’hôpital de Tenon, dans le 20e arrondissement de Paris, pour soutenir les grévistes. La patronne des Écologistes, Marine Tondelier, est allée soutenir les salariés d’ArcelorMittal à Dunkerque. Aux aurores, le coordinateur national de La France insoumise (LFI), Manuel Bompard, a soutenu la cinquantaine de personnes qui tentaient de bloquer la sortie du centre RATP de la rue Belliard, dans le 18e arrondissement de Paris.

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Et tout le monde a chaussé ses baskets. Ce matin, le député insoumis Abdelkader Lahmar s’est rendu à deux points de blocage à Vaulx-en-Velin (Rhône), sur un rond-point et devant l’école de l’aménagement durable des territoires (ENTPE). « Dans les quartiers, c’est difficile de mobiliser. Perdre une journée de travail, c’est compliqué. Mais j’ai senti, et beaucoup plus qu’avant, une certaine forme de solidarité à ce mouvement », explique-t-il.

Les gilets jaunes, ce n’était pas qu’une seule journée.

A. Lahmar

L’insoumis rêve déjà d’un acte II : « Quand on se mettait en grève avant, c’étaient des grèves illimités. Et ensuite, petit à petit, la protestation est devenue plus ponctuelle. Ça ne suffit pas. Si on descend dans la rue un jour pour protester et que demain on retourne au travail, on ne va peut-être pas atteindre les objectifs attendus. Les gilets jaunes, ce n’était pas qu’une seule journée. » La chimère de la grève illimitée, d’une révolte massive et dans la durée ?

Resserrer l’étau autour du président

Jean-Luc Mélenchon et les siens jouent gros. La date du 10 septembre est cochée depuis de longues semaines dans leurs agendas. Ceux qui ne croient qu’à la destitution d’Emmanuel Macron misent sur la réussite de cette mobilisation pour resserrer l’étau autour du président de la République. Et la nomination à Matignon de Sébastien Lecornu, proche parmi les proches du chef de l’État, ne fait que conforter leur stratégie. Les insoumis comptent d’ailleurs déposer une toute nouvelle motion de destitution qui sera signée, cette fois, par beaucoup plus de députés de gauche. Des grappes de députés communistes et écologistes se sont ralliés désormais au texte.

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À la place Guichard, à Lyon, la députée insoumise Anaïs Belouassa Cherifi insiste : « Les mots d’ordre sont clairs : “Macron dégage” ou “Lecornu démission”. C’est un mouvement qui en a ras-le-bol de l’ordre établi, d’un président qui n’écoute pas le peuple. La seule solution, c’est que Macron s’en aille et qu’il donne de nouveau la possibilité aux Français de s’exprimer. En juillet dernier, les Français ont demandé un changement de politique. Et leur vote n’a pas été respecté. »

Le parfum du dégagisme envers le président embaume la rue. « On ne me parle que de Macron. Il y a une forme de répulsion chez les gens de toutes couleurs, de toutes obédiences politiques, de toutes classes sociales. Les gens détestent Macron, c’est presque animal », selon Ali Rabeh, maire Génération.s de Trappes (Yvelines). À Marseille, Sophie Camard, maire Gauche républicaine et socialiste (GRS) des 1er et 7e arrondissements de la cité phocéenne, l’a bien senti aussi.

Il faut qu’on se réveille, la gauche est attendue maintenant.

S. Camard

« J’ai senti la colère, pas l’espoir. Ça m’inquiète. La colère que je ressens est contre Macron, je la comprends, mais elle est contre tous les partis politiques. Les gens sont fatigués, ils ne voient pas où ça va. Et il faut qu’on se réveille, la gauche est attendue maintenant. On ne peut pas juste venir manifester, sans débouché, sans solution politique derrière, développe l’édile, qui exprime des doutes concernant certaines modalités d’action non encadrées. J’ai des inquiétudes devant quelque chose dont je ne vois pas le débouché. Je sens de la tension et un certain désespoir. Derrière le slogan “Bloquons tout”, il y a beaucoup de choses, mais je ressens un vide. Je suis d’accord que la situation dans le pays ne va pas. Il faut aller plus loin dans le contenu et l’organisation. » 

Abandon, mépris et résignation

La gauche peut-elle être le débouché politique de cette mobilisation ? La tâche semble ardue tant les raisons de la colère sont si nombreuses. Car le mouvement du 10 septembre ne peut se réduire à la protestation contre les budgets d’économies défendus par la Macronie, contre cette réforme des retraites qui est encore dans tous les esprits, contre les différents résultats électoraux depuis 2022 qui n’ont eu aucune conséquence. « Bloquons tout », c’est une révolte profonde, une exaspération systémique, un sentiment d’abandon, de mépris, de résignation.

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La destitution est-il un mot d’ordre à même de coaliser les colères ? « Ce mot est uniquement utilisé par Mélenchon et LFI. Je ne vois pas apparaître un débouché autour d’une hypothétique pétition nationale sur la destitution d’Emmanuel Macron », réfute Rémi Lefebvre, professeur de science politique à l’université de Lille.

Les mesures qui peuvent répondre à la grogne et à la colère sociale, elles existent, ce sont toutes les mesures du Nouveau Front populaire.

A. Rabeh

Alors, comment répondre aux attentes de cette France en colère ? « Les mesures qui peuvent répondre à la grogne et à la colère sociale, elles existent, ce sont toutes les mesures du Nouveau Front populaire (NFP) des 100 premiers jours. Elle est en partie là, la réponse.  La non-utilisation du 49.3, les référendum d’initiative citoyenne, l’augmentation du Smic prise par décret, l’abrogation de la réforme des retraites… », liste Ali Rabeh.

Un point de vue défendu par Rémi Lefebvre : « Sur le fond, le programme du NFP paraît tout à fait conforme aux mots d’ordre développés dans le mouvement. Mais sur la forme, les gens se désespèrent de la situation de fragmentation à gauche. Les gens n’y croient pas. L’esprit de rassemblement a été totalement gâché, abîmé par tous les partis politiques, c’est catastrophique. »

« La gauche n’apparaît pas comme un débouché »

Ali Rabeh est conscient de la perception de la gauche : « La gauche n’apparaît pas comme un débouché. Elle ne garantit pas, par sa division, ce qu’elle a su faire il y a un an. L’union, ce débouché simple, suscite de l’engagement électoral et de la mobilisation. Ça a marché il y a un an et on n’en a rien retenu. » Stéphane Troussel, président socialiste du département de Seine-Saint-Denis, voit un chemin : « La gauche doit porter la question de la répartition des richesses. Ce qui explique notre situation économique, c’est d’avoir exonéré, dans des proportions inédites, les plus riches et les plus grandes entreprises. »

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Et ce dernier de conclure : « C’est une politique injuste et inefficace qui a créé du ressentiment et de la défiance. La gauche doit se mettre à la hauteur de l’enjeu. Parce que l’extrême droite a un poids considérable, il faut être lucide. Le débouché naturel pour ceux qui expriment cette colère dans de très nombreux territoires dans le pays, c’est l’extrême droite. » La gauche est prévenue.

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