Procès de Bolsonaro : au-delà d’un test démocratique pour le Brésil
L’ancien président d’extrême droite entre en jugement ce mardi 2 septembre, accusé de tentative de coup d’État en 2023. Un enjeu crucial pour les institutions du pays, alors que Trump pourrait alourdir les sanctions qu’il a prises contre le Brésil, accusé de mener une « chasse aux sorcières ».

© Evaristo Sa / AFP
Dans l’expectative depuis près de trois ans, la gauche brésilienne a piaffé, d’impatience toujours, et de doute parfois : Bolsonaro pourrait-il échapper à la justice brésilienne, alors qu’une demi-douzaine de scandales de poids, largement documentés, pèsent sur lui ? Certes, l’ancien président d’extrême droite (2019-2023) a déjà été condamné à huit ans d’inéligibilité, ce qui l’empêche potentiellement de se représenter aux deux prochaines présidentielles. Sa faute : abus de pouvoir et décrédibilisation du système électoral.
La première des victoires enregistrées pour le Brésil face à cette affaire gravissime, c’est la consolidation de ses institutions.
Cependant, l’affaire pour laquelle il va être jugé par le Tribunal suprême fédéral du 2 au 12 septembre est d’une gravité sans précédent au Brésil. Bolsonaro est accusé d’avoir été à la tête de la tentative de coup d’État déclenchée le 8 janvier 2023, afin de se maintenir à la présidence alors qu’il venait d’être battu quelques semaines auparavant par Lula. Entre autres annexes de l’opération, il y avait le projet d’assassinat de Lula, de son vice-président Geraldo Alckmin, et d’Alexandre de Moraes, président du Tribunal suprême fédéral, bête noire de Bolsonaro tant il a été actif pour en contrer les abus de pouvoir.
Dans un pays où la justice a tellement failli à son devoir par le passé, les 968 jours écoulés depuis la date funeste qui aurait pu voir le Brésil replonger en dictature ne sont pas la conséquence de tergiversations ou de lenteurs coupables, mais sont la contrepartie d’une investigation remarquable, ainsi que le respect de toutes les procédures judiciaires légales. La première des victoires enregistrées pour le Brésil face à cette affaire gravissime, c’est donc la consolidation de ses institutions.
C’est une nouveauté. Il suffit de se rappeler les épisodes récents de la destitution de la présidente Dilma Rousseff (2016) ou de la condamnation de Lula à 12 ans de prison (2018) pour des motifs très douteux et par des procédures bâclées. Autre avancée fortement symbolique, depuis la fin de la dictature en 1985 : pour la première fois, des militaires hauts gradés vont être conjointement jugés pour leur participation à une tentative de renversement de la démocratie.
Moment historique
Dans son propos liminaire, en ouverture du procès, Alexandre de Moraes n’a laissé planer aucun doute sur le sens de ce moment historique pour le pays : pas de place pour l’impunité, indépendance totale du Tribunal suprême fédéral, respect rigoureux de la Constitution et du droit des accusés. Au regard des monceaux d’éléments accablants qui incriminent Bolsonaro, la grande majorité des observateurs estiment sa condamnation probable. La décision qui sera prise à l’issue du procès, le 12 septembre, sera aussi appréciée à l’aune des conséquences prévisibles pour le pays.
L’ex-président risque 43 ans de prison. Comment réagiraient ses soutiens, nombreux dans le pays, dans ce cas ? Le bolsonarisme survivrait probablement à l’incarcération de son mentor. Eduardo, le plus politique des fils Bolsonaro, s’est déjà proposé pour prendre la relève. Exilé aux États-Unis, il y mène depuis plusieurs mois une intense campagne en quête de soutiens pour son père auprès des trumpistes.
Trump a pris la défense de Bolsonaro dans son style brutal et frustre de caïd des cours de récréation.
Alors que le procès de l’ex-président, par son caractère exceptionnel, s’annonçait déjà comme un événement international, la réussite de l’ambassade d’Eduardo, au-delà de ses espérances, lui donne un coup de projecteur supplémentaire : Trump a pris la défense de Bolsonaro dans son style brutal et frustre de caïd des cours de récréation. Qualifiant de « chasse aux sorcières » les manières faites à l’ex-président, il a distribué les représailles. Le Brésil a été affecté de 50 % de droits de douane sur plusieurs de ses produits, les États-Unis ont gelé les biens d’Alexandre de Moraes sur son territoire, et révoqué son visa tout comme celui de ses alliés dans sa supposée croisade.
« Leçon de maturité démocratique »
Ces mesures d’ingérence naïves ont surtout eu pour effet, jusqu’à présent, d’attiser le sentiment national au Brésil. Déclarant « inacceptables » ces mesures de rétorsion et décrétant qu’un « gringo » ne ferait pas la loi au Brésil, Lula a vu remonter brusquement sa cote nationale déclinante. À l’étranger, la réplique du président brésilien aux foucades de Trump est saluée comme il se doit. Le 29 août, la couverture de l’hebdomadaire britannique The Economist affichait Bolsonaro affublé de la coiffe de bison du plus emblématique des assaillants du Capitole de Washington, en janvier 2021.
Une manière d’endosser la thèse d’une responsabilité majeure de Bolsonaro dans le coup d’État de 2023, qui s’était manifesté par l’invasion des lieux de pouvoir de la capitale du pays, en copie de celle du Capitole. Derrière cette image, le magazine salue surtout « une leçon de maturité démocratique » adressée par le Brésil au continent américain. États-Unis compris, où Trump est parvenu à échapper à la justice en dépit d’actes appuyant explicitement la tentative de coup d’État de ses partisans en 2021.
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