Pour l’après, l’union des gauches « au cas par cas »
Écologistes, socialistes, communistes et insoumis n’adoptent pas la même stratégie face à Sébastien Lecornu. Et si tous prévoient sa chute, ils ne semblent pas prêts à négocier un accord aussi naturellement qu’en 2024.
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© Valérie Dubois / Hans Lucas / AFP
Événement très rare. Un socialiste, un ex-insoumis, une écologiste, un communiste et un insoumis à la même tribune ? Un miracle. Et pourtant. Sur la grande scène de l’Agora à la Fête de l’Humanité, ce 13 septembre, le patron du Parti socialiste (PS) Olivier Faure, le député de la Somme François Ruffin, la secrétaire nationale des Écologistes Marine Tondelier, le chef de file des députés communistes Stéphane Peu et le vice-président insoumis de la commission des Affaires Hadrien Clouet étaient officiellement invités à phosphorer sur la crise sociale et démocratique.
Qu’est-ce qui fait que l’unité qu’on a connue il y a un an ne puisse pas se réaliser aujourd’hui ?
S. Peu
Mais, rapidement, la question de l’union de la gauche s’est imposée. « Qu’est-ce qui, depuis juin dernier, a changé dans la politique de Macron et dans l’espérance sociale du peuple, et qui fait que l’unité qu’on a connue il y a un an ne puisse pas se réaliser aujourd’hui ? Arrêtons de fabriquer des faux procès », a lancé Stéphane Peu en invoquant le 12 février 1934, ce jour où, sous la pression populaire, socialistes et communistes ont battu le pavé ensemble pour répondre à la manifestation antiparlementaire des ligues d’extrême droite du 6 février 1934.
Cet épisode historique a-t-il inspiré les insoumis et les socialistes, en guerre de tranchées depuis des mois ? Pas vraiment. Car, sans surprise, ils n’ont pas hésité une seconde à afficher leurs désaccords. Et le premier concerne la marche à suivre face à Sébastien Lecornu. D’un côté, les insoumis ne veulent pas bouger de leur couloir de nage. Eux ne pensent qu’à la destitution d’Emmanuel Macron.
« Je crois la victoire inéluctable pour peu qu’on n’aille pas, en route, s’égarer sur des chemins de traverse qui ne mènent nulle part, des raccourcis qui n’existent pas. Seule existe l’action qui renversera de fond en comble ces pouvoirs qui sont arrivés au terme de ce qu’ils pouvaient être », a développé Jean-Luc Mélenchon lors de la fête annuelle et très politique du quotidien communiste.
« On n’a pas la censure compulsive »
La motion de destitution insoumise, signée par 104 députés, trouve de plus en plus d’alliés au sein de la gauche. Et notamment du côté des Écologistes. « Je ne me réveille pas tous les matins depuis sept ans en me disant : “Destitution, destitution !” Mais, à un moment, la question se pose », a admis Marine Tondelier. De l’autre côté, ceux qui ne veulent pas provoquer une présidentielle anticipée. Le PS rêve plutôt de peser sur le prochain budget. Pour les roses, c’est en ouvrant la porte à des discussions que la gauche pourrait obtenir des victoires concrètes.
On ne va pas se lancer dans une discussion de boutiquiers avec des gens qui nous plantent.
J. Kienzlen
« On n’a pas la censure compulsive, affirme Patrick Kanner, patron des sénateurs PS. Si Lecornu a plus de marge de manœuvre que les autres, on peut se dire qu’on va entamer un dialogue utile plutôt qu’un dialogue infertile, contrairement à certaines formations politiques comme La France insoumise (LFI) ou le Rassemblement national. Eux ne veulent pas gérer le pays, ils veulent une présidentielle. » « Si on parle directement d’une censure, on force le premier ministre à chercher une majorité avec l’extrême droite », expliquait il y a quelques jours un député socialiste.
Si Olivier Faure n’est pas à Matignon, les socialistes demandent une réorientation de la politique économique et sociale. Dans leur viseur : la taxe Zucman et un retour sur la réforme des retraites. Pas question de se contenter d’un plan Bayrou 2.0 enjolivé de petites concessions. « On ne veut pas vraiment négocier, on ne va pas se lancer dans une discussion de boutiquiers avec des gens qui nous plantent », assure Jonathan Kienzlen, membre de la direction du PS.
Un « petit sucre » ne fait pas avaler huit ans de macronisme
Les communistes partagent la logique. « Si c’est pour passer de 44 milliards à 39 milliards d’austérité, ce n’est même pas la peine de nous appeler, considère Fabien Roussel, qui s’est entretenu avec Sébastien Lecornu la veille de sa nomination. J’ai dit à Sébastien Lecornu que de mêmes causes produisent de mêmes effets. » Il n’est donc pas certain que les petites annonces de Sébastien Lecornu, comme l’abaissement du curseur de l’effort du déficit, le retrait de la suppression de deux jours fériés, la suppression des avantages à vie des anciens ministres ou un « grand acte de décentralisation », convainquent la gauche.
Il n’y a aucune raison pour ne pas refaire ce qu’on a fait en 2024.
T. Dossus
« Il ne suffit pas d’un petit sucre pour nous faire avaler la pilule de huit ans de macronisme », grince Léon Deffontaines, porte-parole du Parti communiste français (PCF), qui attend des mesures sur l’augmentation des salaires, un vote à l’Assemblée sur la réforme des retraites et des moyens pour les services publics. Pour autant, à gauche, personne ne se fait d’illusion sur le destin de ce premier ministre. Tout le monde spécule sur la date de son départ et imagine la suite. Le socialiste Patrick Kanner l’avoue : « Si Lecornu tombe, je ne vois pas comment on évite une dissolution. » Les composantes de l’ex-Nouveau Front populaire (NFP) s’y préparent.
Les socialistes ont déjà découpé des circonscriptions, les écolos ont mobilisé leurs secrétaires régionaux pour lancer une campagne… Il reste néanmoins l’éléphant dans la pièce : les gauches sauront-elles s’unir dans l’urgence comme en 2024 ? Les écolos y croient. « Ça ne va pas bouger avant qu’on soit dans le dur. Mais rien n’est impossible, admet le sénateur Thomas Dossus. Il n’y a aucune raison pour ne pas refaire ce qu’on a fait en 2024. L’extrême droite n’est pas moins menaçante. Face à ce risque, est-ce qu’on a encore un combat hégémonique à mener à gauche ? »
Accord « technique » ou « défensif »
Au PS, on exclut un accord programmatique avec les insoumis. « Cela veut dire que nous souhaitons gouverner avec eux, ce qui est faux », affirme Kanner. Il faut savoir aussi lire entre les lignes : si l’hypothèse d’un deal programmatique leur est inenvisageable, le scénario d’un accord « technique » ou « défensif » reste tout de même possible. Cela permettrait d’éviter une guerre des gauches dans certaines circonscriptions de conquêtes pour l’extrême droite ou déjà acquises à elle.
« Il faudra avoir en tête deux questions : comment lutter au mieux contre l’extrême droite et qui est le meilleur candidat à gauche dans chacune des circonscriptions ?, expose Jonathan Kienzlen. Cela veut dire qu’il peut y avoir des candidats insoumis dans certaines circonscriptions, mais il faudra étudier les cas circo par circo. » Les communistes souhaitent un accord entre toutes les composantes de la gauche, mais « au cas par cas », selon les mots de Fabien Roussel.
Il faut un nouveau rassemblement des forces de gauche en prenant davantage en compte les situations locales.
L. Deffontaines
« Il faut un nouveau rassemblement des forces de gauche en prenant davantage en compte les situations locales », considère Léon Deffontaines. Selon un compte rendu de l’intervention de Fabien Roussel devant son parti le 5 juillet, que Politis a pu consulter, le secrétaire national du PCF affirme vouloir construire « des candidatures de rassemblement, au plus près des réalités locales, tenant compte des rapports de force, dans tous les départements de France ». La méthode aurait au moins le mérite d’éviter les blocages dans les négociations entre les états-majors de gauche.
Mais les insoumis sont intraitables. À défaut de la destitution, Jean-Luc Mélenchon a fait, durant la Fête de l’Huma, la proposition de l’ouverture de nouvelles discussions pour réveiller le NFP. « Nous faisons la proposition d’une offre fédérative à toutes celles et ceux qui veulent reprendre une coalition sur la base du programme du NFP, auquel on ne retirera rien », déclare à Politis Manuel Bompard, le coordinateur national de LFI.
À la fin du mois d’août, Mathilde Panot, la présidente du groupe insoumis, menaçait dans Mediapart les députés socialistes qui n’avaient pas voté la censure contre François Bayrou de présenter, face à eux, un insoumis : « Nous ne recommencerons pas avec ceux qui, une fois élus, font passer le programme par la fenêtre. » Le ton a changé. « Ça bouge dans le détail », croit l’écolo Thomas Dossus. Et le cadavre de l’union de la gauche, bouge-t-il encore ?
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